BERBERES, DE RIVES EN RÊVES



Création le 25 novembre 2016

L’Abbaye de Daoulas, Bretagne, France, vous connaissez ?

Ancien monastère, régi dès le 12e siècle par les chanoines réguliers de l’ordre de Saint-Augustin, l’Abbaye de Daoulas conserve encore aujourd’hui de beaux témoignages de sa splendeur initiale : une abbatiale du XIIème siècle (aujourd’hui église paroissiale), un cloître roman et sa vasque remarquable, une fontaine et un oratoire du 16e siècle. D’exceptionnels jardins, dont le jardin des simples réunissant des espèces représentatives des pharmacopées traditionnelles des cinq continents, agrémentent la visite.


Saint Augustin


L’Abbaye de Daoulas possède le rare privilège de concentrer en un même lieu les centres d’intérêts : le charme des jardins et leur diversité botanique, la qualité patrimoniale du site et l’occasion unique de découvrir des cultures lointaines grâce aux expositions annuelles.

Par exemple l’exposition « Berbères, de rives en rêves », à laquelle a été consacré un beau livre collectif.



Ibn Khaldun (historien, philosophe, diplomate et homme politique ifriqiyen, issu d'une famille andalouse d'origine arabe) : « Tous les écrits que nous venons de rapporter montrent bien la puissance du peuple berbère : son grand nombre, la multitude de ses tribus et de ses générations qui se succédèrent au pouvoir, ses affrontements et ses rivalités avec les rois et les États au cours de milliers d’années, depuis ses guerres en Syrie avec les enfants d’Israël et son immigration en Ifrîqiya et au Maghreb, ses hauts faits à l’époque des conquêtes, d’abord dans les combats qu’il soutint contre les musulmans, et ensuite dans son ralliement à ceux-ci et le soutien qu’il leur apporta contre leur ennemi ; l’étendue du pouvoir, de la puissance et de la force de Dihya, la Kahena,  et de son peuple dans les montagnes de l’après depuis la période qui précéda l’islamisation jusqu’à sa défaite par les Arabes ; le ralliement  des Miknâsa aux musulmans, puis leur défection et leur retrait du Maghreb."

Ce fut à ce propos qu’Ibn Abi Yazid a dit « Les Berbères renièrent la foi musulmane douze fois et reprirent à chaque fois leurs attaques contre les musulmans. Ce ne fut que sous Mûsâ Ibn Nuçayr que leur conversion fut fermement établie, ou quelque temps plus tard, selon une opinion différente. » … "Tout cela est un témoignage de la puissance des Berbères depuis toujours, de la crainte qu’ils inspirent, de leur bravoure et de leur force, et la preuve que c’est un peuple qui ne le cède en rien aux autres nations et peuples du monde, tels que les Arabes, les Perses, les Grecs, les Romains. » (Peuples et nations du monde)

Et Ibn Khaldun de citer les vertus des Berbères : le respect du voisinage, la protection des hôtes, l’observation des obligations et des engagements pris, la fidélité aux promesses et aux traités, la patience dans l’adversité, la fermeté dans le malheur, la douceur dans l’exercice de l’autorité, l’indulgence pour les défauts d’autrui, le renoncement à la vengeance, la bonté pour les malheureux.


Mais aussi le respect pour les vieillards, la vénération pour les hommes de science, l’empressement à soulager les hommes démunis, l’hospitalité, l’assistance à ceux qui sont frappés par le sort, la grandeur d’âme, la haine de l’oppression, la fermeté devant les États, la décision dans la conduite des affaires, la détermination de l’emporter dans les choses du pouvoir, le dévouement à Dieu pour les choses de la religion. Ouf !


ARCHITECTURE DE TERRE

L'oasis de Siwa est un emblématique phare oriental de la berbérophonie. Par "architecture berbère", on se réfère le plus souvent à une architecture de terre traditionnelle, avec un aspect à la fois massif et harmonieux.

Cela s'applique aux différentes formes de châteaux, d'habitation ou politiques, aux greniers collectifs (ighrem ou agadir, à la fois entrepôt et forteresse). De l'adobe (brique d'argile non cuite, obtenue par coffrage et simple séchage au soleil) au pisé (terre argileuse délayée avec des cailloux et de la paille comprimée sur le mur, plus plastique que l'adobe), jusqu'à la brique cuite qui permet une décoration plus recherchée, on obtient un matériau qui offre d'excellentes qualités thermiques et phonique. Ces architectures de terre demandent cependant un entretien permanent et leur pérennité est donc conditionnée à leur usage.

