LE FOSSATUM AFRICAE




Création le 3 février 2017

Dès 1934, l’éveil était donné en Algérie pour l’exploration aérienne de l’Algérie romaine. La guerre suspendit ces efforts. En 1946, le colonel Jean Baradez, spécialiste de la photo aérienne et fervent archéologue, entreprend, en trois ans de travail alterné entre les heures de déchiffrement et les randonnées aériennes, la découverte d’un ouvrage militaire qui, sur des centaines de kilomètres, borde les provinces romaines d’Afrique. Le livre du colonel Baradez a été édité en 1949.

L’étude de l’hydraulique agricole apporte des clartés nouvelles sur les efforts accomplis pour la mise en valeur des terres dans l’Afrique ancienne, et la prospérité qui a suivi. En effet cette ligne de défense contre les nomades pillards et réfractaires a fixé une population d’agriculteurs sédentaires quand ils n’étaient pas défenseurs de la ligne, ceci pendant des siècles de travaux successifs depuis l’aube du IIème siècle jusqu’à l’époque byzantine. Ce « fossatum » est l’un des secrets de l’Empire romain.

Les missions de longue durée ont été effectuées à 5000 mètres d’altitude, par bandes continues, pour rapporter des images de dizaines de milliers d’hectares dont le dépouillement et le déchiffrement se font à terre avec la plus grand minutie. Cette méthode, nouvelle à l’époque, permettait d’économiser des vies entières passées sur le terrain.



Si on étudie l’image des environs du fort à la loupe, un œil exercé peut reconnaître le tracé à peine perceptible d’une voie rectiligne ainsi que les traces d’une agglomération, des cultures irriguées. Il devient alors possible au spécialiste de passer à l’interprétation graphique, aboutissement indispensable de l’étude analytique …




En raison du succès de ce premier test, le Gouvernement Général confie à Jean Baradez d’autres missions, avec l’aide d’un bombardier « Marauder » doté d’appareils photographiques à grande capacité de prises de vues. Conclusion : C’est sur 500 kilomètres au total que s’étendent les éléments connus du fossatum.

Le livre fourmille de vues aériennes décortiquée, avec de multiples photos prises à terre. Tout cela montre l’énorme travail accompli par les Romain et tombé en désuétude lors de leur abandon de ce qui est maintenant l’Algérie saharienne. En fait, le fossatum n’a pas été construit sur un modèle unique. C’était un fossé de 4 à 10 mètres de largeur, bordé de murs en pierres sèches d’un côté ou des deux côtés, ou de blocs de rocher énormes, suivant l’abondance de pierres ou les nécessités tactiques.



 Il était flanqué de nombreuses tours, soit sur le fossatum, soit sur des hauteurs avoisinantes. De temps en temps un fort abritait une garnison et protégeait un village, voir un petit centre de population, expert en détournement de l’eau d’un oued pour irriguer un maximum de champs, en contribuant à l’Algérie fertile, grenier à céréales de l’Empire romain.





La transmission par signaux pouvait être assurée par les tours, surtout vers l’arrière pour diligenter des renforts aux points d’incursion. Le choix du tracé était dicté par la volonté de barrer les couloirs d’invasion, mais aussi de protéger les énormes travaux d’hydraulique, tels que cette conduite d’eau d’un tracé de 27 kilomètres de longueur (suivant la légende arabe), dont l’existence n’est signalée que par une légère surélévation du sol … conduite qui s’est révélée être une voie romaine, après observation aérienne approfondie !


Qui dit voie romaine dit borne milliaire. De nombreux milliaires ont ainsi été retrouvés dont les dates de construction vont de Pertinax, an 193 à Flavius Victor, an 388.

L’auteur consacre plusieurs pages à la différenciation entre le limes et le fossatum. Si le fossatum est la matérialisation de la frontière - la ligne de démarcation - , le limes est la zone d’organisation militaire agricole, commerciale et urbaine - une zone verte - qui permet au fossatum de remplir sa vocation de séparation entre l’Empire romain et les barbares. Le limes peut atteindre une soixantaine de kilomètres de profondeur.

À la limite approximative des terres cultivées, en bordure de la zone où la colonisation avait permis de fixer des populations importantes de fils de vétérans et de gentiles étaient établie cette véritable ligne d’arrêt qu’était le fossatum appuyé sur des forteresses et des bourgs fortifiés. En avant de cette ligne s’étendait une zone de sécurité dans laquelle les bandes ennemies pouvaient être prises en charge par des éléments mobiles, - des « goums » - fournis par des tribus amies, ralliées ou soumises et assurant la police du désert.

Et maintenant comment refaire l’histoire de ce fossatum ? En 25 avant Jésus Christ, Auguste, laissant la Maurétanie à Juba II, vassal de Rome, décide de prendre en main la Numidia et de l’annexer à la Proconsulaire : avant tout la menace des tribus barbares insoumises serait écartée, tout en assurant à Rome, avec le maximum de sécurité, l’arrivée du blé d’Afrique représentant les deux tiers de sa consommation.

