LES FILS DE LA TOUSSAINT 2

 

  

Création le 23 juin 2021

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Dimanche 31 octobre dans les Aurès. Plus de 150 hommes viennent d’arriver. Ils dégagent la cache où se trouve les armes qui doivent servir cette nuit. Ils sont devenus des loups silencieux. Ils vont attaquer la caserne pour y prendre les armes. Les ordres sont formels : « Ne tuer en aucun cas les civils. Ne toucher ni aux vieillards, ni aux femmes ; ni même aux sentinelles si elles ne se défendent pas ».

Le général Cherrière et Jacques Chevallier se téléphonent : «  Oui, tout va bien ; rien à signaler. Je crois que nous nous sommes un peu affolés … ». L’ethnologue Jean Servier ne comprend rien à ce qui lui arrive : le caïd lui a dit « Demain tu dois partir » Et très vite : « Le collecteur d’impôts doit arriver demain. La population sera très montée contre les Européens … ». Le talib (maître d’école coranique) l’invite, devant tout le monde, à manger un couscous à la mosquée ;  en clair, il le prend sous sa protection.

Alger, 17 heures, le 31 octobre 1954. L’heure H est fixée à la  nuit  prochaine à 1 heure. Un commando d’une dizaine d’hommes va dresser une embuscade dans les gorges de Tighanimine ; les ordres sont de stopper toute circulation et de tuer les musulmans dont on connaît les sympathies pro-françaises. D’autres commandos vont tendre de petites embuscades.

Boufarik, 23h30. Préparation de l’attaque contre la caserne de gendarmerie pour piller les armes. Par manque de sang-froid et d’organisation, seulement quatre mitraillette et six fusil sont récupérés. D’autres attentats sont commis avec plus ou moins de dégâts. Quelques morts … En haut lieu, on s’aperçoit enfin que c’est bien le début d’une insurrection : il faut avertir Paris …


 

Le 1er novembre, le FLN diffuse une proclamation stipulant que son action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi du peuple. Son action a pour but :
1 - "Restauration" de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ;
2 - Respect de toutes les libertés fondamentales, sans distinction de race et de confession.

Cette proclamation est une excellente entrée en matière pour discuter des voies et moyens de parvenir pacifiquement à ce but.

 

La classe de Madame Monnerot

Les époux Monnerot viennent de se marier. Enseignants enthousiastes, ils ont commencé à organiser leurs classes. Après avoir déjeuné chez l’Administrateur de Arris, ils retournent quelques jours plus tard « chez eux » à Tiffelfel. Le conducteur du car est au courant de l’embuscade. Chihani Bachir, le chef du commando, fait arrêter le car, aperçoit le caïd Hadj Sadok et les deux jeunes instituteurs. Il les fait descendre. Mohamed Shaïhi, d’Arris, est le seul à avoir une mitraillette. Quand il voit son chef menacé par Hadj Sadok, il raffale. Les trois prisonniers s’affaissent. Contrairement aux ordres, Chibani repart dans le car en abandonnant « comme des chiens » les deux Français à leur sort dans les gorges de Tighanimine. Yves Courrière ne dit pas, à l’occasion de ses rencontres avec Belkacem Krim, quelle sanction indispensable a été prise par les responsables du FLN contre Chihani. En ne la prenant pas, le FLN a déjà trahi sa proclamation, et entraîné l’Algérie dans la spirale d'une guérilla longue et atroce. À Paris, le Président Pierre Mendès-France a tout de suite compris la gravité de la situation.


                                             Jean Servier

 Arris, 8h30 du matin, c’est l’affolement. Des hommes s’affairent dans la cour du bordj de la commune mixte autour de caisses d’armes éventrées et de caisses de munitions. L’ethnologue Jean Servier va rechercher les époux Monnerot, dès lors que les gendarmes ont refusé de le faire, dans la mesure où ils ne sont pas attaqués dans leurs locaux ! Madame Monnerot est encore vivante. À son retour, Servier est nommé Commandant d’armes. Il a toutes les peines du monde à récupérer les armes que l’administrateur, dans son affolement, avait distribué aux Européens. Le bordj administratif est transformé en camp retranché. Servier convoque l’agha des Ouled Abdi, qui veut rester neutre. Alors il lui dit que c’est la tribu rivale, les Touabas, qui est en rébellion. L’agha ne balance pas une seconde : « Donne-nous des armes. On y va. Il y a bien longtemps que je dis qu’on ne devrait pas laisser vivre ces fils de chiens ».

