SAS D'EL BIOD



Création le 22 mars 2020

En mai 1958, tout était possible en Algérie, grâce grâce à la fraternisation des Pieds-noirs et des Algériens de souche, dans le respect mutuel de la souveraineté de chacun des deux pays. Mais les "chiens-loups" des deux bords ne le souhaitaient pas. On connaît la suite …

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Ancienne Fédération Nationale des Mutilés, Victimes de guerre et Anciens Combattants, créée en 1888 et reconnue d’utilité publique le 28 mai 1933, elle est devenue la Fédération Nationale André Maginot. Elle publie un Bulletin trimestriel « La Charte », tout à  fait intéressant, d’où nous avons extrait ce témoignage de l’épouse d’un Chef de la SAS d'El Biod.

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En 1958, mon mari Antoine Béraud était sous-lieutenant au 1er régiment de Spahis Marocains et avait choisi de rejoindre une SAS (Section administrative spécialisée).

Il créa, en novembre 1958, la SAS d’El Biod dans le sud Oranais. Il fut chargé du regroupement des nomades de la région : plus de 1 200 familles, autant de khaïmas appartenant à trois tribus différentes : les Ouled Sous, les Raïzaïnas et les Cheragas.

Au total 10 000 personnes, un point d’eau important et une petite gare désaffectée dans laquelle s’était installée une section d’un Régiment d’Infanterie de Marine (la Coloniale).

Dans le domaine administratif, il organisa la mise en place et la tenue à jour d’un état-civil qui n’avait jamais existé, sinon dans les tablettes des Cadis. Également, il initia un recensement du cheptel (moutons, chèvres et dromadaires) afin d’établir la liste des propriétaires imposables, mais surtout pour délivrer à bon escient des autorisations de pâturage aux bergers, qui gardaient les troupeaux dans les zones sous contrôle. Il créa une station de pompage avec l’aide du service hydraulique de Sidi-Bel-Abbès. Il assura aussi un marché hebdomadaire, ainsi que sa surveillance.

Quand en 1960, la commune d’El Biod fut créée, il lui fallut organiser des élections, établir les budgets de fonctionnement et recruter le personnel. Deux mois après cette mise en place, tous les conseillers municipaux avaient disparu, enlevés, assassinés ou partis volontairement. Mon mari fut alors désigné maire par délégation. Il y est resté deux ans, ce qui lui a permis de célébrer plus de cinquante mariages en référence au code civil de la Nation.

Un autre souvenir, qui reste pour lui inoubliable, fut l’organisation et l’accompagnement à deux reprises d’une caravane de dromadaires, chevaux et ânes, soit au total plus de 180 bêtes de somme, dans le but de récupérer les céréales stockées dans les matamores (sortes de silos) en plein cœur des zones interdites, à plus de 40 kilomètres du regroupement, abandonnées sur place  dans la précipitation du déménagement. Ce ne fut pas chose facile d’obtenir l’accord des autorités militaires car beaucoup de risques furent pris à cette occasion.

Dans le domaine de la santé, après avoir construit et aménagé sommairement un local baptisé « dispensaire », il lui a fallu programmer les soins, obtenir de l’autorité militaire la mise à disposition d’un médecin qui consultait tous les matins et d’un infirmier appelé du contingent, auquel se joignit très vite une infirmière, aide-soignante, secouriste de la Croix-Rouge, qu’il fit venir de métropole et qui accomplit pendant plus de trois ans un travail remarquable. Toutes les consultations, les soins et les médicaments étaient gratuits. Chaque jour, une vingtaine de malades se pressaient devant le dispensaire. Belle réussite, malgrès les ordres de boycott qui se manifestaient par intermittence.

Dans le domaine de la lutte contre l’anaphalbétisme, l’armée laissa à sa disposition dans les deux premières années, cinq voire six instituteurs, appelés du contingent, qui, le jour, faisaient la classe sous la guitoune, leurs élèves assis par terre, l’ardoise sur leurs genoux, et qui, la nuit, assuraient la protection rapprochée de la SAS. Ils faisaient office de caporaux et relevaient les sentinelles, ce qui était pour nous un gage supplémentaire de sécurité.

