LA MISSION DES CHOTTS





Création le 21 mars 2017

Le Capitaine Roudaire, après des études classiques dans sa ville natale, sort sous-lieutenant de Saint-Cyr (1er octobre 1855) puis lieutenant de l'École d'application (13 janvier 1858). Il s'oriente ensuite vers une carrière scientifique au sein de l'armée. Affecté au Dépôt de la guerre en qualité d'officier géodésien, le 28 mars 1862, il est envoyé en Algérie, où il arrive le 10 avril 1864, pour cartographier le pays par les moyens de la géodésie et de la topographie. Opérant au sud de Biskra, dans la province de Constantine, l'officier découvre la région des chotts dont il mesure le premier avec précision la profondeur.


Nous avons connu par le plus grand des hasard le rapport du capitaine Roudaire au Ministre de l’Instruction. Mais il nous a été impossible d’en trouver la trace sur internet. Vous en auriez donc la primeur. Nous avons examiné attentivement ce rapport qui nous a semblé sérieux, compte tenu de la précision des instruments de mesure de l’époque, et de la compétence de l’auteur en la matière. Très curieusement, il n’a jamais été pris comme source de départ pour en tirer des conclusions. Encore plus curieusement, tous les intervenants contraires - plus ou moins anonymes - qui ont pris part au débat n’ont jamais fourni de preuves de leurs dires …

Erreur magistrale du capitaine Roudaire, ou arnaque du siècle de ses détracteurs ?


Comme vous l'avez souvent remarqué, notre site n'a pas pour objet de prendre parti pour les uns ou pour les autres, mais seulement d'éclairer la culture générale de nos lecteurs. S'il s'agit d'un mirage, il faut en être assuré. Mais s'il s'agit d'une aventure, il faut la vivre.

Voici donc la recension de ce rapport de 116 pages complété par une carte détaillée avec profil en long, et qui se divise en six parties :

- 1 Résumé des opérations antérieures ;
- 2 Opérations exécutées en Tunisie ;
- 3 Identité du bassin des Chotts avec la baie de Triton ;
- 4 Aperçu des terrassement à exécuter ;
- 5 Conséquences de la submersion du bassin des Chotts ;
- 6 Examen des objections élevées contre le projet.





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Monsieur le Ministre,

Au mois de décembre 1875, vous avez bien voulu me confier une mission qui me permettait de continuer des travaux commencés depuis plusieurs années. Chargé en 1872 et 1875 par Monsieur le Ministre de la Guerre d’opérations géodésiques en Algérie, j’avais pensé qu’il serait possible d’introduire les eaux de la Méditerranée dans la vaste dépression connue sous le nom de « région des Chotts », c’est à dire de faire pénétrer la fertilité, le commerce, la vie, jusqu’au cœur du Sahara algérien, en transformant en mer intérieure des lagunes actuellement dangereuses et insalubres … Un premier nivellement en 1871 et 1875 a justifié ces prévisions … Il fallait reconnaître si le projet que j’avais conçu était pratiquement réalisable …




1 - RÉSUMÉ DES OPÉRATIONS ANTÉRIEURES

À 50 kilomètres de la ville de Biskra se trouve une dépression de près de 400 kilomètres de long, couverte de sol cristallisé (chlorure de sodium pur et/ou sulfate de sodium) jusqu’à 80 cm d’épaisseur appelée « chott » en Algérie et « sebkha » en Tunisie, jusqu’à un relèvement de 16 kilomètres de long près du golfe de Gabès. Les études antérieures n’étaient pas assez poussée pour revêtir un caractère scientifique. Elles étaient faussée par les mirages, si fréquents dans le Sahara.

Le capitaine Roudaire publia le résultat de ses premières recherches dans la Revue des Deux Mondes, et Ferdinand de Lesseps, « promoteur » du Canal de Suez récemment construit, fit une communication sur le sujet à l’Académie des Sciences, ce qui permit de faire voter par l’Assemblée Nationale en 1874 un premier crédit à l’unanimité.

Le 1er décembre 1874, la mission se mettait en route pour Chegga sur le bord du Chott Mehrir.


Les détails furent communiqués à la Société de Géographie.

