ABD EL-KADER AUMALE




Création le 31 octobre 2017

Thérèse Charles-Vallin fait l'une de ses dernières séances de dédicaces pour "Abd El-Kader Aumale", le samedi 4 novembre 2017, de 14h à 17h, lors de la 87e « Après-midi du Livre »  organisée par l'Association des Écrivains Combattants, Mairie du XVème Arrondissement de Paris, 31 rue Peclet.



Thérèse Vallin fait partie des notables de l’Association supranationale « Pour l’Union des Méditerranéens »

https://uniondesmeds.com

Elle est docteur en Histoire et Sciences Politiques, et a consacré sa thèse à l’Histoire de l’Algérie.

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Abd el-Kader et Aumale ont vécu tous les deux 75 ans, et la toute dernière acquisition du duc d’Aumale pour ses collections fut un portrait d’Abd el-Kader, que les lecteurs de cet article pourront aller contempler au Musée Condé à Chantilly, certainement avec un regard nouveau.

Deux hommes ennemis sur le champ de bataille, qui ne se sont rencontrés qu’une seule fois, et qui connurent chacun la gloire et l’exil : ils en furent marqués à jamais. Malgré l’époque tourmentée qui fut la leur, il y eut bien alors le jaillissement d’une véritable soif de dialogue entre deux civilisations, deux pays, deux peuples, deux « nations ». Les tourments n’ont pas cessé, la soif n’est pas étanchée non plus.


Tout commence par une préface du docteur Dalil Boubakeur, Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris. Il voit, dans cette étrange histoire de deux destins héroïques de personnalités humanistes et profondément croyantes dans le même Dieu, une symbolique de l’Algérie sans cesse mutante qui - après avoir connu les Phéniciens, les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Ottomans, mais toujours berbère éternelle et libre - va connaître les Français, leur culture, leur civilisation mêlées à l’âme musulmane si souvent meurtrie dans l’histoire, ce qui promet un nouveau miracle en Méditerranée.

Il voit dans ce livre toute la richesse et la précision que Madame Thérèse CHARLES-VALLIN lui a consacrées, et que chacun devrait lire et méditer. Nous n’avons pas manqué de suivre cet éminent conseil.

Passons au prologue : En 1830, les Français vont apporter avec eux, par droit de conquête, cette fameuse idée de Nation dont on ne trouve pas de trace dans le Coran. Le petit fils de Philippe-Égalité symbolisera le triomphe de cette France quelle, puissance coloniale et cependant initiatrice des Lumières.

L’image d’Épinal nous montrera deux formidables seigneurs de guerre : l’Arabe, véritable centaure, revêtu de son burnous immaculé, monté sur son fougueux étalon noir ; le Français, en redingote noire et pantalon garance, chevauchant avec une aisance surnaturelle son blanc coursier …

Barthélémy Prosper, dit « le Père Enfantin », en mission officielle en Algérie en 1843, rêvait d’une Union dont la Méditerranée serait le centre, et où l’Occident apporterait ses techniques, et l’Orient, ses réserves de foi (L’Union des Méditerranéens ?).

L’Histoire est comme un labyrinthe. Quand vous êtes à l’intérieur, qui sait où cela va vous mener. En raison des similitudes, l’exercice osé par Madame Charles-Vallin va permettre de dévoiler ces personnalités complexes et permettre au voile de se transformer en miroir.

LES MAISONS DE DIEU

La Guetna, célèbre par ses eaux chaudes et ses thermes de l’époque romaine, et à quatre lieues de la ville de Mascara, voit naître Abd el-Kader « le serviteur du Tout-Puissant » le 6 septembre 1808.




Son père est le chef de sept douars qui forment la tribu des Hachem. Il est le représentant (le Muqqadem) de l’une des plus importantes des confréries soufies de l’Islam. Il exerce une très grande influence sur près d’un tiers de l’Algérie. Ses ancêtres sont originaires de Médine. Sa deuxième épouse vient d’accoucher d’un beau garçon à la peau claire et aux cheveux d’un noir de jai. 

