L'HEURE DES COLONELS 1

 


 Création le 4 janvier 2022

Cet article fait suite à celle du livre « Le temps des Léopards » d’Yves Courrière

LE DERNIER QUART D’HEURE

Les Léopards ont détruit l’organisation FLN d’Alger. Les responsables sont en fuite. La grève insurrectionnelle a été une erreur monumentale. Les quatre chefs de la révolution
se séparent. Rendez-vous à Tunis. Quand ? Quand Allah le voudra ! Krim, pour déjouer les pièges, marche à travers le djebel. Il constate qu’en Kabylie, les djoundi ne combattent plus, mais prient ! Et l’arrivée de Krim a été annoncée deux mois à l’avance ! Il est furieux. Et justement, il se trouve en pleine opération des chasseurs alpins. Krim et ses compagnons se sauvent de justesse. Moins de 500 kilomètres les séparent de la frontière tunisienne : ils vont mettre trois mois pour y parvenir.

Robert Lacoste saisit l’occasion pour appliquer son plan de réformes permettant à un plus grand nombre de musulmans d’accéder à la fonction publique. Or le général  de Gaulle souhaite reprendre contact avec l’Algérie, et il est détesté par la population d’Alger. S’il y vient, ce sera la pagaille. On préfère l’accueillir à Colomb-Béchar.

Lacoste veut faire comprendre à tous ce qu’est la guerre psychologique. C’est le général Allard, spécialiste de cette guerre en Indochine, qui trace les grandes lignes de l’action psychologique, armature indispensable d’une pacification réussie. L’objectif n° 1 de l’armée est de libérer la population du « manteau de la peur » qui la paralyse. Après avoir détruit, il faut construire. L’un des exemples est celui de Jean Servier, qui connaît très bien les Algériens. Au nord ouest d’Orléansville que va se dérouler l’une des plus étonnantes expérience de pacification. C’est Jean Servier qui va la mener. C’est lui qui, le 1 novembre 1954, a relevé le corps de l’instituteur Monnerot. Il parle l’arabe, le kabyle, le chouia,  etc. On l’envoie vers Tizi-Ouzou. Les Kabyles lui parlent de l’affaire « Oiseau bleu » où les militaires ont armé avec la plus grande inconscience une katiba du FLN. Servier est envoyé dans un douar où les habitants ont tué, à coups de hache, des percepteurs du FLN. Servier leur donne des fusils, donne des soldes avec des crédits civils, récupère des véhicules hors d’usage que les habitants réparent, crée une assistance féminine mixte, commande des pataugas à une entreprise privée, donc, en faisant le contraire de ce que font les militaires, tout va bien ! …

Servier retrouve à Alger le colonel Leroy, un Eurasien très exceptionnel, qui recrute ses hommes dans les camps de prisonniers. Dans un bar, ils font partie d’un groupe un peu éméché, dont l’un des membres « casse la gueule » à Leroy. Mais il est admirateur de Servier : c’est Jean-Marie Le Pen, député de Paris et rengagé volontaire.

Bachagha Boualem

La politique des harkis se développe à une vitesse prodigieuse. Le Bachagha Boualem lève une petite armée, et joue la France gagnante. De nombreux paysans viennent rejoindre le Bachagha. Pour leur permettre de vivre, il « réquisitionne » les terres abandonnées par un colon. À sa demande d’aide, le préfet répond : « Estimez-vous déjà heureux que je ne vous fasse pas inculper de bris de clôture et de rapt de propriété. » (sic). Le Bachagha deviendra vice-président de l’Assemblée nationale, de 1958 à 1962. Les harkis sont rattachés à l’armée. Servier se voit attribuer un bureau au Gouvernement général : il démissionne.

Bellounis

Le capitaine Combette découvre en Kabylie une sous-administration effarante, qui non seulement ne fait rien, mais veut récupérer du « fric ». Il proteste : « La causerie stérile ne peut seule briser l’élan de la rébellion. »  Puis c’est l’affaire de Melouza : d’abord FLN, les habitants se rallient au général Bellounis, du MNA. Celui-ci souhaite se rallier à la France. C’en est trop pour le FLN qui massacre le village. (ajoutons au récit de Yves Courrière, que les pioches utilisées par le FLN ont provenu d’un chantier de piste de la SAS voisine de Harraza). L’administration française fait de cette affaire locale une affaire internationale.