Les mosquées sont flanquées d'un minaret fréquemment en tronc de pyramide effilé. Le bâti religieux, mosquée ou tombeau de saints, est souvent protégé et blanchi à la chaux. Faut-il voir dans les ksours, villages fortifiés aux maisons agglutinées les unes aux autres, une architecture adaptée au climat désertique ? Les deux villages de Siwa étaient clairement conçus comme des villages-forteresses, juchés sur des promontoires naturels. Une seconde raison tient à préserver le bâti de risques d’inondation (non négligeable même au désert, tout en laissant les terrains arables aux cultures).


ENTRE CHACAL ET CHIEN

Que signifie « être nomade » ? Du temps de l’administration coloniale française, le nomadisme était vu comme un stade inférieur d’évolution sociale, coincé entre la sauvagerie et la civilisation. Or les Touaregs vivent sous un climat aride (moins de 100 mm de pluie par an) ; pour maintenir leur activité pastorale dans une zone où le couvert végétal est rare et fragile, ils doivent pratiquer un élevage extensif, donc se déplacer de pâturage en pâturage, de point d’eau en point d’eau. En France, on parlerait de transhumance.


Dans la pensée touarègue, le territoire est divisé en deux lieux opposés, mais complémentaires : le monde connu, domestiqué, celui de l’univers réel, et le monde de l’inconnu, sauvage, celui de l’univers imaginaire. À la faveur de la nuit, le monde de l’étrange, de l’irréel, voire de l’irrationnel est censé faire irruption dans le monde connu. La langue touarègue désigne le passage de la nuit au jour par l’expression « entre chacal et chien ». Métaphoriquement, l’animal sauvage (le chacal), figure intermédiaire entre les mondes sauvages et domestiques, est remplacé par l’animal familier (le chien).



LES RITUELS DE LA NAISSANCE À MERZOUGA (MAROC)

L’ensemble des rituels de la naissance témoignent de la valeur essentielle et omniprésente du lait maternel. L’humanisation de l’enfant est progressive : le couple mère-enfant est fort durant la première semaine de la naissance, puis l’ensemble de la famille a l’occasion de l’imposition du prénom et enfin, la quasi-totalité de la communauté villageoise est mise en scène lors du quarantième jour.



La discrétion des femmes face à leur propre grossesse ou à celle des femmes de leur entourage est commune à de nombreuses sociétés sahariennes et sub-sahariennes. La chaleur, vécue comme hautement bénéfique, est indispensable lors de la conception d’un enfant et au moment de la naissance. Lors des premières contractions, la femme demeure accroupie, recouverte de plusieurs couvertures de laine.

À la naissance, l’enfant est essuyé et recouvert d’un corps gras, puis recouvert d’un morceau de chèche blanc. On explique qu’il ne faut pas habiller d’enfant de vêtements  et ne rien lui mettre de neuf de peur d’exciter la jalousie des jnûns. Quelques heures après l’accouchement, la mère s’enduit l’intégralité des mains  et des pieds de henné. Cette substance tinctoriale permettrait au corps d’éliminer les mauvais esprits qui l’habitent en même temps que la peau élimine progressivement le henné.

Les jnûns sont des êtres considérés comme néfastes qu’il convient de ne jamais les nommer sous peine de les attirer. Ils sont qualifiés de « ceux que le sel nous dissimule ». Ils détestent toutes les saveurs, particulièrement le sel, et tous les arômes et parfums, dont le clou de girofle. Ils sont considérés souvent comme des voleurs d’enfants (l’apparence du nourrisson reste inchangée). Les enfants « volés » ont souvent un handicap physique et ne vivent que peu d’années. On tente de protéger l’enfant en déposant à sa tête un couteau et un morceau de miroir.

Le septième jour, on procède à la cérémonie d’imposition du prénom  de l’enfant - la tasmiya - ; le matin on égorge un mouton devant tous les membres de la famille. Mais l’enfant reste toujours en danger jusqu’au quarantième jour. Un des principaux dangers est celui du tarissement du lait maternel. Lorsqu’un homme, père d’un nourrisson de moins de quarante jours, pénètre dans la maison d’une accouchée, et mange ou boit une quelconque nourriture, il emporte avec lui l’intégralité du lait de la mère au profit de son épouse…

Les chattes, les chiennes et les vaches, et même les fourmis - qui sont les animaux des jnûns -  peuvent provoquer le tarissement du lait de la mère. L’accouchée peut tenter de récupérer son lait en déposant une fourmi au cœur d’une datte, et manger celle-ci.


