GUERRE ET PAIX EN 1839 - 2

Création le 11 juin 2017

Cet article fait suite à l’ article 131 :

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Il expose les efforts faits, pour éviter un conflit, par l’Émir Abd el-Kader auprès :
- du Premier ministre Adolf Thiers ;
- du roi Louis-Philippe ;
- du ministre de la guerre Virgile Schneider ;
- du maréchal Sylvain Charles Valée, gouverneur de l’Algérie.

Si on connait le contenu des lettres grâce à Léon Roches, secrétaire particulier de l’Émir Abd el-Kader dans son livre "Dix ans à travers l'Islam", il n’était pas certain que ces lettres aient été envoyées, voire reçues et lues. Or au moins une lettre a été reçue par le ministère de la guerre et a même fait l’objet de commentaires de sa part.

Le porteur a été Salomon Zermati, ami de l’Émir, et les documents correspondants nous ont été fournis par son arrière arrière petit fils. Aucune réponse n’a été faite à Abd el-Kader, ce qui témoigne d’une impéritie coupable de la part des fonctionnaires de ces ministères. Quant à Louis-Philippe, il est vraisemblable qu’il n’a pas été tenu au courant de toute cette affaire, ce qui a conduit à une guerre de quinze ans et a changé le destin de l’Algérie.


AU PREMIER MINISTRE ADOLPHE THIERS



Je félicite la France de ton retour au ministère. Les importants
travaux qui y signalèrent ta présence, et l’intérêt que tu portes toujours à l’Algérie me font t’y saluer avec joie.

Les personnes de ton pays qui m’entourent m’ont expliqué
que ta dignité te chargeait plus spécialement du soin
de la prospérité de la France. Une partie de l’Afrique est
devenue la France ; en te parlant des dangers qui menacent
la prospérité des deux pays, je remplis un devoir.

Conseil du roi des Français, c’est à tes lumières, c’est à
ta philanthropie à raffermir une paix que la France et l’Afrique
demandent en même temps. Des caprices despotiques d’agents d’un gouvernement franc ; des manques d’exécution d’un traité, d’une part, qui entraînent le défaut d’exécution, de l’autre ; des ambitions avides de satisfactions ou de richesses, menacent de mêler le sang français au sang arabe, quand je crois que nous voulons tous la paix, d’où doit résulter, pour les Arabes, progrès et bonheur, et, pour la France, la gloire d’avoir amené ce résultat.
 
Tu es grand pour la France; sois-le pour l’Afrique, et toutes deux te béniront. Ton influence auprès du roi dont tu es le ministre, tes conseils à un jeune émir entièrement ignorant des détours de la politique européenne, voilà les éléments avec lesquels tu dois édifier un monument de gloire pour ta nation, et pour la mienne de bonheur et de reconnaissance.
 
Que Dieu t’assiste, t’éclaire et te maintienne dans la haute position dont tu es digne !


AU ROI LOUIS-PHILIPPE


Je t’ai écrit trois lettres dans lesquelles je t’exprimais toute ma pensée ; pas une n’a eu de réponse. Elles ont été interceptées sans doute, car tu es trop bienveillant pour ne pas m’avoir donné la satisfaction de savoir réellement quelles sont tes véritables dispositions. 

Puisse cette dernière tentative avoir plus de réussite ! Puisse l’exposé de ce qui se passe en Afrique y attirer ton attention et y amener enfin un système propre à faire le bonheur des deux populations que Dieu a confiées à notre sollicitude !

La conduite de tes lieutenants est injuste à mon égard, et je ne puis supposer encore qu’elle soit connue de toi, tant j’ai confiance en ta justice. On tâche de te faire croire que je suis ton ennemi ; on t’abuse. Si j’étais ton ennemi, j’aurais déjà trouvé maintes causes de commencer les hostilités.
 

Depuis le refus que j’ai fait au commandant (de Salles),
ambassadeur du maréchal Valée, de signer le nouveau traité qu’il me présentait, refus dont je t’ai dit les motifs dans une de mes lettres citées plus haut, il n’est sorte d’injustices dont je n’aie été abreuvé par tes représentants à Alger.

Mes soldats ont été arrêtés et retenus en prison sans motif légal ; ordre a été donné de ne plus laisser exporter dans mon pays la moindre quantité de fer, de cuivre ou de plomb ; mes envoyés à Alger ont été maltraités par les autorités ; on ne répond à mes lettres les plus importantes que par un reçu au cavalier qui les remet ; on s’empare des lettres qui me sont adressées d’Alger.

Et puis, on dit que je suis ton ennemi ! que je veux la guerre à tout prix, moi qui désire par tous les moyens imiter l’exemple de ta nation industrieuse ; qui, malgré ce prélude d’hostilités, facilite l’arrivée de toutes les productions de mon pays sur vos marchés ; qui m’entoure des Européens qui peuvent amener chez moi l’industrie, et qui donne enfin les ordres les plus sévères pour que tes négociants, tes savants même, parcourent en sûreté mon territoire et n’y trouvent qu’un accueil bienveillant.
 

