MÉDECINS DE COLONISATION
Création le 2 décembre 2015
D'abord quelques mots sur le Centre de documentation historique sur l’Algérie (CDHA), qui s'exprime ainsi :
Plus de 15.000 ouvrages concernant de près ou de loin l’Algérie et l’Afrique du Nord sont conservés et souvent disponibles en prêt dans notre bâtiment. Notre fonds est majoritairement constitué de livres remis en dons depuis sa création par des personnes désireuses de pérenniser la mémoire de leurs ancêtres. Des grands classiques côtoient des récits militaires ou personnels d’une grande valeur par leur originalité et leur rareté.
En outre, il faut signaler la présence de nombreux ouvrages universitaires ou scientifiques venant appuyer le reste de notre fonds monographique. Classés selon la méthode DEWEY, l’ensemble de ces ouvrages reste très facile d’accès et nous obtenons d’excellents résultats dans nos recherches.
Il est à noter que le CDHA ne s’est jamais contenté de regrouper une documentation exclusivement historique. Il cherche aussi à élargir son fonds à l’ensemble des thématiques possibles, allant de l’anthropologie jusqu’à l’agronomie, afin de garantir des ressources diversifiées et hétéroclites.
Suite aux nombreux dons ayant eu lieu depuis la création du CDHA, le centre possède une importante masse de documents d’archives privées, relatant parfois les parcours personnels de hauts personnages voire de personnes plus anonymes. Regroupées par donations dans un seul et même fonds, ces nombreux documents nous renseignent sur le quotidien des générations ayant vécu en Afrique du Nord.
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Sur l'article de Jean-Pierre Simon :
Lors de la prise d’Alger, le 5 juillet 1830, les premiers représentants de la médecine moderne sur ce territoire qui deviendra "l’Algérie" furent les médecins de l’armée française. Ils furent pris au dépourvu en découvrant l’état sanitaire de la population sous la Régence. Fièvres, dysenteries décimaient les populations. La syphilis était très répandue, la variole sévissait à l’état endémique et de nombreuses cécités résultaient des affections oculaires contagieuses. Ajoutons à cela des maladies de carence et de sous-alimentation, des accidents obstétricaux, une mortalité infantile très lourde en raison des facteurs climatiques et du manque d’hygiène.
Le pouvoir turc se désintéressait totalement du bien-être des populations locales et cela durait depuis 300 ans. Les épidémies, le plus souvent importées d’Orient à l’occasion des pèlerinages à La Mecque, causaient de terribles ravages. Les soins étaient dispensés par des guérisseurs rebouteux, des marabouts, des médecins maures appelés tobba, des marchands de plantes médicinales, des barbiers et arracheurs de dents, sachant pratiquer la circoncision rituelle.
Progressivement, médecins et officiers de santé civile se sont installés en Algérie, en priorité dans les grandes villes. En 1835, on comptait 81 médecins civils en Algérie. En 1853 : 85 praticiens civils, 418 médecins militaires. En 1962, 2 000 membres. Le corps des auxiliaires médicaux indigènes est créé en 1901. En 1923 est créé un Institut d’hygiène et de médecine coloniale. À la veille de la seconde guerre mondiale, le service médical de colonisation fut à son apogée, il existait 112 circonscriptions médicales ; la plupart étaient dotées d’un hôpital auxiliaire de 40 à 50 chambres. En 1951, s'est déroulé un vaste programme de construction et de rénovation des établissements hospitaliers
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Mon père, Paul Voisin, médecin de colonisation (par Henri-Paul Voisin et Noëlle Note-Goinard, descendants de Pierre Voisin, arrivé à Constantine en 1841)
Après avoir connu la vie mondaine que pouvait lui offrir le milieu algérois, il se retrouve médecin débutant au milieu de nulle part, seul avec sa jeune épouse, elle-même fille de médecin de colonisation, pas franchement emballée par la situation. Il dit : je découvris avec consternation l’infirmerie au bout du village dans un état de délabrement total.
