DIWAN DE SIDI BOUMEDIENE
Création le 25 novembre 2018
Hikmet Sari-Ali est médecin et docteur en science du texte littéraire. Il est maître de conférence en littérature contemporaine à l’Université de Tlemcen, et enseignant associé à l’Université d’Oran en littérature comparée.
Auteur de traductions de textes soufis et conférencier dans plusieurs congrès nationaux et internationaux sur le soufisme et les zaouïas, il travaille sur les champs du patrimoine immatériel soufi qu’il met en écho avec la littérature maghrébine d’expression française.
Il est également l’auteur de récits de voyages initiatiques et co-auteur de romans historiques sur la Révolution algérienne. Il est membre fondateur de l’Union nationale des Zaouïas d’Algérie dont il préside le Conseil culturel ainsi que Président du Conseil scientifique de la Fondation Émir Abd el-Kader, section Tlemcen.
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Porte de la mosquée Sidi Boumédiène à Tlemcen |
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Les illustrations sont de Yazid Khelloufi. Ce sont des « encres sur argile » tout à fait intéressantes. Yazid Kheloufi est un plasticien calligraphe algérien, né en 1963, qui s’inspire du grand philosophe arabo-persan du Xe siècle, Abu Hayyan al-Tawhidi. Il tend à se rapprocher de l’écriture mystique, considérant l’unité entre ce que l’on voit, ce que l’on comprend et ce que l’on « ressent »comme condition nécessaire à l’expression de la beauté…
( http://www.georgesabertrand.com/ )
Dans le monde arabe, le diwan est le lieu du pouvoir, mais c'est aussi le lieu d’écoute de la musique, de la poésie et d’échanges littéraires.
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Qui est Sidi Boumédiène ?
Abou Madyane, de son nom complet Choaïb Abou Madyane El Andaloussi - Sidi Boumediène pour les Algériens - est un professeur et poète du soufisme, il est considéré comme un pôle du soufisme en Algérie et au Maghreb d'une manière générale. On lui doit d'avoir introduit le soufisme en Afrique du Nord.
Il est le descendant d'une vieille famille arabe qui avait soutenu l'envoyé de Dieu après son départ de la Mecque. Il est né en 1120 à Cantillana, non loin de Séville (Espagne). Orphelin de bonne heure, il passe son enfance à garder les troupeaux de ses frères ainés. Quand il voit un clerc déchiffrer un ouvrage, il éprouve une sourde angoisse devant son propre vide intellectuel. Il suit alors une formation coranique.
Ses frères s'en prennent à lui, mais son bâton de berger fait voler en éclats le sabre de ses opposants. Il se fixe à Fès et est initié à la lecture analytique des œuvres que les Almohades ont remis à l'honneur. Imitant les soufis, qui ne possèdent rien et que rien ne possède, il exerce occasionnellement le métier de tisserand. Il se retire dans une grotte dès qu'il apprend un texte religieux, pour le méditer ...
Il mène une vie d'ascète et est vénéré par les populations. Il est surnommé "le lion de l'Atlas", car il a le don de commander aux fauves qui vivent encore à l'époque dans la région.
Il entend parler de Sidi Abou Ya"Zâ et de ses miracles. Celui-ci lui fait un mauvais accueil en l'empêchant de manger. Au bout de trois jours, il finit par se rouler dans la poussière et en devient aveugle. Alors le Sheikh lui rend la vue ...
Sidi Boumédiène se rend à la Mecque, puis songe à se retirer du monde. Mais on le presse de répandre la science. C'est ce qu'il fait en formant 1 000 disciples. En revenant de Bougie, il s'arrête définitivement à Tlemcen, le 13 novembre 1197. Il aura été l'heureuse synthèse entre le soufisme populaire et le soufisme doctrinal.
Un ouvrage sur la poésie de Sidi Boumédiène est plus qu'un intérêt sur le passé ou la mémoire. Tocqueville aura dit que les démocraties ont besoin de l'énergie spirituelle. Et André Malraux : "Le XXIème siècle sera mystique ou ne sera pas".
Et Hikmet de conclure son introduction : "Nous vivons dans un monde de technicité où l'Absent est absent. L'Occident a fait le deuil de cette absence, au prix de l'ab-sens, c'est à dire la perte du sens. Sidi Boumédiène, à travers ses poèmes, rend la présence et redonne du sens".
Actuellement, les enfants de Tlemcen sont abreuvés par les poèmes de Sidi Boumédiène, à qui on demanda un jour ce qu'était l'amour de Dieu. Il répondit :
- Le premier degré de l'Amour consiste à invoquer constamment le nom de Dieu ; le second à se rendre familier avec celui qu'on invoque, et le troisième, qui est le plus sublime, à détacher l'attention de toutes choses et n'avoir en vue que Dieu seul.
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Et voici quelques citations, prises parmi une cinquantaine de page. Elles ne prétendent pas résumer l'ouvrage, mais seulement attirer l'attention :
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Dialogue |
J'aime la rencontre des amis en toute heure,
Car elle comporte des bénéfices.
Tu es le secours de celui dont la voie est étroite,
Tu es le guide de celui dont la ruse est devenue inopérante.
Les nuages ont pleuré et à leurs pleurs a répondu
Le sourire des fleurs du jardin et les fleuves ont débordé.
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Mihrab |
N'a pas à avoir peur de se noyer.
Mes larmes coulent comme des flots
Qui envahissent ma barbe blanche.
Ah toi qui s'est manifesté accepte ma prière.
Tu es bien trop élevé pour décevoir mon espérance.
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Ainsi parlait Meskaweih |
Le temps est un océan aux multiples merveilles,
Et il parle à celui qui le médite.
Ne regarde pas les défauts des autres,
C'est toi qui en est plein.
La vieillesse m'a paré de ses atours
Et a déployé ses soldats sur ma tête.
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Septième nuit |
Des gens s'élèvent dans la spiritualité, alors que d'autres tombent dans le vice.
Le chamelier chanteur a appelé son nom quand nous avons pris la caravane,
Il a été généreux de son chant jusqu'à ce que les montures soient grisées de son chant.
Mais j'ai un seul cœur et la passion l'a possédé
Comme un rossignol dans la main de l'enfant qui l'étreint
Et qui goûte aux affres de la mort alors que l'enfant joue.