RECENSION DU MERLE
Création le 8 mai 2016
Le merle a non seulement été recensé, mais encensé ! Et cela par Madame Houaria Kadra-Hadjadji, historienne, qui a écrit deux excellents livres, entre autres, sur Jugurtha et Massinissa.
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2086%20-%20JUGURTHA
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2097%20-%20MASSINISSA%20LE%20GRAND%20AFRICAIN
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Jean kersco, Quand le merle sifflera, Algérie
1961-1962, du putsch à l’indépendance,
édition Thélès, 2007.
François sait que l’Algérie s’achemine vers son
indépendance : le général de Gaulle a évoqué plusieurs fois cette option
et proposé aux dirigeants du FLN d’entamer des pourparlers. Il souhaite
apporter sa contribution à la paix et à une future entente entre Algériens et
Français.
Dans l’avant-propos, l’auteur nous assure (et, ce faisant, nous rassure) que cette histoire d’un jeune officier SAS ne contient « ni violences, ni tortures, ni égorgements ». L’on sait que la torture, largement pratiquée par l’armée, n’a pas épargné les SAS. Celle de François n’a pas été atteinte par ce cancer, car le jeune homme avait une haute idée de sa mission.
La création des SAS, on le sait, est due à Jacques Soustelle, gouverneur général de l’Algérie (1955-1956) qui, au cours d’une longue enquête sur le terrain, avait découvert la misère des populations rurales, la sous-administration et l’emprise facile dont jouissait l’insurrection. Ces SAS étaient chargées de « pacifier » un secteur et de gagner les populations à la cause de l’Algérie française, grâce une triple action médicale, scolaire, et sociale.
Le village possède une école fréquentée par de
nombreux garçons et filles. Les femmes se retrouvent dans le foyer féminin où
elles apprennent à tricoter, à coudre, à bien soigner les enfants. Pour le volet médical : une
fois par semaine, le médecin militaire donne des consultations. Les autres
jours, une attachée médicale, une Belge assistée d’une jeune femme du village,
recevait pour les soins ordinaires à tout moment. Pour les cas urgents,
François les conduisait en voiture à l’hôpital de Setna. L’attachée médicale, personnage
haut en couleur, mérite largement le
détour : c’est une maîtresse femme, au verbe haut, au langage gaillard,
véritable force de la nature, d’un dévouement sans bornes, qui possède la
collection complète des disques des chansons de corps de garde. François crée
un foyer sportif pour les jeunes du
village et des mechtas voisines. Il va jusqu’à se déplacer pour obtenir
l’autorisation des pères. Il se dépense sans compter pour avoir les crédits
nécessaires au terrassement du stade, des équipements sportifs, un moniteur
chargé d’animer toutes les activités des jeunes. Son enthousiasme et son
charisme font fleurir les initiatives : il obtient des vêtements et des
chaussures pour les habitants des mechtas (dont les enfants marchent parfois
pieds-nus dans la neige !), deux militaires proposent des ateliers de
menuiserie et d’électricité. On lui offre un appareil de projection et des
films du service d’action psychologique. C’est ainsi que les jeunes,
fascinés, assistent à une séance de cinéma, pour la première fois de leur
vie !
L’action sociale passe aussi par la création de chantiers divers, qui procurent du travail aux habitants en proie à une terrible pauvreté.
Le P.C. d’une compagnie est installé dans le
même village, assurant la sécurité de la SAS. La SAS ne participe pas aux
opérations militaires et jouit d’une totale autonomie vis-à-vis du commandant
de secteur. Mais l’aventure n’est pas absente de ce récit, ni les chevauchées
dans des paysages grandioses : François prend la tête d’une patrouille à cheval
pour capturer un groupe de maquisards signalé à 4 km de là. Il revient bredouille
(p. 58). Nouvelle expédition pour mettre la main sur un célèbre maquisard, Benzitou,
hébergé dans une mechta réputée hostile, sans résultat également. Son
intervention dans une mechta, où deux « fellagas » se conduisent
comme des caïds, est couronnée de succès : il les capture, les remet aux
militaires, puis leur rend visite en prison pour s’assurer qu’ils ne sont pas
maltraités.
Le jeune officier dénonce les abus commis par les Européens : un chef de chantier, au cours de la construction d’une piste, défonce les tombes d’un cimetière, au lieu de le contourner ; des soldats du contingent en profitent pour ramasser des crânes et les suspendre au bout de leurs fusils ; on réquisitionne les ouvriers du chantier pour qu’ils assistent à l’exécution de combattants algériens. Sur renseignement de la harka, les militaires se rendent dans une mechta qui héberge des maquisards. Ils invitent François à les accompagner, celui-ci accepte volontiers car il veut savoir comment les militaires traitent les habitants (p. 113). En sa présence, les militaires se contentent de les gifler ; on devine ce qu’ils auraient fait s’ils s’étaient retrouvés seuls entre eux !
