BOUTALEB ET L'ASOM




Modification 2 le 18 octobre 2015 : diffusion de la conférence au CCA par France 24 - anecdote sur le palmier
Modification 3 le 18 juillet 2016 : relecture





Toc, toc, toc !

Pour la première fois, le 10 septembre 2015, l’Académie des Sciences d’Outre-mer ouvre ses portes à l’Émir Abd-El-Kader, en la personne de son descendant à la cinquième génération, le docteur Chamyl Boutaleb, Président de la Fondation Émir Abd-El-Kader ; et ce n’est pas sans raison, puisque le thème principal de la conférence est « Abd-El-Kader, pacificateur du Moyen Orient, et son combat contre les Passions ». Un thème d’une actualité brûlante, dans la mesure où les combats s’amplifient au Moyen Orient, et que sa population, désespérée, fuit vers l’Europe.

L’Académie des Sciences d’Outre-mer a été créée en 1922 afin d'étudier les questions spécifiques aux « colonies », sous le nom le nom d’«Académie des Sciences coloniales». La séance solennelle d’ouverture s’est déroulée à la Sorbonne le 18 mai 1923 sous la présidence d’Albert Sarraut, ministre des Colonies et en présence de son président fondateur, Albert Lebrun, ancien ministre, et de son premier secrétaire perpétuel, Paul Bourdarie, qui lance à cette occasion les quatre verbes « savoir, comprendre, respecter, aimer » qui deviendront la devise de l’Académie, laquelle prend le nom d’Académie des Sciences d’Outre-mer en 1957.

Voici donc l’intervention du Président Boutaleb :

« Depuis longtemps, votre captivité me cause un réel chagrin. Elle me rappelait sans cesse que le gouvernement qui m’a précédé n’avait pas rempli ses engagements à l’égard d’un ennemi malheureux ; et, à mes yeux, il est humiliant pour une grande nation d’avoir assez peu de confiance en sa propre puissance pour renier ses promesses. Vous avez été l’ennemi de la France, mais néanmoins, je suis prêt à rendre justice à votre courage, à votre caractère et à votre résignation dans le malheur. Par conséquent je considère comme un point d’honneur de mettre un terme à votre emprisonnement. » (Président Louis-Napoléon Bonaparte, celui qui allait être l'ami de l'Émir et  de l'Algérie, - Château d’Amboise - 16 octobre 1852)

Je suis heureux de faire ma présentation devant cette honorable assistance, dans cette prestigieuse Académie des Sciences d’Outre-mer, rencontre que je souhaiterais qu’elle soit placée sous le signe de la tolérance musulmane. Je voudrais également montrer par cette conférence qu’en matière des droits de l’homme il existe une longue tradition dans le monde arabe musulman.

En fait, le droit humanitaire n’est pas une spécificité propre à l’Occident. L’actualité internationale nous montre que cette conduite n’a rien perdu de sa pertinence.

Il faut également souligner le caractère universel de l’Émir, qui s’est efforcé, tout au long de sa vie, de rapprocher les peuples des deux rives de la Méditerranée (thème ô combien d’actualité !). L’ignorance, l’incompréhension et la peur sont les pire bases sur lesquelles il ne pourrait y avoir de relation de coexistence entre les pays musulmans et les pays occidentaux.

En effet, c’est le dialogue qui doit être instauré entre les différentes civilisations. Et pour qu’un dialogue soit fructueux, il suffirait qu’un certain nombre de points soient partagés entre l’une et l’autre partie. Dieu a fait du dialogue un impératif découlant de la diversité des couleurs de peau, des langues et des religions des hommes sur terre.

Je voudrais vous présenter cet Algérien simple, peu ou mal connu des Occidentaux, né une journée de septembre de l’année 1808, dans une bourgade perdue au pied des monts de Stamboul, de la chaîne des Béni-Chougrane, à une vingtaine de kilomètres de Mascara, sur la rive gauche de l’Oued El-Hammam.