Tête de femme - Biskra
 Le quarantième jour après la naissance, c’est le père de l’enfant qui va officier en procédant à la traditionnelle coupe de cheveux. L’enfant peut être considéré comme suffisamment fort pour « défendre son lait » contre une tentative de transfert.

COSMOGONIE ET CROYANCES POPULAIRES

Les manifestations du sacré sont présentes dans la littérature orale des contes, les cultes rendus à de vieux sanctuaires, les rapports à la mort et aux ancêtres, les fêtes saisonnières et les rites liés à l’agriculture, de même que la magie sous ses multiples formes. Les lieux naturels, montagnes, rochers, grottes, sources, arbres témoignent depuis la préhistoire d’un fort sentiment religieux. Il émane de ces hauts-lieux du sacré, souvent d’accès difficile, une puissance bénéfique, la baraka, une sorte de flux qui entoure de sa sainteté l’endroit et les objets qui s’y trouvent. On peut dormir sur le lieu du sanctuaire pour recevoir en rêve la réponse à une question préoccupante, ou faire aboutir un vœu. On peut même penser que la dalle de couverture de certains dolmens pouvait permettre à une personne de s’y coucher dans ce but.

Les grottes sont aussi des lieux de thérapeutique magique : les hommes abandonnent à l’esprit du lieu leur fusil ou leur épée, et les femmes leur ceinture, dans l’espoir de mettre au monde des enfants viables.

Les sources et les rivières jaillissent de la terre et offrent l’eau indispensable à la vie. Dans le haut Atlas marocain, on mettait une pierre dans une fontaine pour déclencher une tempête.

Mais il y a aussi des personnages mythiques : le taureau est l’animal sur la corne duquel, croit-on, la terre repose ; lorsque celui-ci change de position, la terre bascule sur la deuxième corne et provoque un tremblement de terre. Le chacal est un animal terrible, un mangeur d’homme. Le serpent, lui, bénéficie d’une très vieille vénération qui l’a conduit à devenir le protecteur du foyer. On dit même qu’il peut devenir le frère de lait d’un jeune enfant s’il tête au même sein que lui et le destiner ainsi à un avenir prestigieux.

Le rite d’Anzar, ou cérémonie d’obtention de la pluie consiste à offrir au « Maître des eaux »une jeune vierge à la beauté éclatante, nommée « Arc-en-ciel ». Portée sur le dos d’une femme âgée irréprochable, elle ouvre un long cortège de femmes, de jeunes filles et de jeunes garçons, et elle adresse des prières au dieu de la pluie. Après un repas « communiel », la fille est déshabillée et enveloppée d’un filet. Elle supplie le dieu d’arroser la terre assoiffée.

PATRIMOINES

Ce qui frappe de prime abord l’observateur extérieur, c’est l’extraordinaire diversité des styles régionaux des bijoux maghrébins. Les influences les plus diverses, consécutives aux guerres, conquêtes et échanges commerciaux ont apporté toutes les techniques et le savoir-faire inventés dans le bassin méditerranéen, en particulier les bijoux, petits par la taille, mais grands par la valeur.




La technique du découpage ajouré, prisée par les Romains est caractéristique des Aurès. La technique de l’émail cloisonné, de développement d’Andalousie, marque le style des bijoux de l’Anti-Atlas et du Maroc, de la Grande Kabylie et de Jerba en Tunisie. La technique de la niellure portée par les bijoutiers juifs venant d’Andalousie se retrouvent à Constantine et à Sfax.



Le trait distinctif principal des bijoux berbères est l’emploi de l’argent. Ce n’est qu’au début du XXème siècle que l’or a fait une timide apparition. L’autre caractéristique des bijoux berbères est l’emploi persistant des matériaux issus du monde végétal, animal et minéral : dents de chien, cornes de gazelle, clous de girofle, cauris, cornaline, corail.


