LES FEUX DU DÉSESPOIR 2

 


 Création le 21 janvier 2022
Cet article fait suite et fin à « Les Feux du Désespoir 1 » d’Yves Courrière.

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LA LEVÉE DE BOUCLIERS

Pour l’émission de la télévision française « Cinq colonnes à la une », un avocat, Maître Popie, évoque  la possibilité d’une République algérienne libérale. Il sera assassiné. L’O.A.S (Organisation de l’Armée Secrète) est créée en vue de la prochaine guerre civile. Le nouveau Délégué général, Jean Morin, n’est pas conciliant, c’est le moins qu’on puisse dire : en fin d’altercation téléphonique, il réussit à casser son téléphone !

Depuis l’échec des pourparlers de Melun, le G.P.R.A. souhaiterait des pourparlers secrets si possible. De Gaulle nomme Georges Pompidou comme ambassadeur. Les premières rencontres démarrent le 7 avril 1961 à Evian. Boumedienne estime que le G.P.R.A. n’est pas à la hauteur. De son côté, De Gaulle décide une trêve unilatérale, une aubaine pour l’ALN, mais une catastrophe dans l’esprit des militaires, et dans celui des partisans d’un putsch. La situation devient explosive. On attend la conférence de De Gaulle du 11 avril. Celui-ci parle de décolonisation au profit d’un État « souverain ». Les partisans du putsch se comptent, mais la préparation se fait tant bien que mal. À Paris, on sait que quelque chose se prépare. Le 22 avril, c’est parti, du moins en partie : il y a plus de défilement que de défilés !

De Gaulle préfère sagement attendre avant de réagir. À Paris, l’État d’Urgence est proclamé par le Conseil des Ministres. Dans la forêt de Rambouillet, 2 000 putschistes en uniforme para attendent en vain le déclenchement en métropole. En Algérie, il y a plus de déraillements que de ralliements. Après un rapide bilan, l’Algérie coupée de la France peut « tenir » 15 jours. L’O.A.S. armée commence à fonctionner. Pour l’armée, c’est la pagaille entre pro et anti putsch.

Le 23 juin, le Président De Gaulle, en tenue militaire, apparaît à la télévision : « Un pouvoir insurrectionnel s’est établi en Algérie par un pronunciamento militaire … ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite … Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens, je dis TOUS LES MOYENS, soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire … »

Le général Challe se rend compte que tout est perdu. Il veut se rendre, alors que des milices armées quadrillent Alger. Mais au bout de quatre jours, le putsch est terminé.

L’ULTIME ESPÉRANCE

C’est le moment de la purge, d’intensité variable. Quant à la trêve unilatérale décidée sans contrepartie, Yves Courrière estimera que cette trève a été un échec, minimisé dans la mesure du possible. En quelques semaines, l’infrastructure du FLN se reconstitue … sans respecter cette trêve. L’armée des frontières, bien organisée par Boumedienne, est devenue l’outil rêvé de conquête du pouvoir politique.

Pour bien commencer, des activistes assassinent le maire d’Évian. Toutes les précautions sont prises de part et d’autre des délégations pour assurer leur sécurité.sous les directions de Louis Joxe et de Belkacem Krim. Les différends majeurs sont l’avenir du Sahara et la situation des Européens. De Gaulle estime que le Sahara appartient à tous les États limitrophes ; quant aux Européens, Krim estime qu’il doit y avoir une cohabitation. Au bout de 15 jours, c’est l’impasse.

Depuis le 26 avril, l’hostilité des pieds-noirs se cristallise sur les gendarmes mobiles. Le 3 mai, un tract annonce que « la guerre commence ». Des charges de plastic explosent un peu partout. Les attentats du FLN se multiplient. À tout hasard, De Gaulle évoque un projet de partition en Algérie ... Il refuse d'envisager la réalité : le  problème du futur rapatriement des Européens d’Algérie. Celle-ci est devenue un château de cartes sous la tempête.

Joxe tente un rapprochement avec Krim : c’est un échec. En août, les responsables militaires du FLN durcissent leurs positions, secrètement soutenus par Boumedienne.

Jean Morin a eu pour consigne de ne prendre contact ni avec les Européens, ni avec les Musulmans … pour ne pas se laisser intoxiquer !

Le 5 septembre 1961, nouveau discours du Président De Gaulle, qui cède aux exigences du FLN sur le Sahara et prononce le mot fatidique : « dégagement ».

L’APOCALYPSE

Opération casserolles

L’O.A.S. commence sa campagne d’affichage et récolte son trésor de guerre de gré ou de force, et descend les « môvais », qui veulent livrer leur belle terre d’Algérie aux bandits FLN. Les Algérois déclenchent « l’opération casserole », un charivari comme jamais la ville n’en avait entendu. Salan ordonne une opération « embouteillage » : tititi tata. Mais il y a aussi l’explosion des charges de plastique et les assassinats. 