PRÉAMBULE

Je voudrais me pencher sur un document aussi authentique que précieux (car répertorié dans les archives françaises), écrit de la main de l’Émir (tout en rappelant que l’Émir n’a jamais parlé ni écrit en français) ; il s’agit de la lettre datée du 22 décembre 1847 et envoyée au général Lamoricière scellant par là un armistice. Voici ce qui est écrit en substance dans cette lettre, dans laquelle l’Émir pose des conditions on ne peut plus claires, acceptées et par un chef militaire et par le Gouverneur général, fils du Roi Louis-Philippe :

« De la part de l’Émir, défenseur et protecteur de la religion, Sidi El-Hadj Abd-El-Kader, que Dieu lui soit en aide ! Au général La Moricière, chef des troupes françaises  de la province d’Oran , que Dieu améliore votre état et le nôtre ! Salut à celui qui suit la vérité et qui dit la vérité. J’ai reçu le cachet que vous m’avez envoyé à la réception de l’empreinte du mien qu’aucun écrit n’accompagnait à cause de l’obscurité de la nuit. Cette réponse nous a causé une grande joie, mais nous voulons de vous votre parole de Français, sans arrière-pensée et sans retour que nous serons transportés de Djema’à-Ghazaouet à Alexandrie ou à Âkka, sans dévier ni à droite ni à gauche. Vous nous enverrez votre lettre bien détaillée sur ce point et lorsque nous nous rencontrerons, nous nous entendrons sur le reste, car nous connaissons ce que vous valez et ce dont vous êtes capable et nous avons voulu vous faire le plaisir de notre démarche à vous de préférence à d’autres. »

La suite de la lettre comprend d’autres conditions :
- d’être accompagné par tous ceux qui le souhaiteraient ;
- de prendre le montant intégral de la vente de tous leurs biens ;
- d’avoir des nouvelles de son khalifa Bouhmidi envoyé auprès du Roi du Maroc.

Lamoricière répondra par écrit en même temps à l’Émir, par lettre datée du 22 décembre 1847 et au Duc d’Aumale : « J’ai été obligé de prendre des engagements ; je les ai pris, et je l’ai fait, pleinement confiant que votre Altesse Royale et le gouvernement les ratifieront si l’Émir fait confiance à ma parole. Je vais à l’instant monter à cheval pour aller jusqu’à la Deïra. Je n’ai pas le temps de vous envoyer une copie de la lettre que j’ai reçue de l’Émir, ni la réponse que je lui ai faite. Qu’il me suffise de préciser que j’ai seulement promis et stipulé que l’Émir et sa famille seront conduits à Saint-Jean d’Acre ou à Alexandrie. Ce sont les deux seules localités que j’ai mentionnées. Ce sont celles qu’il a désignées dans sa demande et que j’ai acceptées. »



 
Mausolée de Sidi Brahim
 Fort de cet engagement écrit, l’Émir, accompagné de 88 de 
ses proches, se rendit au rendez-vous fixé, près d’un mausolée (celui du Marabout Sidi Tahar)  situé à 5 kilomètres de  celui de Sidi Brahim et 25 kilomètres de Ghazaouet (ex-Nemours). C’est à cet endroit, marqué d’un palmier qu’on appelle dès lors « le palmier d’Abd-El-Kader » que fut scellé, le 23 décembre 1847, l’accord d’armistice entre l’Émir et le général Lamoricière. L’Émir y passera sa dernière nuit sur le sol natal avant sa Hidjra dans la maison du commandant d’armes à Ghazaouet.

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Complément à la conférence :


D'après les habitants du village, le palmier serait mort un beau jour sans qu'ils comprennent pourquoi. Ils l'ont trouvé entièrement desséché. ils ont conclu que l'Émir a dû mourir ce jour-là et que le palmier l'avait ressenti. Les habitants n'ont pas arraché ce palmier et en ont planté un autre. Et c'est donc ce premier palmier que les soldats français auraient "tué" avec de l'essence.

