LE COUP DE L'ÉVENTAIL 2

Création le 18 mars 2016
 

Suite de l'article précédent :

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Nous avons pu signaler ce qui suit, - mais pas vérifier, car la Bibliothèque Nationale de France n’a pas numérisé le Moniteur de juin 1793 : « Tandis que l’Europe se coalise contre la France libre, une puissance Africaine (Alger), plus loyale et fidèle, reconnaît la République et lui jure amitié »

En 1793, la République française est en guerre contre l’Europe des Rois et des Reines, laquelle craint une contamination « républicaine ». C’est donc la mobilisation générale en France contre la coalition, mais les conscrits sont en majorité des paysans, non seulement qu’il faut nourrir, mais ce qui fait que l’agriculture manque de bras. Il faut donc trouver des fournisseurs de blé. La Régence d’Alger répond « présent » à la fois au plan diplomatique (d’où cette référence à « l’amitié ») et au plan « import-export », puisqu’elle produit du blé en excédent, ce qui pourrait expliquer des premiers contacts politico-commerciaux entre le Dey et la maison Bacri & Burnach.

À qui  B & B a-t-elle acheté son blé ? À de gros colons, indigènes et/ou turcs, qui font suer le burnous, ou directement en envoyant des émissaires acheter à bas prix auprès des agriculteurs « meskines (pauvres) » ? Combien de tonnes ont-elles été vendues et à quel prix ? Existe-t-il un contrat entre la République française et B & B ? Le prix est-il normal ou exorbitant ? Quelle est la qualité du grain et son état de conservation ? Quelle est sa destination : Italie ou Égypte ? Y-a-t- il eu une avance comme c’est normal pour un chargement FOB (franco on board) ou FAS (franco along ship) ? Pourquoi l’acheteur a-t-il tant tardé à honorer la ou les factures finales ? La quantité prévue initialement a-t-elle été effectivement livrée ? A-t-on conservé des documents de réception de la marchandise ?  Des intermédiaires ont-ils reçu des dessous de table ? Toutes questions qui devraient figurer dans le dossier contentieux entre la République française et B & B, si tant est qu’il y ait eu un vrai dossier !

Au départ, il s’agissait de contrat « privé » du côté algérien, mais B &B a souhaité « refiler » tout ou partie du contentieux à la Régence, qui aurait pu être l’instigatrice du dit contrat. Pourquoi la Régence a-t-elle accepté un tel contentieux qu’elle n’a pas su gérer ?  Qu’est devenu ensuite B  B ? Qui a été floué réellement dans l’affaire : B & B ou la Régence ?

Par ailleurs, pourquoi Mustapha Pacha, Dey d'Alger, a-t-il été assassiné par les Janissaires « au pied d’une mosquée dont les portes se sont refermées devant lui » ? Cela a-t-il une relation avec le contentieux de blé que Mustapha Pacha aurait souhaité régler à l’amiable ? On regardera avec intérêt la dernière phrase de la correspondance de Mustapha Pacha à Bonaparte : « Si à l’avenir il survient quelques discussions entre nous, écrivez-moi directement, et tout s’arrangera à l’amiable » (Signé Talleyrand dans la Gazette, devenue plus tard Moniteur officiel). Si contentieux il y avait alors entre la Régence et la République française, c’était bien le moment de le régler ! En outre David Bacri, nommé Consul Général par Napoléon 1er, est décapité en 1811 sur l’ordre du Dey … ! Vous avez dit bizarre ?

En tout cas ces assassinats ont dû refroidir sérieusement les relations  entre la France et la Régence, puisque Napoléon a fait étudier - à tout hasard ? - un plan d’invasion de la Régence dès 1808, par le commandant Vincent-Yves Boutin, qui est accueilli par Dubois-Thainville, Consul général de France. À Sidi-Ferruch, Boutin a la conviction, compte tenu de la topographie des lieux, que c'est là que doit avoir lieu un éventuel débarquement. Il lui reste à reconnaître avec une prudence de sioux la route directe qui, de Sidi-Ferruch, mène à Alger ; ce qu'il fait avec une précision remarquable. Après cinquante deux jours passés en terre africaine, Boutin rembarque à bord du Requin. Son plan tout prêt sera mis en œuvre en 1830.

Et comment en ce temps-là se portait la piraterie ? Le dernier grand corsaire Rais Hamidou

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est finalement défait par une flotte américaine en 1815 ; la piraterie entre alors en déclin, mais a laissé des souvenirs amers, et un esprit de revanche séculaire parmi les Européens (sauf les Anglais). D’où les bombardement successifs d’Alger par les uns et les autres (cf notre article sur la Consulaire).

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La piraterie se portait aussi bien sur l’établissement marseillais de La Calle (pêche au corail), pacifique et commercial par définition, mais qui avait été amené à s’armer de canons à son corps défendant contre d'éventuels pirates, contrairement d’ailleurs aux usages commerciaux et administratifs …

Enfin et non le moindre, les historiens n’ont curieusement pas prêté attention au discours du Ministre de la Marine et des Colonies au Parlement français destiné à justifier l’expédition contre la Régence. Et pourtant ce discours est rapporté dans  les Annales de la Marine (Service Historique de la Marine - Fort de Vincennes), et sa copie figure dans notre site.

 Élémentaire, mon cher Watson !

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Jusqu’à la définition de l’engin avec lequel le Dey d’Alger a frappé le Consul, il s’agit de plusieurs coups d’un chasse-mouche. Ce n’est pas un éventail, mais un épouvantail !

Il est vrai que la découverte du Trésor de la Régence, subodoré alimenté par les rançons et les ventes d’esclaves, a excité certains personnages de l’entourage du Roi, qui se sont fait un plaisir de le faire disparaître à leur profit :

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Même s’il ne faut pas toujours croire les politiciens, la litanie de manquement aux accords par la Régence est longue et c’est plutôt une expédition punitive qu’une volonté de conquête qui est défendue par le Ministre. En tout cas il donne une version officielle française du contentieux avec B & B.

Enfin, dernière question, et non la moindre, quoiqu’un peu « foldingue » : pourquoi les Algériens n’ont-ils pas fait une "guerre de libération" contre l’occupation Ottomane, avec l’aide de la République française ? Dès la fin du siège de Toulon de 1793, la France avait de bons généraux, le général Bonaparte par exemple, qui a dit, toujours en 1793, au Comité de Salut Public :"Les trois/quarts des hommes ne s'occupent des choses nécessaires que lorsqu'ils en sentent le besoin ; mais justement alors il n'est plus temps"; au lieu de se battre en Égypte contre les Mamelouks, il se serait battu en Algérie contre les Janissaires ; un Royaume Arabe aurait été fondé et le vent de l’Histoire aurait changé !