MONSEIGNEUR ALPHONSE GEORGER
Modification 1 le 9 janvier 2019 - À la Béatification des martyrs à Oran
Aux premiers siècles de l'ère chrétienne, il y avait, ni plus ni moins, que 123 diocèses dans la Maurétanie Césarienne, et Tlemcen était un important siège apostolique. Au Ve siècle, l'évêque Honorat fut exilé par le roi Huneric pour avoir nié l'arianisme.
L'invasion arabe a détruit beaucoup d'églises, mais l'historien Abou-Obed-El Bekri rapporte qu'en 963, il y avait des églises et des chrétiens à Tlemcen. Les soldats chrétiens sont au service des rois maures jusqu'en 1254. En 1290, une bulle de Nicolas IV indique qu'Oran est sous la juridiction d'un évêché marocain.
Oran, probablement d'origine maure, est prise par les Espagnols dans une croisade en 1509, et ceux-ci gouvernent jusqu'en 1708, puis de 1732 à 1792.
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Notre Dame de Santa Cruz |
Vingt prêtres exercent leur ministère dans la métropole oranaise, et il y a vingt fidèles par prêtre, le taux le plus faible au monde. Les fidèles chrétiens sont presque tous partis après la guerre d'Algérie. Les violences politiques des années 1990 ont empiré la situation, car en 1990 il y avait 7 000 fidèles.
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Alphonse Georger, né le 25 mai 1936 à Sarreguemines en Moselle, est un évêque catholique français et algérien, évêque émérite d'Oran en Algérie depuis décembre 2012.
Alphonse Georger est ordonné prêtre le 29 juin 1965 pour le diocèse d'Alger. Il obtient la nationalité algérienne en 1977.
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Portrait en 2008 par un ami |
« La publication de ce document veut être un hommage à tous ceux qui, nombreux, ont travaillé, souvent d’une manière humble et parfois au prix de leur vie, à l’avènement de la paix et de plus de fraternité entre les hommes, sur cette terre toujours meurtrie »
Alphonse Georger a fait son service militaire en Algérie et a rédigé un journal de bord écrit avec des alphabets latin, grec et arabe, pour prévenir toute lecture indiscrète ! Après sa démobilisation, des amis musulmans et chrétiens le pressent de publier son témoignage. Mais pourquoi remuer le passé ? Sauf peut-être à être une contribution au travail de mémoire …
Au printemps 1960, il reçoit sa convocation militaire pour son incorporation directe en Algérie, plus précisément à Castiglione ; il est le premier étudiant séminariste à partir sans faire d’instruction militaire. Caserne de Metz, cela commence bien ! Épuisé par ses tout récents examens en théologie, il tombe dans les pommes le jour de son incorporation … Il part donc tout seul pour le camp de transit à Marseille, puis, en tenue d’hiver, profite d’un avion, débarque à Alger qui étouffe sous la chaleur, donne un trop gros pourboire à un gamin, passe sa première nuit à Alger sur un paillasson plein de vermine. Cela commence bien.
Puis, c’est la séance de piqûres à la chaîne et l’entraînement. Ambiance de chambrée : il trouve sous son lit des images pornos ! Il devine qui est l’auteur et lui rapporte son cadeau. Éclat de rire général. Puis il est affecté contre son gré au peloton des EOR (Élèves Officiers de Réserve), et le colonel l’envoie faire un test d’aptitude au commandement. Test réussi, mais il refuse toujours d’être officier, à la fureur du colonel.
Premier contact avec les soldats algériens. Un sous-officier enseigne les rudiments de l’arabe. Voulant user de ses nouvelles connaissance, Alphonse dit au sergent :
- at taï (du thé)
L’autre, furieux, fonce sur lui. Les copains rigolent :
- Tu l’as insulté. Tu as dit ataï (pédéraste), au lieu de dire "et téï".