C’est l’occasion de réunions multiples : les plus vieux dans l’assistance se souviennent d’avoir entendu parler d’un grand guerrier français qui, en Égypte s’intéressait au Coran et aux mœurs des musulmans avant de devenir le chef des Infidèles de l’autre côté de la Méditerranée (le général Napoléon Bonaparte).

Abd el-Kader vit une enfance sauvage et magnifique, apprenant à dompter la faim, la soif, le froid comme l’extrême chaleur. Il devient un cavalier émérite. Progressivement, il s’adonne à l’étude et à la pratique de la religion. Il prend connaissance de la sourate VI, verset 151 : « Ne tuez pas la personne humaine, car Allah l’a déclarée sacrée. » À quatorze ans, il connaît parfaitement le Coran.

Premiers conseils de son père :
- Aime les chevaux, les armes, la chasse. Par les chevaux, tu pourras te procurer les richesse, le bien-être et tu t’élèveras en dignité. Par les armes, tu écarteras le mal, et tu te garantiras de la méchanceté des hommes. Et, par la chasse, tu apprendras la guerre, tu fortifieras ta santé, et tu banniras tes soucis.

Depuis 1802, le pays affiche sa volonté de se débarrasser de la Régence. Le père d’Ab el-Kader juge bon de prendre de la distance et, en 1827, va en pèlerinage à La Mecque, accompagné de son fils et d’un grand nombre de pèlerins. Les voyageurs s’embarquent sur un bateau français. En Égypte les voyageurs sont admiratifs devant les réformes de Méhémet Ali.



Puis c’est la Mecque, et Médine. Puis aussi Bagdad, où un nègre se présente au père d’Ab el-Kader :
- Où est le Sultan ?
- Il n’y a pas de Sultan parmi nous.
- Le Sultan est celui que tu as envoyé conduire les chevaux au pâturage …


L’histoire se répand sous les tentes. Songe, prémonition ou habile propagande ? Maintenant Abd el-Kader peut porter le titre honorable de Haj (pèlerin qui a fait le voyage de la Mecque).


LES CHÂTEAUX DU DUC


Paris, le 17 janvier 1822 : Le Moniteur Universel annonce la naissance du cinquième fils du duc d’Orléans, Henri, futur duc d’Aumale. C’est un bébé rieur que l’on surnomme « mimi ». Il subit une éducation rigoureuse. Enfant très sensible, poète, doué pour le dessin, incorrigible bavard, Henri est surtout affamé de tendresse et d’affection.



1830 : Louis-Philippe devient roi et le jeune duc d’Aumale hérite du magnifique domaine de Chantilly. C’est aussi l’année du débarquement des Français à Sidi Ferruch. Dans quelques années, la saga du duc d’Aumale servira d’apothéose à l’aventure coloniale.

L’ÉMIR DES CROYANTS

De retour de La Mecque, Abd el-Kader est un jeune homme réservé, volontiers mystique, au physique remarquable, d’une élégante musculature, et de beaucoup de prestance. Son visage est encadré par une barbe fournie qu’il porte entière. Il est d’une force musculaire remarquable ; aussi très souvent l’a-t-on vu s’élancer sur la selle sans même se servir de l’étrier ; c’est un véritable tour de force, car la palette des selles arabes s’élève à plus de trente centimètres au-dessus du siège.

Mais les temps sont troublés et l’inquiétude règne. Dix mille soldats français ont débarqué sur la côte près d’Alger. Veulent-ils remplacer la puissance ottomane ou n’occuper qu’une portion du littoral ? Hassan, le bey d’Oran veut se rapprocher de la famille d’Abd el-Kader, mais celui-ci conseille de ne pas accepter cette alliance, et les Français s’installent à Oran, alors que l’anarchie et l’insécurité règnent dans toute la province, et que la guerre se déchaîne entre tribus rivales.