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Le fameux palmier (avant)

Le même (après)

 
Arrivée de l'Émir en vertu des conventions de l'armistice
 (La vidéo correspondant au lien ci-dessous fait allusion à une "soumission" de l'Émir. Il n'en est rien : la rencontre reconstituée dans la vidéo correspond en fait au respect de la convention établie entre le général Lamoricière et l'Émir, à savoir la cessation des hostilités, liberté étant laissée à l'Émir et à son entourage de se rendre au Moyen Orient. Cette vidéo est donc significative de la méconnaissance historique de son auteur. Elle est sur internet, le lecteur éclairé de cet article saura faire la part du feu).

https://www.youtube.com/watch?v=ryj3pmkh5ng

Le lendemain à midi, 24 décembre 1847, accompagné du général Lamoricière, du général Cavaignac et du colonel Beauford, Abd-El-Kader était présenté au duc d’Aumale, devant les soldats alignés qui rendaient les honneurs en lui demandant de renouveler l’engagement qu’il sera transféré à Alexandrie ou à Âkka et non ailleurs, ce que fit le prince en lui rappelant le respect des engagements pris par le général. L’Émir et sa suite furent embarqués sur le « Solon » pour Mers El-Kébir, d’où ils repartaient le 25 décembre à bord de la frégate « l’Asmodée » pour … Toulon où ils seront enfermés le 10 janvier 1848 dans le sinistre fort Lamalgue, après un séjour de quelques jours à Malbousquet.

LE PARJURE FRANÇAIS ET L’INTERNEMENT

La France ne tiendra pas son engagement pris à la fois par un de ses prestigieux généraux et par un prince gouverneur du pays qu’il venait de conquérir. Charles-André Julien écrit à ce sujet « Abd-El-Kader partit pleinement confiant dans la parole deux fois donnée par un général français et par le gouverneur, fils du Roi, mais ni Paris ni Alger ne l’entendirent ainsi. »


Fort Lamalgue à Toulon
Château de Pau
Château d'Amboise

 Après plusieurs mois d’une détention injustifiée à Toulon, l’Émir sera ensuite interné le 29 mai 1848 dans l’austère château d’Henri IV à Pau, mais sous une étroite surveillance, et le 8 novembre de la même année, il terminera son injuste incarcération en France dans des conditions encore plus rigoureuses dans le glacial château d’Amboise. À la demande de Louis-Philippe, Bugeaud écrira à l’Émir pour lui demander d’accepter de vivre en France dans une résidence de son choix avec une liste civile digne de son rang, en attendant des jours meilleurs où il pourra être transféré en Orient, l’Émir lui fit cette réponse : « La France est liée vis-à-vis de moi comme moi vis-à-vis d’elle ; votre parole, je ne vous la rend pas. Je mourrai avec elle pour votre déshonneur. Les peuples et les rois apprécieront par mon exemple la valeur de la parole française. »

L’Émir quittera définitivement Amboise le 11 décembre 1852, et le 17 janvier 1853, il arrivera à Bourssa (Brousse - Turquie). Il y restera trois années, et à la suite du terrible tremblement de terre qui détruira Brousse, le 6 décembre 1855, l’Émir ira s’installer définitivement à Damas (il est alors âgé de 47 ans).

Les 28 années passées par l’Émir à Damas seront d’une richesse intellectuelle et d’une grandeur d’âme hors du commun. D’une piété et d’une compassion pour les faibles jamais égalée, il sera qualifié de « Grand » avec Mohammed Ali (héros de l’indépendance égyptienne) et Chamyl (héros de l’indépendance du Caucase).



POURQUOI L’ÉMIR A CITÉ ‘ÂKKA (SAINT-JEAN D’ÂCRE) ?