Des renforts d'auto-mitrailleuses arrivent à Arris, donc tout va bien !

La malheureuse et inconsciente population européenne d'Algérie va servir de masse de manœuvre à des groupes politiques, qu’elle appuiera de toutes ses forces. Quant aux réformes … quelles réformes ? Oui, on verra plus tard, bien plus tard. Quand l’ordre sera revenu ! On ne peut pas rendre un meilleur service aux hommes qui venaient de déclencher l’insurrection, alors que le premier réflexe de la population musulmane est de rentrer la tête dans les épaules.

Venu aux renseignements à Alger, le directeur de cabinet de François Mitterand indique que les autorités françaises en Algérie « ronronnent » doucement après ce coup de semonce porté par les insurgés algériens. La grande idée est de « passer les Aurès  au peigne fin ». Les plans militaires s’accumulent entre centres de regroupement, postes militaires, zones interdites, milices civiles européennes, harkas …

Mais c’est l’arrivée de la 25ème division parachutiste commandée par intérim par le colonel Ducourneau « Ducourneau la foudre », dont la légende remonte à l’attaque du fort du Coulon, défendu par la Kriegsmarine à Toulon lors du débarquement allié en 1944. Il y a fait connaissance d’un jeune lieutenant du commando de déminage : Jean Lartéguy. En Indochine, Bigeard a dit de lui : »Ducourneau ? Le seul type auquel j’accepterais d’obéir dans cette bande de cons » ! Il est idolâtré par ses hommes. 

D'un côté, les trois principes des chefs de l’insurrection algérienne :
- Mouvant comme un papillon dans l’espace ;
- Rapide comme une anguille dans l’eau ;
- Prompt comme un tigre affamé.

De l'autre, les quatre règles de Mao Tsé Toung :
- Quand l’ennemi avance en force, je bats en retraite ;
- Quand il s’arrête et campe, je le harcèle ;
- Quand il cherche à éviter la bataille, je l’attaque ;
- Quand il se retire je le poursuis et je le détruis.

Ducourneau n’a pas l’intention de laisser appliquer ces règles contre ses hommes, il aurait plutôt tendance à les appliquer lui-même. À  Arris, il rencontre Jean Servier. Il est un peut agacé par l’assurance du jeune savant, tellement proche de la population qu’il a même été demandé en mariage par une femme chaouïa ! Seulement en 15 jours …

 

                                         Messali Hadj

 

Pour tout le monde politique, c’est le M.T.L.D. de Messali Hadj qui a déclenché l’insurrection avec l’appui de l’extérieur : ce mouvement est interdit au bout de quatre jours. De son côté, le FLN recrute Yacef Saadi à Alger. Mais la police algéroise fait preuve d’une grand efficacité avec ses interrogatoires « musclés ».

À Paris, l’insurrection algérienne ne fait grand bruit : Septs morts, à côté de ceux de Dien Bien Phu et des  événements quotidiens au Maroc et en Tunisie, cela ne pèse pas lourd. Des parlementaire vont parlementer dans cette Algérie inconnue. Les « Européens » leur font un « cinéma » incroyable : « C’est la terreur, on n’ose plus sortir, les salles de spectacle sont vides ! ». Cette fois, c’est clair : si Mendès tente de faire d’un Algérien un Français, s’il passe aux réformes, on le coule.

Les hommes de Belkacem Krim apprennent la guérilla : se faire invisible le jour, ne se déplacer que la nuit, es réfugier dans les régions les plus déshéritées, ne se nourrir que de galettes et de figues, sans perdre le moral … Krim décide une action spectaculaire contre un entrepreneur de transport, Tabani. Il fait détruire un de ses convois, obtient une rançon et la fermeture de l'entreprise. Il gagne du prestige parmi la population locale.

Mais dans les Aurès, la situation empire. Il est décidé de bombarder les mechtas hostiles. De plus, une pratique scandaleuse est imposée par les juges : chaque soldat tué est considéré comme la victime d’un crime quelconque, et son corps doit être autopsié. Le juge demande parfois une reconstitution de l’accrochage ! 

Des avions lancent 80 000 tracts pour prévenir d’un futur bombardement de village, qui n'aura pas lieu.

                                          Belkacem Grine

Ducourneau lance ses paras dans des régions inexplorées de l’Aurès. Rapidement, il y a accrochage avec une bande rebelle : 18 prisonniers, 23 tués : c’est la bande de Belkacem Grine, « le chef au beau visage ». Très gros impact auprès de la population, et la guerre commence vraiment.