1832 est l’année des sauterelles jaunes. Une réunion des trois grandes tribus propose d’élire un chef capable de gouverner la région. Muhyi ed Din décline, et c’est son fils qui est élu. À Mascara, Abd el-Kader occupe le palais du beylik, construit pour le gouverneur turc et sa famille. Un appel au combat au nom de Dieu lui permet de prendre le pas sur un certain nombre de ses rivaux et lui donne l’investiture de tout le parti religieux. Mais il ne dispose que de six cents cavaliers, et il est repoussé par les Français. Il réussit cependant à prendre Tlemcen.

Pendant ce temps, en France, un conflit oppose les « colonistes », partisans d’une politique d’expansion, et les « anti-colonistes », partisans d’une évacuation. Deux commissions successives sont envoyées en Algérie pour enquêter. Les rapports sont favorables au maintien de l’occupation. Mais sur place, la situation a évolué : le général Desmichels, conscient de la valeur de son adversaire, préfère s’en faire un partenaire et signe avec lui un traité en 1834. Mais il est désavoué par le pouvoir et remplacé par le général Trezel.



Et c’est la bataille de la Macta, « l’Austerlitz algérien ».  Le nouveau gouverneur général Clauzel choisit, après plusieurs combats de traiter avec Abd el-Kader en mai 1837. C’est le « traité » de la Tafna : l’Émir est reconnu comme le seul interlocuteur valable, capable de sécuriser les zones qui sont sous son contrôle et empêcher toute incursion des tribus hors des limites fixées. Il lui est donné toute autorité sur les deux-tiers de l’Algérie. Le texte comprend également des clauses secrètes importantes qui garantissent au jeune Émir la fourniture d’armes.

UN PRINCE SOLDAT


Henri d’Orléans est un élève brillant, mais assez indiscipliné. Il apprend les langues étrangères. En 1837, il n’a pas encore 15 ans, et il est nommé  sous-lieutenant d’infanterie … et devra subir les marches, malgré une infirmité à une jambe. En 1838, Abd el-Kader, fort de ses succès contre la confrérie Tidjaniya, obtient le soutien du roi du Maroc, mais se plaint amèrement à plusieurs reprise auprès du roi et de son ministre de la guerre de la non application loyale du traité de la Tafna. Il n’obtient aucune réponse (c’est curieux comme l’histoire se répète).

Mieux : une expédition est organisée unilatéralement par l’armée française à travers les territoires impartis à l’Émir. Elle sera surnommée « l’expédition des Portes de Fer ». C’est aussi en octobre 1839, que le territoire deylical devient officiellement « l’Algérie ». Sous la pression des événements, Abd el-Kader est contraint une deuxième fois à déclarer la guerre.

Aumale est bientôt détaché à l’état-major de la première armée d’Afrique, sous les ordres du Maréchal Valée. Après une traversée difficile, le bateau Le Phare arrive à Alger sous une pluie battante.

L’ALGÉRIE D’ABD EL-KADER


C’est un véritable État que souhaite construire l’Émir, dès 1833, profitant des périodes de trêve dans la guerre. Il cherchera à enfanter une Nation. Alexis de Tocqueville, un « coloniste » : « Abd el-Kader, qui est évidemment un esprit de l’espèce la plus rare et la plus dangereuse, mélange d’un enthousiasme sincère et d’un enthousiasme feint, espèce de Cromwell musulman, Abd el-Kader dis-je, a merveilleusement compris cela … c’est la réforme qu’il prêche autant que l’obéissance ; son humilité croit avec sa puissance. »


Le Mohammedia


Il organise l’armée. La plus grande discipline est imposée aux soldats. Il crée huit gouvernements, les khalifas, il crée une monnaie, lève l’impôt, « il écoute ce que son adversaire a à lui dire, et ne lutte que si c’est nécessaire ». Il crée une diplomatie, crée le nouveau drapeau de l’Algérie : la couleur verte représente la prospérité et la terre, ainsi que la couleur du paradis de l’Islam ; le blanc symbolise la pureté et la paix.