« Il est normal qu’un Arabe, cela se tutoie » dit-on (p. 53). Mais, pour François, l’égalité n’est pas un vain mot et il prêche d’exemple : il faut respecter, dit-il, pour se faire respecter ; il est le seul à vouvoyer les Algériens. « Le privilège du tutoiement est réservé aux moghaznis et aux jeunes du foyer sportif », dit-il, ce qui est plutôt paradoxal. C’est ainsi que sa popularité grandit chez tous les membres de la SAS.
François, à l’écoute de ses administrés, s’efforce
de résoudre leurs problèmes : il mène des enquêtes quand il y a plaintes, ainsi celle d’un supplétif
à qui on a coupé l’oreille. Voici
un moghazni, Embarek, qui a trouvé un logement et veut faire venir sa femme
auprès de lui. Il n’a pas la possibilité de le faire lui-même, car l’armée française
a évacué la région et le FLN en a fait le centre de regroupement des katibas de
Kabylie, si bien que les taxis n’osent s’y aventurer. Il se confie à François,
qui, en homme chevaleresque, brave tous les dangers pour réunir les amoureux. Cet
exploit lui vaut l’admiration générale, à la SAS comme au village, et la
réputation d’homme à baraka.
Après le cessez-le-feu (19 mars 1962), François doit quitter la SAS. La veille de son départ, il découvre des inscriptions agressives sur les murs du foyer sportif, faites à l’instigation du nouveau secrétaire de mairie. Il en est affecté. Le lendemain, les inscriptions ont disparu. Ce sont les jeunes du foyer sportif qui les ont effacées, offrant au jeune officier « leur cadeau d’adieu » (p.144-145).
Avant son départ, François se préoccupe de
mettre à l’abri ses moghaznis, sans se douter que leur sort a déjà été scellé
en haut lieu : ils doivent rester en Algérie, au péril de leur vie. Il se heurte à l’indifférence de son
commandant et considère que ces « hommes ont eu le tort de faire confiance
à la république et à ses chefs. »
L’auteur produit la copie d’un télex secret
signé Louis Joxe, ministre d’Etat chargé des affaires algériennes. Informé des « rapatriements
prématurés de supplétifs », ce dernier ordonne de les renvoyer en Algérie et
de « faire rechercher les promoteurs et les complices de ces entreprises »
pour les sanctionner. François ne trouve personne pour l’aider à sauver ses
hommes. Il se procure six contrats de travail en blanc qui permettront à des
moghaznis de se replier en Métropole pendant la période d’épuration qui suivra
l’indépendance. Quand ces documents lui parviennent, ses hommes ont quitté la
SAS avec l’espoir que les choses s’arrangeraient pour eux - François apprendra
que l’un d’eux a été égorgé, les autres battus -. Ce sont les moghaznis de la
deuxième SAS qui bénéficieront de ces contrats.
Il est chargé de diverses missions :
démanteler des SAS, annoncer à la population d’un camp de regroupement que la
guerre est finie et qu’elle peut rentrer chez elle. Envoyé près de la frontière
tunisienne, au barrage électrifié, il trouve une compagnie qui doit déminer le
barrage. Mais par crainte des accidents, elle ne fait rien. Ensuite, c’est le
retour en France et la démobilisation.
Mais auparavant, il a assisté aux fêtes de
l’indépendance. Remis à la disposition de l’armée, il coule des jours heureux
dans la caserne de Setna, en attente d’une affectation ultérieure » (p.
176). Le nouveau sous-préfet, un neveu de Mohamed Boudiaf, arrivé tout droit de
Tunisie, lui accorde l’autorisation d’assister aux fêtes de l’indépendance,
caméra au poing. C’est ainsi que la veille et le jour de la fête, il se promène
partout et filme en toute liberté, sans rencontrer la moindre hostilité. Il
assiste à la naissance d’un nouveau monde, l’Algérie indépendante, pour le
meilleur et pour le pire. Ce sera le couronnement de sa carrière d’officier
SAS.
En guise de conclusion, nous citons ce passage
d’une étude très pertinente[1] : «
La qualité d’une SAS dépend évidemment beaucoup de la valeur de l’officier qui
la dirige. Il y eut parmi eux des incapables, des prévaricateurs, des maniaques
du renseignement et même des tortionnaires. Pour la plupart, ils furent des
hommes d’un dévouement admirable. L’étroitesse de leur horizon et le
paternalisme de leurs méthodes n’altèrent en rien la pureté de leur idéal et la
noblesse de leur démarche…Ils ont sans doute contribué à sauver les chances
ultérieures d’une amitié franco-algérienne ». « Dévouement admirable »,
« pureté de leur idéal », « noblesse de leur démarche »,
des expressions qui s’appliquent parfaitement à François Delorme.
Houaria Kadra-Hadjadji,
Chercheuse, auteure.
[1] Bernard Droz/Evelyne
Lever, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), éditions du Seuil,
p. 139.