Le nivellement se faisait par portées de 120 mètres, chainées, avec double lecture. Les résultats indiquaient une altitude de 20 mètres en dessous du niveau de la mer. Les conditions de travail étaient tellement pénibles, par suite des fatigues et des privations, que l’un des géomètres dut être évacué d’urgence. À peine remis de son indisposition, il insista pour revenir dans l’équipe.

Le 12 avril, les opérations étaient terminées, suite à un travail minutieux sur 650 kilomètres au prix d’efforts considérables : trouver de l’eau potable, subir des privations de toutes natures sans laisser échapper ni une plainte ni un murmure, bivouaquer par -8° … Tous les transports se faisaient à dos de chameau et de mulet.

Conclusion : le bassin inondable occupe en Algérie une surface de 6700 kilomètres carrés avec des profondeurs variant de 21 à 31 mètres. Aucune des grandes plaines et oasis du Sud ne serait immergée. À peine quelques centaines de palmiers qui dépérissent seraient seuls submergés.

Au vu de ces résultats, le Congrès international des Sciences Géographiques exprima le vœu de voir se poursuivre des études analogues en Tunisie.



2 - EXPOSÉ DES OPÉRATIONS EXÉCUTÉES EN TUNISIE


La recension de ce chapitre se trouve dans la rubrique « Tunisie », sous le titre : « Baie de Triton ».



http://tunisiekersco.blogspot.fr/search/label/a%2017%20-%20LA%20%20BAIE%20DE%20TRITON

 

3 - IDENTITÉ DU BASSIN DES CHOTTS ET DE LA BAIE DE TRITON

La recension de ce chapitre se trouve dans la rubrique « Tunisie », sous le titre : « Baie de Triton ».


http://tunisiekersco.blogspot.fr/search/label/a%2017%20-%20LA%20%20BAIE%20DE%20TRITON


4 - APERÇU DES TERRASSEMENTS À EXÉCUTER

Ce chapitre, très technique, est de loin le plus important. Le moment venu, il sera réservé aux ingénieurs en charge d’en vérifier le contenu.



5 - CONSÉQUENCES DE LA SUBMERSION DU BASSIN DES CHOTTS


Le remplissage des lacs Amers a modifié d'une façon notable les conditions climatérique de l'isthme de Suez. Ferdinand de Lesseps en 1874 : "Il y a vingt ans, on ne voyait presque jamais pleuvoir dans l'isthme. Je constate que nous sommes obligés maintenant de faire venir des tuiles de France pour couvrir nos maisons. Nous avons eu, cette année surtout, des pluies considérables".

Au nord de la mer intérieure, la chaîne de l'Aurès servirait de condensateur, et comme le volume de l'évaporation serait de l'ordre de 40 millions de mètres cubes par jour, une grande partie des pluies fertiliserait le bassin méridional de l'Aurès, transformant les torrents en rivières permanentes et régulières.

Le sirocco s'humidifierait et ne dessécherait plus les récoltes. Ci-dessous les noms des villes romaines, qui existaient non sans raisons :


Dans le précédent article sur le fossatum africae, nous avons remarqué que l'auteur du livre avait dénombré quantité de moulins à huile romains, dans une région qui est maintenant désertée ... Il faut aussi savoir que la Numidie était le "grenier à blé" de Rome.

 En revanche le climat de l'Europe ne subirait pas de modification.

Ferdinand de Lesseps avait demandé à l'agha de Touggourt Si Mohammed ben Driss ce qu'il pensait du projet de mer intérieure, celui-ci lui avait répondu :

- Si vous faites venir la mer dans le Sahara, il ne se trouvera plus un Arabe pour mettre en doute votre puissance ; tous s'inclineront devant vous. Vous n'aurez plus besoin de moi.


6 - EXAMEN DES OBJECTIONS ÉLEVÉES CONTRE LE PROJET DE MER INTÉRIEURE

Dès le début, de nombreuses objections  ont été levées contre ce projet de mer intérieure.

1 - Une commission chargée par la Société de Géographie de Rome d’étudier l’isthme de Gabès aurait fait une erreur d’altitude de 22 mètres, dixit le capitaine Roudaire, ceci en défaveur de son projet.