Le projet du Maréchal Valée, qui dispose de cinquante sept mille hommes, est de créer des garnisons, puis d’utiliser des colonnes de 4 000 hommes pour combattre l’ennemi. La première de ces garnisons s’appellera Orléansville.

L’ALGÉRIE D’AUMALE

Une page est tournée, celle de l’occupation restreinte. Mais c’est aussi la grande période de la guerre dite « des buissons » qui entraîne de lourdes pertes dans les rangs de l’armée française. En outre, les fièvres, le choléra, l’insalubrité, une  extrême chaleur, font des ravages. L’Émir applique sa tactique : attaque et harcèlement, suivis de dérobades.

Le général Bugeaud est le nouveau gouverneur général. Les troupes envoyées en Algérie se montent à cent mille hommes. Aumale prend part à des opérations de ravitaillement à Médéa, avant de s’aliter, victime d’une sévère attaque de dysenterie. et retourne en France. Il manque d’être victime d’un attentat commis par un déséquilibré. Éprouvé par la mort accidentelle de son frère, il n’a qu’une obsession, retourner en Algérie, où il attache à sa personne le saint-simonien Ismaÿl Urbain, avec lequel il confronte ses projets :
« En un mot, il faut obtenir tous les résultats qu’obtenaient les Turcs avec des moyens moins rigoureux, en s’occupant davantage du bien-être des administrés, en ouvrant une voie de progrès qui ne convenait pas aux doctrines fatalistes de la religion musulmane ».

Abd el-Kader et ses soldats sont insaisissables. Bugeaud multiplie les raids. Aumale ne nie pas les qualités militaires du gouverneur général, mais juge assez sévèrement sa politique sur place :
- Qu’on le fasse donc maréchal et qu’il rentre en France après la grande expédition qu’il veut faire dans le pays de la soif … Il faut une colonisation large, à la façon romaine.

Aumale se plaindra de devoir souvent accomplir des représailles qui ne touchent que des innocents.

De son côté, Abd el-Kader crée une ville mobile, la smala, faite de tentes traditionnelles recouvertes de laine et de peaux cousues ou de toile, ce qui permet de mettre à l’abri les blessés, les vieillards, le cheptel, pendant que les soldats vont combattre. Elle est aussi un immense atelier qui compte des armuriers, des selliers, des tailleurs, des palefreniers chargés des douze mille chevaux, six mille mulets et chameaux qu’il faut nourrir et soigner. Cette capitale couvre une superficie de plusieurs dizaines de kilomètres carrés.




Le 5 mai 1843, Aumale part à la recherche de la smala. Le 16 mai, Yusuf et ses goumiers annoncent avoir aperçu d’importantes trace d’animaux. Un énorme rassemblement de personnes est bientôt visible. Aumale donne l’ordre d’attaquer immédiatement avec ses cinq cents cavaliers, sans attendre l’arrivée de l’infanterie. En dépit de la très grande fatigue des soldats, l’audace va se révéler payante ; l’effet de surprise est total. Aumale n’a que neuf tués, la smala trois cent. Le butin est immense. Il y a trois mille six cents prisonniers … Les épouses, les enfants et la mère d’Ab el-Kader réussissent à s’échapper, ou peut-être les laisse-t-on passer.

À LA CROISÉE DES DESTINS


En France, la nouvelle de la prise de la smala crée l’effervescence. À Paris, le 4 juillet, tout auréolé de sa récente victoire, Aumale est nommé Lieutenant-Général, et Mohamed El-Aboudi, son porte-étendard spahi, est décoré de l’ordre de la Légion d’honneur.

Ismaÿl Urbain, nommé auprès du prince pour la gestion des affaires arabes, espère pouvoir orienter sa politique et concrétiser ses rêves saint-simoniens de rapprochement de l’Orient et de l’Occident en terre d’Afrique. Reprenant l’expérience faite par Lamoricière dans la province d’Alger dès 1833, Aumale met en place un système de cercles, les fameux « Bureaux Arabes » qui, sous le commandement d’officiers français, arabophones et administrateurs compétents, seront chargés des relations directes avec les chefs de tribus. Cela sera chose faite en vertu de l’arrêté interministériel du 1er février 1844.