Une dissention éclate entre Arabes et Kabyles. En quelques jours, plus de mille Kabyles sont assassinés. Si Cherif, ancien sergent-chef de l’armée française, est associé à l’extermination des Messalistes, ce qui enflamme l’honneur arabe contre ces « Kabyles de malheur ». Finalement, il se rallie à l’armée française.

De son côté, Bigeard  a réussi de se sortir du « merdier » d’Alger. Par ailleurs le barrage aux frontières de la Tunisie n’est pas encore achevé, et les convois d’armes et de munitions peuvent circuler aisément. Bigeard veut tendre une série d’embuscades  au commando Ali Khodja. Les combats durent trois jours. La résistance de ce commando  suscite l’admiration de Bigeard.

À Paris, le jeu de massacre politique reprend de plus belle. La réforme envisagée ne sera jamais appliquée, alors qu’on commence à penser à un nouveau statut pour l’Algérie, alors que celui de 1947 n’est pas appliqué. On pense à un statut fédéral interne à l’Algérie …

Ouamrane

Au printemps 1957, le FLN de Tunis est au bord de la catastrophe. Bourguiba est furieux de la mésentente entre les factions rivales, mais il fait confiance à Ouamrane qui allie au courage physique du militaire la souplesse du diplomate.

La construction du barrage de barbelés à la frontière tunisienne avance à pas de géant, mais une caravane chargée d’armes et de munitions passe sans se faire remarquer, malgré la bande ratissée, qui jouxte le barrage en construction.

Près de 600 SAS sont maintenant implantées sur le territoire algérien. Soins médicaux, recensements, ouvertures de chantiers, mais aussi action psychologique. Pourtant Yves Courrière souligne : « Combien ai-je entendu d’officiers, parmi les plus purs et les plus enthousiastes au départ, se lamenter sur l’apathie de la population … »

À Alger, Lacoste et son entourage sont conscients de la situation dérivant de la bataille d’Alger : « Si les Européens retrouvent la sécurité, ils retrouveront les moyens de pression politique qu’ils avaient avant. Il n’y aura rien de changé … ». Mais beaucoup de Français d’Algérie sentent qu’il faut maintenant  chercher une solution constructive. Et les musulmans prévoient qu’il faut se contenter d’une étape intermédiaire,
comme la loi-cadre de 1947, mais sincèrement appliquée, ainsi que le collège unique. 

Le capitaine Léger, un as du retournement des adversaires en Indochine, crée à Alger un commando de fellaghas "retournés" , ce qui lui permet de réorganiser, sous sa coupe, le FLN à Alger, avec l’aide de son adjoint Hani. Il ne lui reste plus qu'à tout écraser le moment venu. Mieux : cela réussit à provoquer une auto-épuration par la torture dans la wilaya.

Salan reçoit les renforts considérables du contingent, qu’il avait demandés. Mais les jeunes ne sont pas entraînés à la guérilla. On fait des zones interdites, des camps de regroupement, avec distribution de nourrituree et eau courante, que les femmes n’avaient pas dans leurs gourbis. Un travail admirable est accompli par certains officiers SAS de valeur. Mais les camps de regroupement facilitent l’infiltration des fellaghas. Le pourrissement gagne l’Algérie, où personne n’a plus confiance en personne. Le contre-terrorisme s’infiltre dans l’armée et l’administration, et le fonctionnement des SAS devient un beau rêve, ou une corvée.

Côté colons, le désordre s’installe, avec assassinats. Côté rébellion, assassinats également, et surtout recherche internationale d’armes et de munitions. Chaque représentant FLN dans une capitale a désormais l’ordre de récupérer le plus d’armes possible (de l’ordre de 100 dollars la mitraillette).

Jean Servier

La suite au prochain article : « L’heure des Colonels 2 »