LE DERNIER TABOU
Les guerres ne sont jamais drôles. Comme l’a dit Hérodote : « Qui est assez fou pour préférer la guerre à la paix ? À la paix, ce sont les fils qui enterrent leurs pères ; à la guerre, ce sont les pères qui enterrent leurs fils. »
La guerre d’Algérie n’a pas échappé à la règle. Elle a laissé derrière elle des blessés, des morts, des destructions, des traumatismes et des tabous. Le drame des harkis en est un de part et d’autre de la Méditerranée. Que ce soit du côté français avec leur déchéance (légale ?) de la nationalité française ainsi que le refus d’accepter leur présence en métropole (même provisoires), ou du côté algérien avec l’absence de « repentance » des actes de vengeance collectifs commis après le cessez-le-feu dans un État qui n’avait pas encore eu le temps de devenir un État de droit.
Pierre Messmer, ministre de la Défense a fait une circulaire du même style ...
"Le cessez-le feu n'est pas la paix" ... et la République algérienne n'existait pas encore en avril 1962.
Pierre Daum s’intéresse aux Pieds-noirs et aux Harkis. À savoir combien sont restés (vivants) en Algérie après la proclamation de l’indépendance de ce pays. Pour écrire « Le dernier tabou », il a fait une enquête auprès d’anciens harkis restés en Algérie pour mieux apprécier leur raison de vivre ou de survivre. Son livre est composé de deux parties : des considérations sur les interviews qu’il a fait auprès de ces « anciens messieurs », et ensuite leurs témoignages (au sens large du mot : harkis, moghaznis, voire groupes d’auto-défense, ou même appelés du contingents et militaires de carrière).
Première question : combien d’assassinats après le cessez-le-feu ? On ne le saura jamais, car la plupart des victimes n’ont pas été identifiées, faute de service d’état civil organisé. Les chiffres des « experts » français varient entre 10 000 et 150 000, Quant aux « experts » algériens, n’en parlons pas, puisqu’ils n’en parlent pas. Dieu seul le sait. L’estimation la plus raisonnable pourrait être de l’ordre de 60 000. Le total des « harkis » embauchés pendant la guerre aurait été de l’ordre de 250 000. Pierre Daum en a même trouvé jusqu'à 450 000. Le chiffre de ceux qui ont pu « migrer » en métropole pourrait être plus précis, même si à leur arrivée, il n’était pas de bon ton de le crier sur tous les toits.
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Boudjellil 2012 - Au loin la SAS |
- anciens combattants ou fils d’anciens combattants, qui voulaient rester Français ;
- soutiens de famille : il fallait bien vivre ;
- ceux dont des membres de leur famille avaient été assassinés par des gens du FLN (ou du MNA, ou de la tribu voisine et ennemie) ;
- anciens maquisard, que des éléments de l’armée française avaient « retournés bessif» ;
- ralliés au plus fort, avec désertions suivant le cas ;
- partagés dans le cadre familial … au cas où : moitié dans la rébellion, moitié dans l’armée française ;
- "taupes" dans les rangs des supplétifs :
- etc.
En bon journaliste, Pierre Daum a créé un site d'accompagnement avec revue de presse :
http://lederniertabou.com/index.php/revue-de-presse
Son interview avec Echorouk TV est particulièrement réussi. Echourouk TV est une chaîne de télévision généraliste privée Algérienne basée a Alger, elle appartient au journal du même nom. Lors du Ramadan 2013 selon l'institut de statistiques Immar Echourouk TV est la 1ere chaîne la plus regardée par les Algériens avec 28% des parts du marché.
Ceci étant, l’adage « testis unus, testis nullus » serait-il valable pour 60 témoins versus des centaines de milliers ? Pas vraiment, mais il reste ce gros travail fourni par Pierre Daum, et on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir été présent à l’époque, ou de ne pas en avoir rencontré soixante mille au lieu de soixante. Plus qu’un travail de statisticien, ou d’historien, c’est un travail de journaliste.
Ceux qui ont bien voulu raconter leur histoire indiquent que, souvent, avant ou après les avoir battus, leurs « juges » avaient cherché à savoir leur degré d’implication, et les avaient libérés, mais qu’ils avaient été marqués du sceau de l’infamie. Autant le terme de « porteur de valise » n’a pas eu en France la connotation de trahison, autant le terme de « Hrrrké » est devenu une insulte en Algérie.
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En interlude, à propos de la notion de traitre :
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Le sujet des harkis est-il vraiment le dernier tabou ? Pas tout à fait, mais il fait partie du dernier tabou : juridiquement, l’Algérie et la France sont toujours en état de guerre, car il n’y a jamais eu de traité de paix, un demi siècle après la date de la signature du cessez-le-feu, lequel n’aura vécu que ce que vivent les roses, l’espace d’un matin.
Alors pourquoi ne pas faire la paix en 2016 ? Car à partir du moment où la paix est un tabou, c’est que la guerre est proche.
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Échange de politesses au début de la "décennie noire" |