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Pendant ce temps, il met en place les structure d’une future France algérienne, à raison de « treize heures de bureau ou d’audience par jour ». Pour autant, il ne laisse pas de côté le maintien de l’ordre : lors d’un combat violent au sud des Aurès, Aumale, à pied, le sabre à la main, conduit ses grenadiers à la charge et arrache aux forces ennemies le capitaine Espinasse blessé au moment où il allait se faire décapiter.

Abd el-Kader remplace la smala par la deira, plus maniable, et la place près de la frontière marocaine. Bugeaud fait porter un ultimatum au sultan marocain Abderramane, menaçant de prendre Oujda si Abd el-Kader trouve encore aide et soutien de sa part. Les bombardements de Tanger et de Mogador, puis la bataille d’Isly obligeront le sultan à accepter un traité de paix stipulant la mise hors la loi d’Abd el-Kader. Celui-ci, qui est quand même resté au Maroc, veut rejoindre son lieutenant Ben Ali ; un très sérieux affrontement entraîne la mort de quatre cent soldats du Colonel Montagnac pris dans une embuscade. Il se terminera à Sidi-Brahim : la bataille durera trois jours et trois nuits et voit la victoire de l’Émir le 26 septembre 1845.

La deira est restée au Maroc, et subsiste difficilement. Abd el-Kader qui est reparti guerroyer en Algérie malgré la soumission de nombreuses tribus à la France, apprend à son retour le massacre de cent quatre vingt dix prisonniers français, massacre qu’il réprouve.

Aumale convole en juste noce avec Maria Carolina de Bourbon, princesse des Deux Siciles. Elle a su séduire un Prince soldat déjà très façonné par la vie militaire. Les événements mondains se succèdent. Horace Vernet peint l’une des plus grands œuvres de l’histoire de la peinture : la « prise de la smala d’Abd el-Kader ». La vie est douce pour Aumale dans son palais somptueux, mais il brûle du désir d’affronter à nouveau son célèbre adversaire. Bugeaud le reçoit sans enthousiasme. À vingt quatre ans, Aumale adresse de nombreux rapports au Gouverneur Général, lui décrivant l’état de ruine où se trouvent les régions qu’il visite, ravagées par les sauterelles, la sécheresse et les réquisitions. Miné par la malaria, il regagne la France en juillet 1846.

Mais en 1847, Louis Philippe nomme Aumale Gouverneur Général de l’Algérie. Il est entouré d’une nouvelle équipe de fonctionnaires et d’officiers dont beaucoup adhèrent aux idées saint-simoniennes, et va mettre très vite en chantier de nouveaux projets d’administration civile précédés par l’octroi d’une large amnistie.

Maintenant Abd el-Kader est aux abois. Il faut songer à la fin de la lutte à son retour en Algérie. Dans la nuit la plus noire, où le ciel déverse une pluie torrentielle, il médite et convoque un dernier conseil de guerre. Après avoir examiné les divers options possibles, il se résigne à demander l’aman, un cessez-le-feu garanti par la promesse de le laisser prendre l’exil avec ses compagnons.

Confiant dans la parole donnée, Abd el-Kader et les siens embarquent en décembre 1847 à Nemours (aujourd’hui Ghazaouet) à la destination du lazaret de Toulon, en attendant qu’on convienne de sa future « expatriation ». Mais les difficultés économiques et politiques déclenchent la révolution de 1848. Louis-Philippe, incapable de gérer la situation, abdique. Aumale est remplacé par le général Cavaignac.

Abd el-Kader et Aumale connaitront l’exil, qu’ils affronteront, chacun à sa manière, mais tous les deux durement touchés au cœur.