La consultation :
« Le consultant musulman, homme ou femme, se présente toujours de la même façon : s’il est très malade ou affecte de l’être, il est prostré ou couché sur un banc ou le sol, enroulé dans ses vêtements, quelle que soit la température, qu’il neige ou que le soleil chauffe et brille. Il attend paisiblement son tour en toussant, crachant ou vomissant près de lui, rarement en gémissant.
L’interrogatoire obtient des réponses généralement très vagues, accompagnées de grands gestes. Lorsqu’ arrive le moment de l’examen, le malade est très réticent pour se déshabiller, puis finalement le fait, sans hâte, et enlève un à un les multiples vêtements qui le recouvrent mais tient à conserver le dernier oripeau qui est contre la peau et descend très bas.
Quant aux femmes, après de nombreux refus, elles demandent que l’on fasse sortir le mari, puis enlèvent toute une garde-robe attachée par de multiples épingles de sûreté ou liens divers. Elles gardent finalement une gandoura-chemise, rarement en bon état. Le toucher vaginal se révèle plein d’écueils : la patiente se cramponne à sa chemise et la tire vers le bas … Elle ne sait pas exactement combien d’enfants elle a eus …
Pour venir demander l’intervention du toubib, il fallait que les amulettes et les ktibas des marabouts et des matrones aient été inefficaces ; il s’agissait toujours d’une grave maladie, d’une grave blessure, ou alors d’un accouchement particulièrement difficile … Les risques de contagion n’épargnaient pas le personnel soignant. Ainsi mon père, après avoir été atteint deux fois de diphtérie, contracta le typhus en 1941, au moment de la dernière grande épidémie. On le crut mort, ce qui lui valut la médaille d’or des épidémies à titre posthume ! Ironie du sort, il en réchappa.
Toutefois les dernières années furent plus compliquées en raison des « événements » et des risques encourus par les médecins pour accomplir leur mission. C’est ainsi que le chef de la Willaya régionale, que mon père avait tiré d’affaire longtemps avant le conflit, lui avait fait dire de ne surtout pas changer de voiture pour être toujours identifié et relativement à l’abri.
Je concluerai en citant ma mère : « Durant sa carrière, il avait vu tant de visages s’éclairer à son approche, tant de mains se tendre avec reconnaissance … Il était le « Père ».
Et la recension d'un dernier article de Françoise Carriol :
Le jeune médecin qui débarque dans le bled fait souvent l'objet d'un premier accueil méfiant ; on l'observe, on le met à l'épreuve. Heureusement, l'adjoint technique, qui parle en général la langue locale, peut faciliter le contact :
- I men'hou âkchichayï , Qui est donc ce garçon-là ?
Et Hocine répond superbement :
- Houa Sid et-t'bib d'el beylik (C'est Monsieur le médecin de l'État). (Et il arrive de Paris !)
Aussitôt chacun vient lui serrer la main, porte la sienne à ses lèvres, puis sur son cœur et d'une légère inclination de la tête salue l'important personnage.
L'établissement du diagnostic n'est pas toujours facile ...
- D'où souffres-tu ?
- Ce n'est pas à moi de te le dire ... Tu es le Toubib, trouve ce que j'ai.
Les Chaouias consultent volontiers le médecin de colonisation et marquent un goût prononcé pour les piqûres. Les femmes kabyles en raffolent aussi. Elles réclament une piqûre bien forte, celle qui fait mal, et sont étonnées de n'avoir ressenti aucune douleur.
En cadeau de remerciement pour la guérison obtenue :
- Si Toubib, sois béni ! Je reviendrai bientôt avec un beau cadeau pour toi !
Le toubib, souriant, ouvre le mouchoir et contemple la somptueuse offrande : quatre œufs, six figues violettes, une grenade, deux grappes de raisin ... plus deux poulets caqueteurs liés par les pattes et posés sur la monture comme une paire de sacoches.
Le CDHA propose aussi la lecture de deux livres :
- Toubib du bled de Gaston Guigon
- Médecin chez les Berbères de Raymond Féry
Il faut croire que les Algériens ont apprécié, car nombreux sont ceux qui, à l'instar de leur Président, viennent se faire soigner en France.