LES FEUX DU DÉSESPOIR 1



Création le 16 janvier 2022

Cette recension est la suite de celle du livre d’Yves Courrière : « L’Heure des Colonels »

LES OCCASIONS MANQUÉES

L’atmosphère est à l’orage. Paul Delouvrier franchit, impassible, les degrés du perron de l’Élysée où le général De Gaulle l’attend pour lui « fendre l’oreille ». Pourtant, il a réussi à  se sortir du pétrin des Barricades sans faire couler une goutte de sang. Mais qu’une poignée de braillards ait pu se dresser contre le pouvoir, pendant une semaine, est un accroc à la dignité du Général. De Gaulle le reçoit, impassible.

À Alger, au sommet de la hiérarchie, c’est la grande valse. De Gaulle envoie Messmer, Ministre des Armées, épurer un État-major par trop activiste. Et Challe peut reprendre ses opérations victorieuses dans l’est de l’Algérie ; il pense sincèrement que l’on pourrait bâtir une Algérie nouvelle avec de jeunes nationalistes, en quelque sorte décoloniser par promotion. C’est l’opération « Pierres précieuses », suite de l’opération « Jumelles ». Le nouveau ministre des Armées, Pierre Messmer demande aux paras du 1er REP de faire seulement la guerre, sans penser à rien de plus :  résultat, ils n’ont plus le cœur à l’ouvrage.

Les paras escaladent une brèche montagneuse du barrage électrifié,  Que voient-ils ? À quelques centaines de mètres plus bas, en territoire tunisien, un village FLN, dont les habitants s’enfuient, mais laissent sur place le matériel et les munitions. « On » leur interdit de s’y rendre ! Ils s’y rendent quand même et détruisent le tout.  Plus  ils se retirent …

Challe, Jouhaud, Zeller
 

De Gaulle fait une deuxième « tournée des popotes » uniquement pour les militaires. Il y déclare : "L’indépendance serait une sottise. Ce seront les Algériens qui décideront. Je crois qu’ils diront : une Algérie Algérienne, liée à la France. » Et il en profite pour « démissionner » le général Challe.

Après l’assassinat d’Abbane par ses pairs, les dirigeants du FLN sont resté divisés entre civils et militaires, mais ils constatent aussi que la masse des Européens commence à se diviser, elle aussi. Krim doit céder, et c’est Houari Boumediene qui devient, à 35 ans, le chef suprême des armées. Il réorganise les 12 000 hommes de l’armée de Tunisie pour  rendre celle-ci indispensable.

Delouvrier réorganise aussi son équipe : Jean Vaujour débarque avec sa famille le 23 avril 1960. Le général Crépin remplace Challe. François Coulet, plus gaulliste que De Gaulle, fait un travail remarquable,
partout où il passe.  À Alger, il devient « l’oreille » du Général. Les militaires ont un objectif, qu’ils confient aux officiers SAS : former doucement des élites à l’échelle de quinze ans. De Gaulle accorde son soutien au préfet Belhaddad, lequel est furieux de l’immobilisme des autorités civiles et militaires.

Delouvrier convoque à Alger une réunion monstre des officiers SAS, pour leur donner un nouvel objectif : amener les populations à choisir librement leur destin. Dans un pays où la raison du plus fort est toujours la meilleure, l’indignation est grande. De leur côté, les Européens sont plus fermés que jamais.

Si Salah

Côté wilayas, la confusion est aussi grande devant une situation désespérée. En wilaya 4, le chef de l’Algérois Si Salah  exprime en termes violents à son État-major le désarroi, le désespoir, et la fureur de ses hommes : le recrutement devient impossible, et ni les renforts ni les armes ne lui parviennent. Or le service d’écoute français intercepte le message : c’est une occasion rare d’exploiter le renseignement. Un vieux  cheikh servira d’intermédiaire. L’Élysée donne son feu vert. Une première rencontre secrète a lieu à la préfecture de Médéa. Objectif : comment maintenir un cessez-le-feu jusqu’à l’autodétermination, c’est à dire jusqu'à la fin de la domination européenne. Une condition préalable pour les chefs de la Wilaya : renseigner le GPRA et les autres wilayas, sous deux mois. Si Salah, chef de la Wilaya, paraît très sympathique et parle facilement. Pour sceller ce pacte inédit, la délégation de la Wilaya souhaite rencontrer à Paris une haute personnalité : c’est le général De Gaulle lui-même qui la reçoit cordialement, et dans le plus grand secret.

Quatre jours plus tard, De Gaulle renouvelle, dans un discours radio-télévisé, son appel solennel  au cessez-le-feu, en mentionnant la « République algérienne, laquelle existera un jour, mais n’a encore jamais existé ». Du côté des hauts fonctionnaires, c’est un chassé-croisé de départs et d’arrivées, dans une atmosphère trouble. Quant au GPRA, il fait la tournée des pays « amis » : URSS, pas très coopératif ; Chine, très coopérative ; pays arabes, mélange de sucre et de fiel. Les Européens d’Algérie ne savent plus à quelle branche se raccrocher.

De Gaulle essaie de comprendre ce qui se passe en Algérie, en nommant un ami de 1940 : Coup de Fréjac. Pour ce dernier, la passion fausse tout. Delouvrier interdit à Salan de vivre en Algérie, en tant que simple citoyen. Dans la rue d’Alger, une insurrection se prépare contre le prochain voyage du général De Gaulle. Celui-ci, dès son arrivée, prend un bain de foule. Mais au-delà des manifestants « Algérie française », il va à la rencontre des musulmans, qui crient « Algérie algérienne » … Il poursuit sa tournée de Tlemcen à Orléansville, avec les mêmes réactions qu’à Alger. Une véritable marée humaine s’y répand, avec drapeaux verts et blancs.


Émeute de Belcourt

À Alger, dans le quartier de Belcourt, c’est une émeute musulmane devant l’inertie des gendarmes ; les parachutistes arrivent  à la contenir. Une véritable guerre civile commence à Alger. L’annonce des manifestations a un immense retentissement à l’ONU. Et maintenant, Khroutchef est favorable au GPRA.

L’idée d'un putsch nait chez quelques généraux. Le 8 janvier, un référendum en métropole donne la majorité à De Gaulle pour "les débarrasser du boulet algérien". Le Général décide d’engager d’abord les négociations.

La suite dans un prochain article.