 LE CHEMIN DE DAMAS


Une Méditerranée déchaînée s’oppose à l’exode déchirant. La désolation et l’effroi se lisent sur le visage des femmes et des enfants. Les hommes endurent en silence à l’exemple de leur chef spirituel qui, le cour brisé par son deuil intérieur, n’a pas quitté sa cabine durant les cinq jours de la traversée. Les deux chambres parlementaires sont divisées sur le sort de l’Émir. Abd el-Kader sont confinés dans le fort de Lamalgue de Toulon. En vain, il demande à être reçu par le roi, mais la France en crise court vers sa prochaine révolution. On lui donne le choix entre la France et Alexandrie ! Horace Vernet est chargé de lui porter cette nouvelle … il en profite pour réaliser son portrait (à Pau, où le prisonnier est transféré).




Mais la révolution de 1848 transgresse toutes les promesses ce qui fait dire à Abd el-Kader « La France n’est plus qu’un corps sans tête ».

La nomination de Lamoricière au poste de Ministre de la Guerre n’améliore pas la situation, au contraire. L’Espagne étant trop proche, le gouvernement décide le transfert au château d’Amboise. Abd el-Kader a quarante ans. Il commence la rédaction du « Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférent » qui portera lors de sa publication en 1858 le titre de « Lettre aux Français ».

Louis-Napoléon Bonaparte est élu Président de la République le 10 décembre 1848. Dès le mois de janvier 1849, il convoque un Conseil extraordinaire pour discuter de la situation des captifs d’Amboise. Il est décidé de les maintenir en détention, mais d’adoucir leur sort. En effet, Bonaparte n’a pas encore les mains libres. Abd el-Kader écrit à plusieurs reprises à Monseigneur Dupuch qui a écrit un ouvrage destiné au Prince Président. Sous le titre « Abd el-Kader au château d’Amboise", c’est un plaidoyer vibrant en faveur de celui qu’il dépeint comme un homme exceptionnel, d’une grand loyauté et à qui la France se doit de rendre la liberté au plus tôt, au nom de l’honneur national, de l’humanité et de l’Algérie.

Rien ne se passe pendant deux longues années. Le coup d’État du 2 décembre 1851 se transforme en coup de tonnerre en faveur d’Ab el-Kader. Louis-Napoléon se déplace personnellement à Amboise pour annoncer sa libération immédiate. Il l’invite à venir à Paris assister à l’Opéra à la représentation du Moïse de Rossini. Lors de son retour à Amboise, Abd el-Kader et ses compagnons tiendront à voter pour l’Empire. Puis c’est le départ pour Brousse, en Turquie. C’est le moment d’écrire la Lettre aux Français et Le Livre des Haltes.


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En 1855, un terrible tremblement de terre détruit la ville.  Abd el-Kader demande à changer de résidence. Il repasse par Paris, visite l’exposition universelle, et accepte de résider à Damas, ville où se trouve le mausolée de son maître soufi, le grand Ibn Arabi. Près de quatre mille Algériens le rejoindront.

« J’ATTENDRAI »

Le 3 mars 1848, Aumale quitte le sol algérien. C’est le début d’une longue et douloureuse expatriation de vingt deux ans. D’abord en Angleterre, puis en Sicile, s’intéresse à ses ancêtres, aux manuscrits rares, à la guerre de Crimée, et même à l’emplacement probable d’Alésia.

DEUX HOMMES QUI NE VOULURENT PAS ÊTRE ROIS


À Damas, Abd el-Kader reprend le cours de la vie tranquille qu’il avait à Brousse. Le colonel Charles-Henry Churchill, diplomate britannique, arabisant, en fonction à Beyrouth, se rend auprès de l’ex-Émir afin de rassembler les éléments de sa biographie « La vie d’Abd el-Kader ».

Abd el-Kader suit le rituel de l’ordre soufi dans lequel il a été initié, afin d’atteindre une union parfaite avec Dieu. Mais en 1856, le fameux décret « Hatti Humayoun » du sultan Abdülmecid 1er donnant de nouveaux droits aux Chrétiens provoque un grand mécontentement parmi les populations musulmanes. À partir du mois de mai 1860, de nombreux massacres de maronites sont perpétrés par les Druzes dans la région du Mont Liban, ce qui provoque un afflux de réfugiés à Damas.



