JOURS TRANQUILLES A ALGER



 Création le 30 septembre 2019

Mélanie Mataresse, journaliste française, est installée en Algérie depuis 2006. Adlène Medhi, journaliste algérien, est auteur de romans policiers. Ils travaillent également comme correspondants pour des médias étrangers.

La dernière de couverture de ce livre publié en 2016 dit ceci :

Une fois encore, l'Algérie est face à son destin. Elle doit relever tellement de défis dans un avenir proche ! Il lui faut réussir une transition politique délicate avec une génération de dirigeants civils et militaires qui refusent de s'effacer, repenser son économie écrasée par la rente des hydrocarbures qui s'est subitement asséchée, et gérer une population en mutation sous l'effet de la pression démographique et de nouvelles aspirations sociales.

Elle a certes de quoi se réaliser comme pays émergent et s'imposer comme interlocuteur crédible des grandes puissances dans une région déstabilisée par la menace terroriste. Mais elle doit aussi réussir à construire un État de droit.

Témoins privilégiés de l'Algérie des années Bouteflika, Adlène Meddi et Mélanie Mataresse racontent le pays de l'intérieur. Immergés dans l'actualité et parfois dans les secrets de ce pouvoir insaisissable et complexe, ils font partager leurs rencontres et leurs aventures. Au jour le jour, au gré des chroniques douces-amères, ils retracent heures sombres et moments de grâce, et surtout leur tendresse pour cette nation jeune, riche d'histoire et, finalement, si méconnue.


Le préfacier, Kamel Daoud, affirme qu'on y a besoin d'un guide avant de céder à ce fascinant jeu de décodage qui reste la principale activité intellectuelle du visiteur de l'Algérie. Question :  les auteurs ont-ils bien décodé ? 

Nous faisons la recension d'une sélection de ces petites chroniques anecdotiques et sucrées-salées qui font de l'humour au second degré.

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 De l'autre côté de la nuit : la Ministre de la culture, se croyant investie d'une mission de salubrité publique, a fermé la plupart des cabarets d'Alger mais n'a pas pu en enlever la magie !

Sous l'eau : les Algérois savent qu'il faut se méfier des pluies torrentielles. Mélanie a interrogé un ingénieur en hydraulique. Pour canaliser les torrents éventuels, il faudrait détruire plus de 65 000 maisons construites de manière illicite. Conclusion : l'Algérie n'est vraiment pas faite pour la pluie !

Un vrai polar : ce jeudi-là, le chef de la police algérienne a été tué par balle dans son bureau. Qui a fait le coup ? Chut !

Agence tous risques : Tous les agents immobiliers ont au moins une histoire à dormi debout, telle cette "histoire d'eau" où la facture est au nom du Français qui vivait là avant l'Indépendance !

Rien que du cinéma : tourner un film sur l'histoire de l'Algérie expose le réalisateur à quelques éventuelles mésaventures !

La moisson des traumas : par exemple l'autoroute "pittoresque" construite par les Chinois, ou la vie des rescapés des villages de la décennie noire !

Cinq étoiles : C'est un souvenir impérissable que de tester les hôtels de l'intérieur du pays. En ce qui concerne la douche, il est fréquent qu'elle reste froide, soit parce que le robinet a été monté à l'envers, soit parce qu'il n'y a pas d'eau chaude !

Déflagrations : Une base pétrolière attaquée par des terroristes. Vaste problème pour les "gentils journalistes indigènes" qui doivent répondre aux grands médias internationaux. Le téléphone n'arrête pas de sonner pour des directs, des duplex, des interviews. Dur, dur.

Gomorra : Sur la route entre Tebessa, capitale du traffic est algérien, et la frontière tunisienne, le plus difficile, c'est de rester en vie. D'après la gendarmerie, les contrebandiers seraient responsables de 70% des accidents. Ici tout se vend pour passer de l'autre côté de la frontière : carburant, cigarettes, huile, animaux ... Tebessa a construit des dolmens, adoré les dieux païens, vécu au rythme des soldats romains. Aujourd'hui le rythme  de la mafia ?


Bon courage ! : Lors de la manifestation anti-gaz de schiste de 2015, un étudiant d'In Salah est tabassé par un policier. En Algérie, pays révolutionnaire, on n'a pas le droit de manifester pacifiquement (Erreur : c'est maintenant possible en 2019). Pendant la décennie noire, la police n'était pas tendre avec le GIA, et vice-versa. Adlène Meddi, en tant que journaliste rencontre souvent un officier des RG qui n'a pas apprécié certains dépassement. À chaque fois, ils se souhaitent bon courage.

Pourrissement : Exemple technique. "Tu crées ton association. On t'envoie des adhérents, tous gentils, qui finiront par se retourner contre toi. Soit ils y parviennent, ils te sortent et ils vident ton association de sa substance. Soit ils restent minoritaires et montent une dissidence qui deviendra un clone de ton association".

Pauvre Étienne Dinet : Bou Saâda est une ville qui s'est développée dans un enchevêtrement de maisons inachevées montées en parpaing. Il paraît que le régime algérien présente le peintre comme un artiste mis au ban de la société française après sa conversion à l'Islam. En réalité, Dinet a continué à exposer comme avant, et le Gouverneur général de l'Algérie française était présent à ses funérailles. Sa maison à Bou Saâda a été transformée en musée.

L'autoroute de la mort : Les auteurs tombent à bras raccourcis sur cette autoroute qui a coûté fort cher pour un résultat technique fort médiocre (heureusement aucune entreprise française n'a participé à ces travaux).

2062 : Ce matin les Algérois sont partis très tôt à la mosquée. Près de Bab el Oued, les habitant ont entendu sonner les cloches de Notre Dame d'Afrique, et les synagogues ont aussi accueilli les prières pour toute l'Algérie. La jeune Présidente de la République, une descendante de l'Émir Abd el-Kader, a promis plus d'une semaine de fête pour célébrer le centenaire de l'Indépendance de l'Algérie. Nous sommes le 5 juillet 2062.

L'agriculture algérienne a remplacé les hydrocarbures : l'Algérie inonde désormais les marchés mondiaux de fraises, de dattes, d'olives, de blé, de tomates, mais aussi ... d'électricité grâce aux industries renouvelables développées dans le Sahara.

Conclusion : Du haut de la grande mosquée d'Alger en construction, les auteurs méditent sur l'avenir de la société civile algérienne et son imprévisibilité.


Suit un très intéressant lexique au sujet duquel nous nous attarderons sur le dernier terme :

Z'migri : statut ambigü de l'Algérien installé ailleurs, surtout en France. S'ils sont détestés, c'est parce qu'ils donnent une mauvaise image du "nous" national avec la délinquance et la banlieue. Appréciés pour les euros qu'ils injectent dans les budgets familiaux, les "z'migris" sont condamnés à vivre entre deux feux.

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Post-face.
En se moquant gentiment du peuple algérien, ces deux rédacteurs en chef  d'El Watan Wee-end ont appliqué la citation : "castigat mores ridendo", attribuée au poète latinisant du XVIIème siècle Jean Santeuil, et qui peut se traduire par :
"Châtier les mœurs par la comédie", voire même par "Châtier les Maures par la comédie".

Nous allons les imiter dans la suite des "Jours tranquilles à Alger" par l'illustration suivante :

Alger 2019 : Manifestation pacifique contre la pollution automobile