Pour assurer l’approvisionnement de ces classes, je me souviens qu’il fallait parcourir 120 kilomètres à l’aller, autant au retour, pour se rendre à Saïda et acheter petit matériel et fournitures diverses.

Dans un second temps, quand furent construits les deux groupes scolaires en dur, comprenant chacun un logement pour un couple et trois classes aménagées, deux instituteurs, relevant directement de l’Éducation nationale, y furent nommés. En 1962, à son départ, quatre classes étaient ouvertes, avec quatre instituteurs professionnels et plus de cent élèves régulièrement scolarisés. C’était peu pour 10 000 âmes, et cependant beaucoup compte-tenu du lieu et des circonstances. Là également, quelques boycotts passagers qui ne duraient jamais bien longtemps.

Bientôt, à El Biod, la SAS se trouva totalement isolée, les militaires de la Coloniale nous avaient quittés pour renforcer les troupes qui se battaient en ville, car les lieux de combat s’étaient déplacés. C’était dans les villes, et non plus dans le djebel que s’affrontaient l’armée, l’OAS,  les barbouzes (genre de milices pro-gouvernementales) et les fellaghas.

Des ordres contradictoires commencèrent à parvenir de partout, même des notes de l’État-major, frappées du sceau de l’OAS, et demandant de tout détruire, tout brûler avant de partir, alors que d’autres, au contraire, directement envoyées par le Gouvernement Général, expliquaient que toutes les mesures préventives avaient été prises, que toutes les garanties avaint été données par les Accords d’Évian, et qu’allait débuter le lendemain une coopération nouvelle et durable avec l’Algérie. Bref, qu’il fallait faire confiance alors que l’on se rendait compte que ces accords étaient complètement bidons. Ils ne furent d’ailleurs jamais respectés. C’était la grande pagaille !

Un jour, mon mari a même reçu l’ordre de désarmer ses moghaznis. Tout danger soit-disant écarté, la garde de nuit devait être assurée par des sentinelles armées de … sifflets ! La Légion étrangère refusa de nous désarmer, et mon mari remit lui-même, juste avant son départ, les armes au service du matériel.

À la mi-juin 1962, il décida en toute hâte de me ramener en métropole avec notre fils car l’environnement devenait trop dangereux. Le commandant d’un Bréguet Deux Ponts, énorme avion de transport réservé aux parachutages, en partance de Méchéria pour Oran, accepta au tout dernier moment - bien que cela lui fut interdit - de nous ramener dans cette ville.

Dès le lendemain, un avion d’Air France nous déposait à Marseille. Cela aurait pu être Bordeaux ou Strasbourg, c’était le seul avion à décoller ce jour-là vers la métropole. À l’aéroport d’Oran, l’exode des Pieds-Noirs était déjà bien amorcé. Des centaines, des milliers de femmes, d’enfants, de pauvres gens, attendaient sous le soleil, dans la chaleur, depuis des jours, voire des semaines, un hypothétique avion qui ne venait jamais. C’était le Kosovo avant l’heure.

Il faut l’avoir vu pour le croire, quelles détresses, quelles misères, le dénuement le plus total, rien n’avait été prévu pour faciliter leur rapatriement, même au contraire, alors que pour un certain nombre d’entre eux, c’était la valise ou le cercueil !

Après nous avoir déposés dans la famille, mon mari retourna aussitôt à Oran puis à Saïda. Il ne put aller plus loin. Sur place, tout était désorganisé, les bureaux des Affaires Algériennes de Saïda étaient vides, ils avaient été pillés et le personnel s’était enfui. Il perdit ses deux cantines remplies d’affaires personnelles. Quelques véhicules militaires circulaient encore mais devaient, comme tous les autres, obtempérer aux contrôles routiers mis en place par nos ennemis de la veille. Quelle humiliation !