Abd  el-Kader est averti de désordres imminents contre les Chrétiens. Avec Michel Lanusse, consul par intérim, ils arment près de mille Algériens. Jusqu’au 18 juillet, Abd el-Kader patrouillera dans Damas pour mettre les Chrétiens à l’abri. Champion de la paix au péril de sa vie, il est encensé dans tous les milieux, chefs d’État, catholique, francs-maçons … un parti en sa faveur se forme, avec Ferdinand de Lesseps qui vient le rencontrer à Damas afin de lui parler de ses projets concernant le percement du canal de Suez. Ce projet préfigure l’espoir d’une alliance à venir entre la spiritualité de l’Orient et l’innovation technique de l’Occident.

Mais Abd el-Kader ne cherche plus à jouer un rôle politique que Napoléon III souhaiterait lui confier …

Aumale est, durant tout ce temps, cantonné à l’univers de sa « cage » anglaise. Sous couvert de prête-noms et de prises de participation à des journaux belges puis français, il va s’insérer dans les débats politiques, par l’intermédiaire de certains organes de presse, manifestement anti-bonapartistes, afin de pouvoir exprimer ses opinions.


Napoléon-Jérôme, dit "Plonplon"
 La grande affaire de 1858 sera la création par Napoléon III d’un Ministère de l’Algérie et la nomination à sa tête de son cousin, le prince Napoléon-Jérôme. Celui-ci démissionnera l’an suivant. En 1860, Napoléon III, revenant d’un court voyage en Algérie, déclare : « Notre possession d’Afrique n’est pas une colonie ordinaire mais un royaume arabe. » Rien ne va plus entre le prince Napoléon et Aumale … le nom d’Aumale est avancé à propos du trône du Mexique, et pour l’éloigner de la scène politique française. Aumale ne souscrira pas à cette proposition. Mêmes tentatives pour le royaume de Grèce !

Abd el-Kader comme Aumale seront des pions sur l’échiquier de Napoléon III qui cherchera, soit à les éloigner, soit à les utiliser, souvent les deux en même temps. Mais ni l’Émir, ni le duc ne succomberont aux tentations concernant les royaumes de ce monde.

L’ISTHME DES ISTHMES

Abd el-Kader se rend à Alexandrie où il est accueilli par Ferdinand de Lesseps et retourne à La Mecque. À l’issue de son expérience mystique, il réaffirme, avec encore plus de conviction, que la réalité divine ne peut être contenue dans une seule religion puisque Dieu embrasse les croyances de toutes ses créatures.



Le 18 juin 1864, la Loge française des Pyramides reçoit son nouveau membre, au nom de la Loge Henri IV, lui faisant exécuter les rituels d’épreuves et « voyages », prêter serment, afin que « la lumière lui soit donnée ». Mais quand en 1877 le Grand Orient de France supprimera l’obligation pour ses membres de se référer à l’existence de Dieu et à l’immortalité de l’âme, il s’éloignera de cette appartenance. En revanche, quatre de ses fils seront initiés dans des loges anglo-saxonnes qui avaient conservé les principes originaux.

Napoléon III se rend une deuxième fois en Algérie, pour un voyage complet d’une quarantaine de jours. Aumale, en militaire qu’il est toujours, s’indigne que Napoléon n’ait pas une pensée reconnaissante pour les immenses travaux exécutés par l’armée et les officiers du Génie en ce qui concerne les voies de communication.

Quant à Abd el-Kader, il ne donne pas suite au souhait de Napoléon III de prendre la tête d’un royaume arabe en Algérie. En 1867, il se rend pour la troisième fois en France à l’occasion de l’Exposition Universelle, dite « d’art et d’industrie ». De retour à Damas, il continue à réunir autour de lui une élite parmi les intellectuels égyptiens, syriens et libanais afin de mettre en accord l’esprit de son temps et les principes de sa religion.