De nos jours, le métier de bijoutier se modernise : plus question de l’exercer sur des nattes, on achète des polissoirs électriques, on exporte à l’étranger ; les bijoux deviennent plus petits, certains types de bijoux traditionnels disparaissent …

POTERIES

Certains considèrent que les sources de la poterie berbère seraient à retrouver dans cette céramique méditerranéenne de l’âge du Bronze et de l’âge du Fer. La forme est donnée à la pièce, non pas avec la régularité du mouvement du tour, mais en fonction de la dextérité de la main. Pour égaliser  les parois extérieures, on a recours à des instruments de polissage : galet ou outil de bois ; après trois jours de séchage, on peut utiliser pour la cuisson les fours à pain, ou alors les pièces sont réunies en tas ou dans une fosse, empilées et calées les unes aux autres.


En Tunisie, le village de Sejnene, dans la région de Bizerte, se distingue par ses poteries d’une grande originalité, au décor brun et ocre rouge. En général, la tradition domestique de poterie modelée à décor peint s’est remarquablement bien maintenue sur le territoire maghrébin jusque dans les années 80 environ. L’objet céramique est conçu comme une pièce unique par celle qui l’utilisera ensuite dans l’espace domestique.

TRESSAGE DES VANNERIES

Au Maghreb, le tressage des vanneries a toujours constitué une activité très importante pour les populations rurales et nomades. En revanche au Sahara, où la végétation spontanée est rare, c’est surtout les sédentaires des oasis qui le pratiquent (fibres du palmier dattier). Avant l’introduction des teintures chimiques, la coloration s’effectuait exclusivement à l’aide de teintures naturelles, minérales ou végétales. Exemple : la teinture à la rouille où les fibres sont trempées dans de l’eau contenant des morceaux de fer rouillé.

Mais on peut aussi utiliser des galons de cuir, des franges de fils de laine, de soie ou de coton. En ce qui concerne l’élaboration du décor, l’association de losanges et de triangles se rencontre très fréquemment. Le losange est associé tantôt à l’œil, tantôt à la poterie, tantôt à la boîte à amulette.

LA LAINE, RICHESSE DES BERBÈRES

Ibn Khaldun évoque le rôle de la laine : « Ils tirent leur richesse de l’élevage des moutons et des bœufs … Leurs vêtements et la plupart de leurs biens mobiliers sont en laine. Ils s’enveloppent d’un habit ample dont ils rejettent un des bouts sur l’épaule gauche, et mettent par dessus cet habit des burnous noirs. »

Le montage du métier à tisser est souvent réalisé à l’intérieur de l’espace domestique. Si on n’est pas tisseuse, on ne doit pas traverser l’espace de travail pour éviter le mauvais œil. Une bonne maîtresse de maison est jugée sur sa capacité à maîtriser le travail de la laine. Au Maroc, une cape d’homme tissée d’un seul tenant, un akhnif, a beaucoup frappé les voyageurs européens, par ses motifs qui se détachent en rouge orange sur des fonds bleu foncé.

Akhnif

Le travail de la laine dans les mondes berbères reflète finalement une extraordinaire capacité à l’inventivité.

DE LA STEPPE AUX ALPAGES

Par millions de têtes par an, dès les premiers temps de la colonisation française, les moutons sont embarqués sur des « steamers moutonniers ». Ils débarquent à Marseille, Sète ou Port-Vendres. Ils sont achetés par des paysans qui les revendent à bon prix. Pays du mouton, l’Algérie devient un « réservoir merveilleux à viande ». Le mouton berbère a la meilleure réputation. Les voyages des moutons vers la France commencent en avril jusqu’en septembre. Cette activité rapporte de tels bénéfices que certaines compagnies n’hésitent pas à faire construire des navires spécialement conçus pour le fret moutonnier, avec ventilation pour dégager l’air chaud produit par la respiration des animaux. Par mauvais temps il en mourrait beaucoup.

UNE LITTÉRATURE ÉMERGENTE

La culture berbère est essentiellement orale, mais la littérature kabyle contemporaine connait un renouvellement incessant. La majorité des œuvres littéraire publiées n’est pas traduite. La chanson continue d’être privilégiée par le public kabylophone, si bien qu’il existe en Kabylie autant de chanteurs que de romanciers en France.

La revendication identitaire berbère est vieille d’au moins un siècle et est très fortement ancrée en Kabylie. Les références aux rois numides Massinissa et Jugurtha  sont très présentes. Mais on traduit en kabyle un nombre de plus en plus croissant de textes littéraires étrangers. Dans les annéees 1950, les Père Blancs sont à l’origine de la traduction en kabyle de plusieurs fables de La Fontaine et de Florian. C’est dans la graphie latine que la majorité des études berbères ont été réalisées.