LE TEMPS DES LÉOPARDS 3

 


 Création le 1 octobre 2021

Albert Camus  tient à participer à une manifestation de groupe, où il prendra la parole en même temps que des représentants des autres tendances et confessions. Il insiste sur le fait que cela aura le caractère de nouveauté et de persuasion nécessaires.

Lorsqu’il arrive le 18 janvier au soir, il est décidé à une « guerre sainte » des libéraux pour répondre à la guerre sainte des Arabes. Or la situation en Algérie devient de plus en plus tragique. La situation a terriblement évolué.

En réunion préparatoire, il est décidé que l’entrée se fera sur invitation. Camus est mis en garde contre une éventuelle agression .

Dans la salle, c’est une extraordinaire atmosphère de fraternité. Sur la place du Gouvernement, le tumulte est à son comble. Ferhat Abbas arrive en retard, Camus l’embrasse et poursuit son intervention : il craint un divorce définitif . Quand il rencontre Guy Mollet, celui-ci est décevant : son assurance prouve une méconnaissance totale de l’ambiance d’Alger. Il propose des élections libres au collège unique. Or les excités d’Alger veulent montrer leur puissance et imposer leur volonté. 

Jacques Soustelle
Le départ de Soustelle est émouvant, car les pieds-noirs voient en lui  leur sauveur.

Une page de l’histoire de l’Algérie est tournée. C’est l’incompréhension totale et définitive avec les Musulmans. Non au collège unique, non aux réformes. La guerre d’Algérie est engagée. Le conflit a atteint son point de non retour.


Robert Lacoste
                                                          

LES COLÈRES DE LACOSTE

Mendes-France revient au pouvoir. Guy Mollet : « L’objectif de la France est de maintenir l’union indissoluble entre l’Algérie et la France métropolitaine, de respecter la personnalité algérienne. Nous n’acceptons pas qu’une solution de force soit imposée. »

C’est le déchaînement à Alger. Les anciens combattants sont harangués par un avocat venu de Paris, Jean-Baptiste Biaggi, qui va orchestrer l’agitation, qui explose contre le général Catroux, que Guy Mollet est obligé, devant la force, de démissionner. Mollet demande, comme un service, à Robert Lacoste
de prendre la suite. Les amis de celui-ci : « Tu es fou d’y aller … tu vas dans un merdier … »

Lacoste, jovial, boit le coup, discute, s’informe, bavarde, farfouille avec joie dans les ragots. Il s’entoure d’une bande de fidèles. Il est fermement décidé à être le Clémenceau de la guerre d’Algérie. Le général Beaufre propose à Lacoste de partager les régions en zone de pacification et en zone d’opération.

La situation se dégrade dans les Aurès : les tirailleurs marocains refusent de se battre et veulent être rapatriés au Maroc. Lacoste sent que pour lutter contre la rébellion tentaculaire, il va devoir exiger de Paris un effort accru.

Une nouvelle retentit : l’aspirant communiste Maillot s’est enfui avec un camion d’armes destinées  un maquis communiste, avec la prétention de participer à la révolution du FLN, ce que ce dernier refuse. Du coup les communistes ne livrent qu’une partie des armes volés. De son côté, Lacoste applique sa politique : lois sociales et matraquage.

Le torchon brûle avec Ben Bella, qui prétend diriger tout le monde à partir de l’Égypte. Et puis Nasser échange l’arrêt des émissions de propagande, contre l’achat par la France de la récolte du coton égyptien … Et Ferhat Abbas arrive au Caire « comme un cygne au milieu d’une portée de canards en colère ».


Capitaine Krotof
Le 8 mars 1956, une unité de l’ALN, forte d’une centaine d’hommes et fortement armée, accroche une unité de la Légion étrangère qui subit en plus la désertion de soldats allemands. Le 11ème choc est appelé à la rescousse. Le capitaine Krotof emmène ses quarante « gus » en hélicoptère. Une vingtaine de prisonniers sont face à terre. À la dernière fusillade, Krotof est tué, lui qui obligeait ses hommes à porter une plaque d’acier dans la poche poitrine gauche, a négligé cette précaution. L’encombrante vingtaine de prisonniers est exécutée. Krotof obtiendra aux Invalides des obsèques de général d’armée, qui entreront dans la légende du 11ème Choc.

À Alger, Lacoste est hué par la foule des pieds-noirs. Maintenant, les journaux sont pleins des exactions et des attentats, qui frappent indifféremment Musulmans et Européens. Quant aux étudiants, qui sont les plus remuants, Lacoste ne veut pas les massacrer, il expulse, le jour-même, leur professeur, et l'exile vers Paris. 

Jacques Massu

 

Et les rappelés arrivent. À plein bateau, l’avant-garde des 200 000 hommes demandés.
Mais les rappelés sont logés dans des camps innommables, où rien n’est prêt pour les recevoir. Leurs chefs sont souvent d’une grande médiocrité. Totalement débutante, une patrouille française se fait massacrer aux environs de Palestro. Ils se font venger par le général Jacques Massu. 