En raison du soulèvement des Gélules, puis des Musulames, puis des Garamantes et enfin des Syrtes, pendant sept ans (17 à 24 après Jésus Christ), Rome est contrainte de mener une lutte extrêmement dure contre un ennemi très mobile et insaisissable sous les ordres de Tacfarinas, dont les bandes foncent et razzient des régions soumises à Rome. Sous Vespasien, époque de calme et de tranquillité, l’armée peut être occupée à de nouveaux travaux de construction : un réseau de voies, avec un dispositif complet de postes fortifiés en assurant la sécurité. Sous Trajan, ces voies sont gardées par les éléments fixes et mobiles de la Légion III.

Mais les montagnes de l’après constituent toujours un danger dont la réduction devient un objectif principal. L’œuvre de Trajan se perfectionne sous Hadrien, organisateur infatigable  qui parcourt, au cours de ses voyages d’inspection, la presque totalité des frontières de l’empire romain : Rhin et Haut Danube, (Grande) Bretagne avec son « mur » contre les Pictes (qui se peignaient en bleu avant le combat), Mauritanie, Numidie, où lors de son deuxième voyage, il fait installer la Légion III à Lambèse en 128. Il fait venir d’autres troupes en renfort pour lutter contre les Maures.





 
L’époque des Sévères est l’âge d’or de l’Afrique impériale. Il est vraisemblable que c’est à cette époque que le limes se peuple de « limitanei », troupes territoriales, et de vétérans. Le geste vengeur de Gordien III faisant disparaître la Légion III Augusta qu’il rendait responsable de la mort de son aïeul, nécessite de renforcer le limes. Logiquement parlant, c’est donc sous Gordien III que le principe de la nécessité de la défense à outrance du fossatum semble le plus probable.

Le colonel Baradez estime que ce type de fortification défensive convenait mieux à des troupes auxiliaires, ces paysans soldats qu’à des unités d’élite dont les patrouilles avaient certainement plus d’efficacité. Au moment où la partie africaine de l’Empire est prise à revers par la conquête vandale que s’effondre vers 430-440 l’œuvre étonnante qui avait coûté quatre siècles d’organisation et d’efforts, et qui était enseveli depuis des siècles sous le manteau de l’oubli.

LA COLONISATION AGRICOLE

Quand Hadrien visite l’Afrique en 128, « la pluie, qui depuis cinq ans avait manqué, tomba à son arrivée, et que pour cette raison il fut aimé des Africains. » Ce qui semble indiquer que la prospérité de l’Afrique ne fut pas une question de météorologie, mais le prix du travail d’une admirable politique de l’eau.

On trouve, depuis les lignes de crêtes des séries de murs échelonnés, souvent distants de moins de 30 mètres. (la même politique de « défense et restauration des sols - DRS - a été appliquée par l’administration française et interrompue pour cause de « guerre d’Algérie »). Ces murs ne doivent pas être confondus avec les restes de cultures en terrasses, tout cela sur des milliers de kilomètres de longueur. Leur vocation était de compartimenter le sol, pour que l’eau puisse alimenter les sources en profondeur. Les oueds n’avaient pas leur importance et leur brutalité actuelles.




Aux points appropriés des oueds (étranglement, barre rocheuse, extrémité d’un bassin naturel) s’élevaient des barrages. Des canaux d’adduction, ancêtres des séguias, avec des parties sous terre (telles les foggaras actuelles) amenaient l’eau à une région de distribution, puis à une zone d’épandage qui formait une sorte de damier, pratiquement visible que du ciel. On peut considérer que la zone de culture antique était vingt fois supérieure à celles cultivées actuellement.
 


Étant donné le nombre élevé de ruines d’huileries découvertes, on peut supposer que les oliveraies étaient majoritaires.

CONSÉQUENCES POLITIQUES


Tous ces travaux avaient pour objet de recouvrer des impôts en nature, d’alimenter les garnisons, de ravitailler les troupes de passage, et d’expédier à Rome l’huile et le grain toujours plus indispensables. Des magasins ou mansions étaient échelonnées le long des voies expédiaient sur les grands entrepôts portuaires les denrées collectées. Une véritable flotte les acheminaient vers Rome.

En fait la zone des limes, arrachée au désert et admirablement fertilisée à force de volonté, devint chaque jour plus tentante pour les population sahariennes. L’organisation militaire et la colonisation romaine s’effondrèrent simultanément.




Ce qui n’est aujourd’hui qu’un désert était une grande région économique propre et fertile. Il était normal que des voies passent par Sitifis, centre économique qui contrôlait la route vers le port de Bougie.

Bien entendu, le fossatum africae était l’ultime défense contre les invasions provenant du sud. Mais pas uniquement au service de Rome, mais aussi à celui des villes romaines de Numidie, appelée « Algérie ».

Un site internet en dénombre 25, en oubliant Sitifis !




Vous pourrez aussi vous référer à l’excellent article sur le fossatum de l’Encyclopédie Berbère :



http://encyclopedieberbere.revues.org/1959
 


Ou lire :


En attendant une visite guidée de Tipaza ...

vous pouvez admirer ceci :
 
Timgad


ou ceci :

Leptis Magna le théâtre
 ou celà :