Quid de la messe le dimanche ? Le capitaine dit aux soldats au travail : « Les séminaristes vont à la messe, il n’y a pas de difficulté pour cela ; les autres, quand ils sauront me réciter le Credo en latin, pourront aussi y aller. » Autre chose : « À propos des travaux de terrassement, l’autre jour on nous a fait récurer les chiottes. Pour vider la merde de la grande fosse, on nous a fait employer nos casques lourds ! Vive l’hygiène et bon appétit, puisque c’est avec ces mêmes casques lourds qu’on nous envoie le matin à la cantine pour ramener le café à la chambrée. »
Notre séminariste, en faction près d’une mechta, voit que les femmes ont assez peur des soldats. Il veut en connaître la raison. Réaction assez timide lorsqu’il leur adresse quelques paroles en arabe. « Puis je leur dit que j’étais marabout. La confiance vint et peu à peu, l’une après l’autre, elles vinrent s’asseoir au pied du tas de paille et y restèrent plusieurs heures pour parler avec le marabout … certaines se plaignaient de ce que leurs maris les battaient. Je pus aussi constater la pauvreté de leurs connaissances religieuses. »
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Castiglione |
Il est enfin affecté à Castiglione pour faire des contrôles de population, établir un fichier. Il y a des accrochages, des morts de part et d’autre … Les Pieds noirs ont les nerfs à bout. Ils ont peur pour leur peau : « Dimanche dernier, un monsieur très riche m’a dit : Je ne comprend pas comment la Sainte Vierge permet ces choses à notre égard, nous lui avons pourtant construit cette splendide basilique de Notre Dame d’Afrique ! »
« De plus en plus de gosses commencent à me connaître. Dès qu’ils me voient, ils accourent car le marabout a des bonbons en poche. On a bien raison de dire que « l’amour passe par l’estomac ». Par ailleurs il participe à une opération de fouille ; le capitaine lui demande de fouiller plus à fond dans les pantalons pour voir s’il n’y avait pas de grenades. « Mais je ne l’ai pas fait. Je connaissais personnellement toutes ces personnes. Chaque fois que j’ai tâté une poche, je me suis excusé et ai demandé pardon. Les gens m’ont dit : Ça ne fait rien, tu dois faire ton devoir, on sait que tu en as reçu l’ordre. »
Autre anecdote : « Dernièrement, j’ai trouvé un vieux de soixante ans qui s’est marié avec une gamine de quatorze ans. Je l’ai engueulé et je suis aussi allé chez le père de la fillette. Ce dernier avait touché une bonne somme de l’argent de l’époux et m’a dit : C’est une bouche en moins à nourrir ! ». Mercredi 22 février : un parachutiste a été lynché près des HLM de Castiglione. Il était venu embêter les femmes. Autre histoire de femmes : pendant le Ramadan, Alphonse poursuit le remplissage des fiches familiales. Les hommes sont au travail et les femmes sont seules à la maison. Elles refusent d’ouvrir, puis entrebâillent la porte. C’est le marabout ! « j’entre et je trouve une bonne vingtaine de femmes en train de casser la croûte. L’une d’elles me dit : on n’a pas voulu ouvrir. Quelle honte pour nous si les hommes nous avaient trouvées en train de manger … »
Samedi 18 mars - c’est la fin du Ramadan. Partout ma jeep se fait arrêter : on nous sert le café et nous revenons avec des montagnes de gâteaux … Dans la matinée, j’ai pu assister dans la rue des cafés maures à une séance de chants arabes : c’était très beau … Parfois j’étais fort embarrassé car les gens venaient me donner la main, en pleine rue, devant le capitaine en lui disant : « Ça, c’est notre ami, notre marabout, il nous aime tous, il n’y en a pas deux comme lui ! Et le capitaine de dire : N’ayez crainte, il va rester avec vous, vous allez voir et bientôt il va acheter votre mosquée ! ».
Et la meilleure : la veille, un jeune gars, tête un peu fêlée, m’avait assuré :
- Tu iras droit en enfer car tu n’es pas marié et tu n’as pas d’enfants, c’est marqué dans le Coran. Même ceux qui vont au bordel sont mieux que toi.
- Si tu me montres le passage du Coran où cela est marqué, je te donne dix francs.
- Donne-moi cent francs, et je te le montrerai !
- Pourquoi cent francs, je ne gagne que neuf francs par mois ?
- Je veux cent francs, car il me faut d’abord acheter le Coran.
- Ah bon, et as-tu déjà lu le Coran ?
- Non, jamais !
Dimanche 16 avril - Ce matin, déminage de la plage de Castiglione. Depuis plusieurs dimanches notre compagnie doit faire cette corvée. Les Pieds-noirs mettent des boîtes de sardines dans le sable pour nous embêter, et pourtant c’est pour eux qu’on fait ce travail ! Samedi 22 avril - Putsch à Alger. À la radio, musiques militaires, discours politiques. À Castiglione, durant les patrouilles, les filles Pieds-noirs sautent au cou des soldats. On n’a jamais vu ça ! Jusqu’à présent, elles n’étaient pas tellement affectueuses. Mardi 25 avril - Le putsch a échoué, c’est évident. Les Pieds-noirs se montrent de plus en plus excités. Certains ont l’air défaits, abattus. En tous cas, lors de nos patrouilles, les filles nous insultent, on les a trahies !