 

Roger Degueldre

Un jeune parachutiste, Roger Degueldre, fondateur et numéro un des "commandos delta" de l'OAS, sera condmné à mort.

À une quarantaine de kilomètres à l’est d’Alger, le Gouvernement Général établit ses bureaux à Rocher Noir. En métropole, le 8 septembre à Pont-sur-Seine, De Gaulle échappe à un attentat. D’attentats en attentats, Alger est prise de folie. Et Yves Courrière de poursuivre son livre sur les événements d’Alger dont il est le témoin … Peu de nouvelles sur les « barbouzes » et leurs méthodes d’interrogatoire, aussi musclées que les autres.


Raoul Salan

Dès le 15 janvier 1962, le général Salan décrète la mobilisation générale, qui s’applique à toute la population française d’Algérie : tout départ du territoire algérien sans autorisation sera puni de mort … L’O.A.S. fait exploser la maison des barbouzes. À Paris, manifestation monstre contre l’O.A.S. ; l’heure est venue de franchir le dernier pas : se débarrasser des départements d’Algérie, et vite.



Au sein du G.P.R.A. on a hâte d’en finir. Un groupe est autorisé à visiter les prisonniers hébergés au château d’Aulnoy, où ils vivent comme des princes. Ben Bella, Ben Yahya, Rabat Bitat, Ben Tobbal, Khider, Belkacem Krim, Boudiaf, Aït Ahmed s’y font photographier.
 
Les négociations vont reprendre dans un chalet des Rousses : le Yéti. Pendant huit jours, les membres des délégations luttent pied à pied :  restent deux problèmes : la composition de l’Exécutif provisoire, et le sort des Français d’Algérie. De Gaulle finit par accepter d'être d’accord sur tout.

Pour Salan, c’est une véritable déclaration de guerre, et Alger devient un enfer. Les « Deltas » tuent avec inconscience, malgré l’écœurement qui gagne les Européens.

Le 18 mars en début d’après-midi, c’est la signature des accords. Mais à Alger, mais aussi à Oran, c’est la guerre civile. Mais pourquoi avoir envoyé des tirailleurs algériens pour contrer la manifestation d'Alger ? L’accrochage, rue d’Isly, fait 46 morts et 200 blessés … Puis Salan est arrêté.

Du côté FLN, la situation est tout aussi mauvaise : les volontaires de dernière minute, surnommés les « martiens » vont torturer et assassiner en toute liberté les Français d’origine algériennes. Et Courrière d’ajouter : « Le 17 juin 1962, la guerre d’Algérie venait enfin de se terminer ». Mais l’exode final des Européens vient de commencer. Au vote pour ratifier le « cessez-le feu » il y a près de 6 millions de OUI, contre moins de 17 000 NON. L’Algérie devient indépendante le 5 juillet 1962.


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Yves Courrière est décédé cinquante ans plus tard. Son histoire de la guerre d’Algérie est tout à fait remarquable ; elle lui a demandé un travail considérable. Outre ses contacts personnels à Alger,  il s’est référé à plus de 120 ouvrages sur le sujet. Mais il est normal qu’il ait commis quelques omissions, tellement le sujet est complexe. Par exemple :

- La fraternisation de la Casbah au Forum, en 1958, ne s’est pas faite spontanément : c’est Gérard Lambert d’Ortho, gérant d’un domaine agricole près d’Alger, qui a pris l’initiative de venir avec ses employés et leurs épouses dévoilées, rejoindre les Européens au Forum. Il a en quelque sorte « allumé le feu », ce qui a permis aux habitants de la Casbah de venir les rejoindre en toute sécurité, avec le succès que l’on connait.

- Comme Courrière était présent à Alger, il n’a pas pu constater que le désordre qui y régnait n’existait pas partout, comme par exemple à Sétif. Le film que nous y avons pris, lors des fêtes de l’indépendance, montre bien à quel point la situation y était favorable à l’amitié franco-algérienne.

- Les différences de suffrages pour la ratification de l’indépendance ne l’ont pas étonné. Déjà, pour le référendum sur l’autodétermination, nous avons connu au moins un trucage ; combien ont suivi ? (comme d’hab !) 


- La guerre d’Algérie ne s’est pas terminée au "cessez-le-feu" : ce qui fait qu'il n'y a pas un mot sur les dizaines de milliers de musulmans français torturés et assassinés pendant l’année qui l'a suivi, sans compter le silence impuissant du gouvernement français, qui n'a pas vraiment souhaité l’arrivée en France de ces personnes, sous le prétexte qu’elles n’étaient pas françaises (comme nous l’a confié plus tard Alain Peyrefitte,
qui était Secrétaire d'État à l'Information en 1962) …

- Il était très facile de prévoir que les actions engagées par le FLN aurait un retentissement négatif dans les années futures : cela a été la « décennie noire » de 1990, une guerre civile qui aura coûté aux Algériens une centaine de milliers de victimes.

Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.