2 - La même commission avait inquiété les habitants des oasis du Nifzaoua en leur affirmant que leur région serait submergée … erreur d’altitude de 42 mètres !

3 - En 1874, une note remise à l’Académie des Sciences (2° semestre 1874 - page 435) affirmait que l’eau évaporée ne serait remplacée que par de l’eau salée, qui transformerait la mer intérieure en immense saline. Le capitaine Roudaire répondit que la Mer Rouge et la Méditerranée étaient dans le même cas, et qu’il existait nécessairement des courants sous-marins aux détroits de Gibraltar et de Bab-el-Mandeh, ceci avec l’appui du rapport de Ferdinand de Lesseps du 15 mai 1876, qui a constaté une déstalinisation des Lacs Amers suite à leur mise en communication avec la Méditerranée, après le percement de l’isthme de Suez.

4 - Plusieurs des oasis de l’oued Rhir seraient submergés, les principaux centres de population et les pays les plus riches en dattiers seraient ruinés.


Réponse du capitaine : seule l’oasis de Mraïer serait concernée. Il suffirait de l’entourer de digues de 3 à 4 mètres de haut. Effectivement les oasis de Nsira, Deudouga, Sidi Mohammed Moussa (8000) palmiers devraient être expropriées, mais le coût serait sans commune mesure avec les avantages  procurés à l’ensemble des populations.

5 - Les sables finiraient par combler la nouvelle mer. Or il faut savoir que le golfe de Gabès, loin de s’être ensablé depuis les Romains, s’est au contraire notablement approfondi.

6 - À chaque bassin de niveau, la mer déposerait sur ses bords une couche de sel qui serait une source de fièvres pestilentielles pour des régions avoisinantes … Mais à ce compte, toutes les mers seraient des foyers d’infection …

7 - Quant à l’objection que des flottes ennemies pourraient attaquer l’Algérie par le sud, elle est balayée par l’existence des missiles actuels.

8 - Reste la dernière objection et non la moindre : l’éloignement des autruches de la région : les plumes de luxe deviendraient plus rares et plus chères. (Nous répondons à la place du capitaine : « Les « Folies Bergères » pourraient alors utiliser des « trucs en plume » de synthèse.)

La seule objection qui n’a pas été posée, et qui est de loin la plus importante est celle-ci : avez vous fait vérifier vos calculs d’altitude par un autre spécialiste ? Avez-vous fait faire des sondages dans les différents seuils ?

Nous ferons remarquer également que nombre d’objections avaient « prévu » l’impossibilité de creuser le canal de Suez … Et en 2016, le gouvernement égyptien en a réalisé le dédoublement.

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Monsieur le Ministre,

Tout en m’efforçant de traiter les diverses questions que soulève le projet de mer intérieure, je me suis attaché à être aussi concis que possible… Quels que soient les phénomènes qui ont donné naissance aux seuils dans lesquels il faudrait creuser des tranchées, ces seuils sont uniquement composés de sables mobiles ou compacts … Les dépenses seront couvertes par les droits de passage, de navigation, de pêche, par la concession d’une partie des terres, absolument incultes aujourd’hui … Mais ces bénéfices immédiats seront insignifiants à côté de l’amélioration du climat, de l’accroissement de la fortune publique et par conséquent du bien-être général …

Grâce à votre appui, Monsieur le Ministre, j’ai pu terminer en Tunisie les travaux que j’avais commencés en Algérie, et rempli ainsi la tâche que je m’étais imposée.

Veuillez me permettre, Monsieur le Ministre, de ne pas terminer ce rapport sans adresser mes remerciements :
- À Monsieur Ferdinand de Lesseps ;
- À l’Académie des Sciences ;
- À Monsieur Paul Bert (qui a pris l’initiative d’une demande de crédit) ;
- À l’Assemblée Nationale, qui a voté à l’unanimité les crédits ;
- À la Société de Géographie de Paris ;
- À la Commission des missions ;
- Au gouvernement tunisien, auprès duquel j’ai trouvé le plus bienveillant accueil.


Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’hommage du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être votre très humble et très dévoué

E. Roudaire
Capitaine d’État Major


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Il va de soi que dans un prochain article nous évaluerons le bien-fondé de ce projet, dans la mesure où « testis unus, testis nullus »