Il réussit à remonter sur Oran. Le port de la ville brûlait. Il a brûlé des jours et des nuits avec des flammes de cinquante mètres de hauteur, répandant une odeur âcre dans toute la ville. L’OAS vraisemblablement y avait mis le feu. Ça mitraillait de partout ! L’OAS abattait systématiquement tout indigène qui s’aventurait dans son périmètre et les Algériens en faisaient tout autant pour les Européens qui pénétraient dans leurs quartiers retranchés. Les CRS tiraient sur l’OAS, l’OAS sur l’armée, l’armée sur les fellaghas, partout des coups de feu, des cris et des poursuites dans les rues.

Il réussit malgré cela à prendre le train pour Alger le 2 juillet 1962, la veille de la Proclamation de l’Indépendance ! Il y resta bloqué huit jours dans un petit hôtel de Bab-el-Oued sans pouvoir en sortir, partout des cris, des explosions, des défilé, des coups de feu en l’air, et les you-nous des femmes. Pendant ce temps-là, dans l’ombre, combien de règlements de compte, de tueries, de massacres et de tortures inimaginables ? L’armée française restait consignée dans ses casernes.

Tout cela alors que quatre ans plus tôt, presque jour pour jour, il avait connu une véritable allégresse, celle de l’espérance, d’une paix prochaine qui malheureusement fut vite déçue.

Sur les quatre années passées par mon époux à la création et à la direction de la SAS,  je n’ai passé que deux ans. Nous nous sommes mariés en septembre 1960 et je n’ai pu le rejoindre qu’en novembre ayant à terminer mes examens à la faculté de pharmacie de Paris, examens appelés alors définitifs.

Je me souviens de mon étonnement après avoir passé Saïda venant d’Oran. Une route goudronnée entourée de sable, de sable interminable, ave le djebel Antar, puis le chott El Chergui et toujours du sable et rien d’autre. Puis, enfin … El Biod.

Notre habitation était précaire, une chambre, une salle d’eau et une cuisine, cela situé près du bureau de mon époux, tout cela était appelé en terme militaire "baraque Fillod". L’été, la température variait de 42 à 44 degrés à l’intérieur. Nous dormions avec un PM (pistolet mitrailleur) chainé à notre lit.

Notre premier fils, Stéphane, étant attendu pour octobre, je suis rentrée fin juin en France, puis je suis rentrée fin juin à El Biod en novembre 1961. Je me rendais de temps en temps au dispensaire et cela créa un lien amical avec notre infirmière Mado. Celle-ci avait des relations amicales dans le douar et m’y enmenait prendre le thé à la menthe. Quelle ne fut pas ma surprise, la première fois, de trouver un grand poil de chameau dans mon breuvage ! En effet, l’eau était conservée dans une outre en peau de chameau.

Deux petites filles du douar venaient me voir ; je leur ai appris à se laver les mains. Malheureusement, à leur contact, j’ai attrapé des poux. Grâce à l’aide de Mado et du DDT de l’époque je m’en suis débarrassée. J’allais aussi au groupe scolaire où je retrouvais mes deux petites filles du douar.

Dans cette période mouvementée, je tiens à rendre hommage à la Légion étrangère qui venait deux nuits par semaine (sans savoir les jours), avec deux EBR (engin blindé de reconnaissance), pour nous protéger des fellaghas. Le drame de mon époux était que, sur la cinquantaine de moghaznis et de collaborateurs indigènes de la SAS, seule une dizaine a réussi à rejoindre la France grâce à la Légion étrangère.

Signé : Jacquelin Béraud

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Ce témoignage n’est hélas que trop vrai. Pendant ce temps-là, nous filmions tranquillement les fêtes de l’indépendance à Sétif, avec le soutien amical de toute la population, organisateur compris …

https://www.youtube.com/watch?v=S-EDGM6e2tI&t=213s

Mais nous attendons toujours les excuses du gouvernement français (à titre collectif), ainsi que les remerciements du gouvernement algérien (à titre personnel). Ce ne sera pas demain la veille !


Bientôt les illustrations, une semaine après la fin du confinement ...