SIDI SALEM


Le domaine de Sidi Salem

Création le 9 juin 2020

Gérard LAMBERT d'ORTHO est celui qui a déclenché la fraternisation à Alger en mai 1958 : une page d'histoire soigneusement cachée, car elle aurait pu déclencher rapidement la fin de la guerre d'Algérie :

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Gérard Lambert d'0rtho, directeur du domaine agricole de Sidi Salem raconte l'histoire, inconnue elle aussi, de Sidi Salem : située à quelques kilomètres d'Alger. Voici son témoignage :

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J’ai hâte de vous raconter une histoire que je porte en moi depuis plus de trente ans ; tout en vous redisant que je bavarde facilement avec ceux que nous ne voyons plus, j’ai recollé les morceaux d’une page d’histoire, à travers souvenirs et documents authentiques.

PREMIER ÉPISODE - Extrait d’une communication de mon ami P. de Loye concernant les archives du général Ducrot, qui ont encombré Chamenay (mon domicile) avant de rejoindre Vincennes.

Jeune officier sous les ordres du Maréchal Bugeaud, en compagnie du duc d’Aumale et de son ami Yusuf, Ducrot participe à la campagne d’Algérie. 


Sedan 1870 : Ducrot à gauche, Bismark à droite
En 1870, Ducrot, devenu général, négociera avec Bismark la capitulation française à Sedan.

Poursuivant un jour avec ses goumiers l’Émir Abd el-Kader dans la chaîne des Seba Rouss, Ducrot aurait pu s’emparer de lui, en des circonstances que plusieurs années plus tard, l’Émir devenu ami de la France, lui rappellera lors d’une réception au palais de Napoléon III. Voici en quelques termes Julie, la fille du général à qui on doit ce récit nous rapporte la scène : « Quelques années après la reddition d’Abd el-Kader, celui-ci fut présenté au palais de Saint-Cloud au colonel Ducrot. L’Émir s’écria alors : « C’est donc toi ce cavalier au cheval blanc, qui me serrait de si près et qui a culbuté si à propos. Tu m’as fait ce jour-là courir un des plus grands dangers de ma vie, car moi-aussi, mon cheval était à bout, et si tu nous avais rejoint, nous aurions été hors d’état de combattre ! »




Et en souvenir de cette rencontre, l’Émir fit cadeau à Ducrot du superbe « moukala », fusil incrusté d’argent et de corail, celui-là même qui est sous vos yeux, et que nous devons à George Ducrot, qui le conserve comme une inestimable relique de son arrière grand-père, de pouvoir admirer aujourd’hui.

DEUXIÈME ÉPISODE
: Nous allons faire connaissance de SIDI SALEM

Je disais : une très belle page de l’histoire de Ducrot est celle de Ben Salem, chef redoutable qui avait ouvert la Kabylie à Abd el-Kader. Ducrot cherche par tous les moyens à faire sa connaissance, ce qui lui est facilité par le désir qu’a  Ben Salem de revoir son fils depuis trois ans captif en France.

Après avoir fait venir ce dernier, prenant ses repas avec lui, partageant la même tente, il le renvoie à son père, qui en sait un gré infini à Ducrot. Habillé en Arabe, Ducrot, accompagné seulement de deux chefs arabes, monte au Djurdjura  ; il est admirablement reçu par Ben Salem, qui promet sa reddition au Gouverneur, et qui tient parole.

Tout cela n’a pas été aussi simple, a demandé beaucoup de diplomatie à Ducrot, vis-à-vis de ses chefs. il risque sa carrière et sa vie et remporte sa plus belle victoire. Ducrot n’y gagne qu’un superbe cheval qu’Abd el-Kader avait donné à Ben Salem à la suite d’un fait d’armes, et qu’il nomme Salem en souvenir de son donateur. La force  n’étonne point les courages intrépides.

J’ajoute que la tradition orale assure que le cheval Salem a été le cheval de la poursuite dont il a été question, grâce auquel nous voyons ce superbe fusil.

TROISIÈME ÉPISODE


Dans l’excellent ouvrage de Peyrouton : « Le Maghreb » envoyé au pilon sur ordre de De Gaulle, se trouve le récit d’une bataille le 1er novembre 1839, qui va se terminer au bord de Fondouk, clôturant les combats.