Mais, te dira-t-on, l’émir n’a pas encore rempli les premières conditions à lui imposées par le traité de la Tafna. Je réponds : Je n’ai retardé l’accomplissement de ces clauses que parce que ton représentant Bugeaud a, le premier, manqué à ses engagements.
 

En effet, où sont ces nombreux fusils, ces innombrables quintaux de poudre, ces approvisionnements de plomb, de soufre ?

 Pourquoi vois-je encore à Oran ces chefs des Douairs et des Zmélas dont l’envoi en France m’avait été promis ? Bugeaud croit-il que je n’aie plus entre mes mains ce traité particulier, le seul qui m’intéressât, tout entier écrit de sa main et revêtu de son cachet ? Pouvais-je croire un instant à la non-validité des promesses écrites du représentant du roi des Français ?

Je te l’avoue, j’avais une si haute idée de la bonne foi des chrétiens français, que j’ai été effarouché par ce manque
d’exécution de leurs promesses, et que, sans des nouvelles
plus positives de toi, j’ai refusé de faire un autre traité.
 

Oui, tes agents militaires ne veulent que combats et nouvelles conquêtes. Ce système n’est pas le tien, j’en suis sûr. Tu n’es point descendu sur la terre d’Afrique pour en exterminer les habitants, ni pour les chasser de leur pays ; tu as voulu leur apporter les bienfaits de la civilisation. Tu n’es pas venu asservir des esclaves, mais bien les faire jouir de cette liberté qui est le mobile le plus puissant de ta nation, et dont elle a doté tant de peuples.

Est-ce donc avec les armes, est-ce avec la mauvaise foi que tes agents parviendront à ce but ! Jamais. Les Arabes croiront que tu es venu porter atteinte à leur religion et conquérir leur pays, leur haine en deviendra plus vive ; ils seront plus forts que ma volonté, et nous verrons s’évanouir à jamais nos projets mutuels de civilisation.

Je t’en prie, au nom du Dieu qui nous a créés, cherche à mieux connaître ce jeune Arabe que le Très-Haut a placé, malgré lui, à la tête d’un peuple simple et ignorant, et qu’on te dépeint comme un chef de parti ambitieux. Fais-lui savoir quelles sont tes intentions ; que surtout tes paroles arrivent directement à lui, et sa conduite te prouvera qu’il était mal apprécié.

Que Dieu t’accorde les lumières nécessaires pour gouverner
sagement tes peuples !


AU MINISTRE DE LA GUERRE VIRGILE SCHNEIDER



Cette fois-ci, pour être sûr que son message parviendra bien à destination, Abd el-Kader emploie les grands moyens : il charge Salomon Zermati de porter sa lettre en main propre. 

Nous avons la demande d'audience de Salomon Zermati :



le récépissé de la lettre d'Abd el-Kader en date du 29 août 1839 :



et un commentaire tendancieux d'un fonctionnaire du ministère de la guerre :


À son retour en Algérie, Salomon Zermati est emprisonné, sans autre forme de procès. Le général Bugeaud juge utile de faire une expédition politico militaire : deux colonnes parties de Constantine et d'Alger se rejoindront à Sétif, la première en passant par le défilé dit "des Portes de Fer" dans les Bibans, ceci dans les territoires dévolus à l'Émir selon le "traité" de la Tafna. Le 27 octobre 1839, c'est la traversée des "Portes de Fer"

 Le 3 novembre 1839, Abd el-Kader tente alors une dernière action.

À SYLVAIN CHARLES VALLÉE, GOUVERNEUR DE L'ALGÉRIE



Nous étions en paix, et les limites étaient clairement
déterminées entre votre pays et le nôtre, quand le fils du roi
s’est mis en route avec un corps d’armée pour se rendre de
Constantine à Alger, et cela, il l’a fait, sans me prévenir, sans m’écrire un mot pour expliquer une pareille violation
du territoire.


Duc d'Orléans
 Si vous m’aviez fait connaître qu’il avait l’intention de visiter notre pays, je l’aurais accompagné moi-même ou fait accompagner par l’un de mes khalifahs. Mais, loin de là, vous avez publié que toute la contrée située entre Alger et Constantine n’avait plus d’ordres à recevoir de moi.

La rupture vient de vous. Mais, pour que vous ne m’accusiez pas de trahison, je vous préviens que je vais recommencer la guerre. Préparez-vous donc, prévenez vos voyageurs, vos isolés, en un mot prenez toutes vos précautions comme vous l’entendrez.


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 L'art de gouverner consiste d'abord à faire remonter les expériences et non à faire redescendre les utopies.

Sans commentaires ...