Le 17 novembre 1869, il est l’un des invités d’honneur à l’inauguration du Canal de Suez, drapé dans son burnous blanc et portant pour tout ornement sur sa poitrine les insignes de grand-croix de la Légion d’honneur. Il se retire dans sa propriété de Damas. Son cœur faiblit, mais ne l’empêche pas de se mobiliser pour le percement de l’isthme de Gabès qui devait conduire l’eau de mer vers les chotts desséchés du Sahara.

Le 25 mai 1883, il rend son âme à Dieu.

TEL UN  VIEUX DRAPEAU


Le premier fils d’Aumale, le jeune Louis, se passionne pour les voyages et meurt à Sydney d’une fièvre typhoïde.
L’épouse d’Aumale meurt de désespoir.
L’exil dure maintenant depuis vingt et un ans.
À l’annonce de la déchéance de Napoléon III suite à la défaite de l’armée française en 1870, Aumale est volontaire pour défendre sa patrie, mais il est refoulé par le gouvernement de Thiers.



La république est proclamée. Aumale se présente aux élections dans le département de l’Oise et est largement élu. Mais n’ayant aucun désir de se battre contre des Parisiens lors de la Commune, il va errer en Normandie entre plusieurs maisons amies.
À la fin de l’année 1871, il est élu membre de l’Académie française, puis retrouve son grade de général de division. Puis il préside le Conseil de Guerre qui doit juger la responsabilité du maréchal Bazaine, puis il prépare la défense des frontières de l’est.
En février 1880, il est relevé de ses fonctions et mis en disponibilité.
Son second fils François meurt des suites d’une forte fièvre scarlatine.
Il restaure et meuble le château de Chantilly, où il fera de très nombreuses réceptions.
N’ayant plus d’héritiers, il lègue son domaine à la France
En 1886, de nouvelles lois d’exil sont votées par les deux chambres bannissant du sol français les membres des familles qui y ont régné !
C’est à nouveau le départ pour l’exil qu’il va vivre cette fois, pour partie en Belgique et pour partie en Angleterre.
Il faudra encore plus d’un an pour que l’abrogation du décret d’exil soit signée.
En 1889, Aumale ne tarde pas à retrouver Chantilly.
En 1894, éclate l’affaire Dreyfus qui est accusé injustement de complicité avec l’ennemi. Aumale en est indigné.
Sa santé se dégrade visiblement en 1896, il ressemble, a-t-on pu dire, à un vieux drapeau.
Il s’éteint le 7 mai 1897 dans sa propriété italienne. Dix jours plus tard, les honneurs lui sont rendus. Sur le cercueil, on a déposé, selon ses vœux, son grand uniforme, son épée, sa Croix de chevalier gagnée en Algérie.

ÉPILOGUE


De l’affrontement d’identités, d’abord meurtrières, a pourtant jailli un début de dialogue entre deux mondes, deux sociétés, deux approches de la religion.

Nous avons pris la liberté d’illustrer la recension de cet excellent livre par divers liens vers des articles de ce site.

Et Thérèse Charles-Vallin de répliquer : « Mieux se connaître pour se reconnaître, c’est devenir un jour aptes à « construire ensemble », ce qui est encore mieux que le simple « vivre ensemble ».

Elle cite aussi Sun Tsu, spécialiste chinois de l’Art de la guerre :
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même. Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales. Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras ton combat que par les défaites. »

Et de conclure :

« Accepter l’altérité et y trouver sa richesse, savoir apprécier, dans leur diversité et leur complexité, les appartenances religieuses et les codes sociaux et politiques, à condition que soient éradiqués tout extrémisme comme tout intégrisme, telle est la leçon magistrale que nous ont donnée deux grands soldats devenus deux grands humanistes, l’un d’Orient, l’autre d’Occident, en d’autres temps, certes, mais tout aussi troubles et troublés que les nôtres. »