Sidi Salem participa certes à cette opération, et c’est alors qu’il fit la connaissance des lieux et celle d’une population accueillante, après le désastre subi, outre les soins, après avoir partagé le pain et le sel … Il aimait revoir souvent ses amis, il allait revenir.

QUATRIÈME ÉPISODE

 

Ayant vécu 23 ans sur les lieux, la tradition orale me permet de poursuivre. J’écoute mes plus vieux ouvriers qui connaissent bien l’histoire de SIDI SALEM, dont le souvenir a marqué le pays ; tout cela n’est pas si ancien.

Avec les années, lors de ses retours, c’est un homme déchu, épuisé, ruiné, qui aimait retrouver ses hôtes du douar Ben Biala ; et c’est à l’ombre de l’immense olivier qu’il aimait prier, souhaitant y terminer sa vie. Ce vœu fut exaucé, et ce jour-là, autour de sa tombe, son culte allait naître et les lieux porteront son nom. Sa protection était souvent invoquée, il était utile dans les conflits. J’ai moi-même connu un voleur qui a préféré s’enfuir définitivement, plutôt que de jurer sur la tombe de son innocence.

Nos méchouis de fin de vendange nous réunissaient sous l’olivier qui inspira le livre et le film de Jean Pélégri (l’olivier de justice)

CINQUIÈME ÉPISODE


Je rends hommage à Gustave Pélégri (l’oncle de Jean), mon prédécesseur à la direction du beau domaine de SIDI SALEM ; Il fut pour la population un autre « marabout vénéré », transformant le pays en un immense verger et les hommes en planteurs, greffeurs, tailleurs experts. Plus des trois quarts des vergers des trois communes étaient propriétés des musulmans.

Le prestige de Pélégri était tel qu’il ne fut pas facile à ses successeurs de s’imposer. Un jour cependant, face à la tourmente, une véritable fraternité allait grandir sous la protection de Sidi Salem. Et je ne citerai qu’un exemple : Sébaoui, mon fidèle contremaître, me confie :
- C’est moi qui, fusil dans le dos, ai mis le feu à la meule de fourrage, car j’avais refusé aux FLN de faire ouvrir ta porte pour t’enlever ».

Cela ne s’oublie pas. Si nous protégions nos harkis face aux excès de l’armée, ils assuraient en retour notre sécurité.

SIXIÈME ET DERNIER ÉPISODE


Sébaoui était fort discret et prudent. Je ne lui posais jamais de questions sur mes prédécesseurs (l’un d’eux fut assassiné), mais un jour je lui demandai ce que représentaient ces petits tas de terre, très nombreux autour du tombeau de Sidi Salem. Sébaoui me confia alors qu’il s’agissait des sépultures faites de nuit par les femmes du douar venant de perdre l’enfant espéré. Un morceau de leur robe était partagé en deux rubans, dont l’un fixé en terre, et l’autre accroché aux branches de l’olivier.




Ces femmes confiaient à Sidi Salem le prolongement de la vie de leurs enfants et leur foi dans l’Au-delà. Cet hymne à la vie, quelle leçon pour notre civilisation.

Je souhaite que ces notes inspirent un jour une grande plume, et puis : « Salem Alikoum » à Jean Kersco ! (Voilà pourquoi nous publions cette histoire).

 
La ferme détruite
Il y a une suite à cette histoire, fort triste mais pleine d’espérance : en 2003, une vieille dame, fille d'un ancien exploitant du domaine, qui fut hôtesse de l’air, voulut revoir les lieux de sa jeunesse. Elle a constaté que tout le beau domaine venait d’être dynamité. Les terroristes ont voulu annihiler l’esprit fraternel qui subsistait, la population terrorisé était muette. La tombe du marabout et l’arbre,  plusieurs fois centenaire furent détruits, ainsi que tous les bâtiments.

En 2004, l’accueil fut délirant, tous s’arrachaient ma photo, demandant mon retour ! Nous avons planté une graîne.

CONCLUSION



Toutes les femmes viennent embrasser mon épouse
 Pour en terminer, le pillage et le désordre ont suivi mon expulsion en 1963. Du beau domaine, il ne reste plus rien : vignes et arbres qui distribuaient des salaires ont fait du feu. Pour ma part, j’ai vu avec chagrin et colère la destruction totale de l’école et du dispensaire que j’avais édifiés avec le Bureau de Bienfaisance Musulman (suite à la clause d’une location de terres tabou).

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Cher Gérard Lambert d’Ortho, la graine est en train de germer.