Séance de tir à la mitraillette : Alphonse Georger est promu tireur d’élite … Puis les jours passent, chargés de leur histoire lamentable. 7 juillet : suite de manifestation nationaliste. Il paraît que c’est à Castiglione qu’il y a eu le plus de morts sur le territoire algérien. Le général demande des explication à des gradés très embarrassés pour répondre. Puis il leur dit « N’ayez pas peur, je vous couvrirai de mon autorité. Vous ne risquez rien ! » Un journaliste est là aussi. Il faut prouver dans la presse que les militaires étaient obligés de tirer dans la foule. Vite on met en faisceaux quelques fusils et on rassemble toutes les fourches, faux et faucilles de la ferme. La photo historique servira de preuve !
Georger reçoit aussi des quantités de colis de vêtements de ses connaissances métropolitaines, grâce aux bons de colis gratuits collectés parmi les militaires. Un jour, alité, il reçoit la visite précipitée de son adjudant :
- Vite ! le commandant t’attend en bas, dans la cour, il est accompagné d’un général et d’un colonel …
- Mais je dois mettre ma tenue militaire, je suis en pyjama !
- Non, descends vite !
Le commandant lui fait signe de faire le salut militaire … Le général :
- Mais il est en pyjama, il n’a pas besoin de faire le salut militaire.
Et le félicite pour l’excellente tenue de ses fichiers.
2 novembre - les manifestations n’ont pas produit de heurts. Les Européens apportent du vin, puis des gâteaux. Aujourd’hui, nous sommes en honneur chez eux. Au barrage plus loin, ce sont les Arabes qui apportent du couscous et du café. Un gamin algérien a même franchi les barbelés pour m’apporter une tablette de chocolat aux noisettes. Un soldat me dit : « Nous sommes venus pour les tuer et ils nous apportent à boire et à manger … »
Dans cette atmosphère très tendue, un moment de détente : « Avec les copains, on parle du haïk, le voile blanc dont se couvrent les femmes. Je prétends qu’il peut cacher et camoufler beaucoup de choses. Finalement, on parie que je vais le mettre, traverser tout le marché et que personne me reconnaîtra. Chose dite, chose faite. Je me drape dans un haïk, ne laisse apparaître qu’un œil, et fais tout le tour du marché, tâtant par-ci par-là fruits et légumes. Puis je reviens tranquillement au bureau, accueilli par les rires des amis. Personne m’a reconnu, et personne n’a vu mes grosses chaussures militaires ! »
Le capitaine de Georger, parti à la retraite, lui écrit amicalement : « … Je suis toujours à la radio les événements d’Algérie, ils sont douloureux et infiniment tristes. Pourquoi tous ces meurtres, toutes ces violences, tous ces assassinats, tous ces deuils, puisqu’il faudra en fin de compte vivre, travailler et cohabiter ensemble ? … » Et puis, il y a l’histoire de Mahfoud Bouzaghti, totalement rocambolesque, que nous laissons le soin aux lecteur du livre de découvrir. Mahmoud, si tu nous lis !
- On voudrait vous dire quelque chose …
- Oui, allez-y, n’ayez pas peur !
- On n’ose pas vous le dire, et on ne sait pas trop comment.
- Dites-le carrément !
- Vous êtes meilleurs, meilleurs … que les fellaghas !
- Merci pour l’estime que vous me portez !
- Justement, on vous aime tellement qu’on voudrait que vous soyez avec nous dans le paradis ! Mais il faudrait être musulman. Vous n’êtes pas fâché de ce que je vous ai dit ?
- Non, pas du tout, respectons-nous, entraidons-nous, et Dieu fera le reste !
Lundi 19 mars - Le fameux cessez-le-feu tant attendu entre en vigueur aujourd’hui. Avec toutes les vicissitudes dues à l’OAS …
Et le mot de la fin : En 1964, Mohamed est motard à Alger. Un jour, il rencontre Georger, le met sur sa moto et le conduit dans le bureau de son chef, boulevard Colonel Amirouche. Il lui dit :
- Je vous présente mon frère !
- Mais c’est un roumi (étranger)
- Oui, il m’a sauvé la vie pendant la guerre.
Monseigneur Alphonse Georger vit maintenant paisiblement dans sa petite maison de Cherchell, qu’il a aménagée en oratoire :