 Algérie, octobre 1956. Le chef d'escadron Jean Pouget est désigné pour prendre le commandement du " plus pouilleux des bataillons d'infanterie ", que l'on cache aux étrangers dans les montagnes désertiques du Sud, en disant de lui : R.A.S. " !  Il réunit les officiers et les sous-officiers. Il en dégrade plusieurs sur-le-champ. Il dégage aussi l’adjudant responsable de la cuisine. Le lendemain, rassemblement général. Les hommes sont invités à se laver, à se raser. Le surlendemain, départ en opération à cinq heures. Le soir, apprenant que quelques-uns de ses hommes ont pillé deux magasins, il décide de faire rentrer à pied, soit 70 kilomètres. Ensuite, il passe devant une guitoune, et entend une voix qui dit « Vous me faites dégueuler. Moi, le commandant, je vais le buter ! Je vais me le faire au couteau. » Pouget entre dans la guitoune. Il inflige un énorme aller-retour dans la figure. L’histoire fait le tour du camp. Les premiers « léopards » rappelés sont nés.

Insensiblement, l’Algérie s’habitue à la guerre. Grâce à cette marée de jeunes qui viennent de France, le commerce est florissant. En ce qui concerne l’administration de l’Algérie, Lacoste et son adjoint Chaussade tentent de simplifier la vie administrative, qui est tentaculaire, Il doit lutter sur deux plans : contre les groupes de pression européens, et contre le FLN.

Mais il y a aussi le comportement de jeunes Algériennes, qui veulent participer à l’effort de guerre du FLN. Certaines transportent impunément des armes dans leur bagage, d’autres veulent aller au maquis. Tout cela n’est pas simple à résoudre.

Les Chefs du FLN décident de faire un congrès, qui sera appelé « Congrès de la Soummam ». Premier incident : lors d’une embuscade de routine, le mulet qui transporte tout le secrétariat de la future conférence et 500 000 anciens francs est pris de panique et regagne sa caserne de goumier, où il a été volé.

Il est question de ce village kabyle d’Ion Dagen soumis à un carnage d’un millier de morts par Amiroucbe. Puis les 13 membres créent le Comité  de coordination et d’exécution et le Conseil national de la révolution algérienne.

Un violent attentat à la Casbah d’Alger est commis par des excités extrémistes, et plonge Alger dans la folie. En contre-partie, e FLN organise des ateliers de bombes dans la Casbah, et charge de jeunes femmes de les transporter dans le « quartier européen ». Et c’est l’attentat du Milk Bar, le début inexorable de la terreur et de la haine.

Le 16 octobre, le navire l’ »Athos », venant d’Égypte, qui apporte une cargaison d’armes au Maroc est capturé au large d’Oran. Quelques jours plus tard, a lieu l’arraisonnement de l’avion privé affrété par le sultan du Maroc et transportant les chefs FLN de l’extérieur au grand complet. Mais cela supprime la possibilité de négociations secrètes avec le FLN.

Fernand Yveton, tourneur sur métaux à l’usine à gaz d’Alger, et militant communiste proche du FLN, Pour introduire une  bombe, il a du, depuis quinze jours, habituer ses compagnons de travail à le voir entrer dans l’atelier avec un sac de plage, dans lequel il a placé un bleu de travail. On lui a prévu deux bombes, mais son sac est trop petit, et Jacqueline Guerroudj celui en laisse qu’une. Or il laisse son sac dans son casier au vestiaire. Un ouvrier qui passe entend un tic tac et téléphone au commissariat  du 12ème arrondissement, qui récupère la bombe, mais aussi un papier qui indique l’existence de la deuxième bombe. Interrogé, Yveton explique l’histoire. De son côté, la femme dépose la deuxième bombe non amorcée dans un véhicule de police !

Par élimination, Lacoste décide de changer le chef de l’armée en Algérie. C’est le général Raoul Salan qui est nommé : « ni trop vieux, ni trop con, et qui ne trimballe pas de casserole ». Il est surnommé « le Chinois ». Il a pratiqué et subi la guerre révolutionnaire. Salan joue le jeu de la grandeur, de la  dignité, de l’efficacité militaire, en tant que patron de 400 000 hommes.

Le mécanisme de la terreur devient de jour en jour plus atroce. Il s’agit maintenant d’assassiner des leaders pied-noirs; c’est Ali la Pointe qui est chargé d’assassiner le Président Amédée Froger, Président de l'Interfédération des maires d'Algérie. Son enterrement donne lieu à une immense « ratonnade », avec la complicité de la police algéroise.

Un coup d’état militaire est en préparation par le général Faure pour arrêter Lacoste dans la nuit du 29 au 30 décembre. À Paris, tout le monde est au courant. En Algérie, Lacoste cède ses pouvoirs civils de police à l’armée. Le 7 janvier, retour d’Égypte, les léopards de la 10ème D.P. prennent possession de la capitale. La Bataille d’Alger va commencer.

La suite dans un prochain article