Imaginons un seul instant que l’Émir Abd-El-Kader se soit installé définitivement à ‘Âkka, un siècle avant la création d’Israël ? Dès 1847, l’Émir avait pris conscience de l’importance que cette région allait avoir sur le devenir du monde arabe-musulman … Le cours de l’histoire de la région moyenne orientale aurait peut-être changé connaissant la dimension humaine de cet homme universel. ‘Âkka est l’une des deux villes que l’Émir a mentionnées dans ses conditions posées à la France le 22 décembre 1847.


Saint-Jean d'Acre

 Début mars 1799 commença le siège de ‘Âkka. Les Turcs, commandés par Abdallah (Djezzar) Pacha, repousseront quatorze assauts de la part de l’armée d’Orient commandée par le général Bonaparte. La division Kléber, forte de trois mille hommes, sera écrasée dans la nuit du 15 au 16 avril 1799 dans la bataille du mont Thabor. Elle sera secourue par Bonaparte, qui commettra l’erreur de ne pas marcher sur Damas, presque sans défense, et reviendra sous les murs de ‘Âkka qui continua à résister aux assauts. Le reste des troupes de Kleber, encerclé dans une partie de la ville et manquant de munitions, fut obligé de se rendre. La ville résistera à tous les assauts (le dernier fut mené le 10 mai en vain). 

Bonaparte au siège de Saint-Jean d'Acre
 Ayant subi des pertes de l’ordre de 4000 hommes et manquant d’approvisionnements, Bonaparte devra renoncer devant la menace de débarquement de la seconde armée turque dans le delta du Nil. Il lèvera le siège de la ville le 17 mai. L’échec (majeur) du siège de ‘Âkka sera un sérieux revers pour Bonaparte qui verra s’effondrer ses projets de campagne. L’armée d’Orient (9000 survivants en piteux état), privée d’un tiers de ses effectifs, sera obligée de refluer vers l’Égypte en juin 1799.

Il est indéniable que l’Émir Abd-El-Kader avait connaissance de tous ces faits, et c’est dans ce contexte  que l’une de ses conditions de l’armistice posées le 23 décembre 1847 au général Lamoricière était justement de faire sa hijdra à ‘Âkka pour s’y installer, ayant pris conscience que la deuxième partie de sa vie, le grand djihad ou combat contre les passions, il devait le mener en … Palestine. 



SA LIBÉRATION PAR LE PRINCE PRÉSIDENT LOUIS NAPOLÉON

Après une captivité aussi dure qu'injuste qui aura duré cinq longues et terribles années, l'Émir et ses compagnons furent enfin libérés, le 16 octobre 1852 par le Prince Président Bonaparte. Celui-ci, accompagné d'une nombreuse suite, alla lui-même annoncer au captif sa libération pour donner plus d'éclat à l'événement que les Français, traumatisés par une opinion internationale indignée, attendaient avec impatience.

(Le célèbre tableau d'Ange Tissier montre la mère de l'Émir baisant la main du Président. Il ne faut pas y voir un signe de soumission, mais plutôt le geste de remerciement d'une personne intelligente et sensible, attentive aux conditions psychologiques très difficiles que subissait jusqu'alors son fils. Or, le Président avait tenu à venir lui-même à Amboise, en ami).

Entrevue d'Amboise par Ange Tissier

 Outre l'annonce de sa libération et de celle de ses compagnons, les termes de l'annonce du Prince ont touché profondément l'Émir : le Prince reconnaît l'injustice de sa captivité, et sa foi en la parole d'un homme à qui il rend justice pour son courage, son caractère et sa dignité. Mais cet acte apparemment généreux ne cache-t-il pas une arrière-pensée politique ?

On dit toujours qu'un homme politique, fut-il prince, ne fait pas, ou très peu de sentiment. On pourrait penser qu'à tout le moins le Prince a agi tardivement et un an auparavant déjà, au lendemain de son coup d'État du 2 décembre, il avait les pleins pouvoirs pour agir. Mais on peut penser également à l'avantage du Prince que le "dossier Abd-El-Kader" qui se trouvait sur son bureau comme il le fut sur ceux de ses prédécesseurs, ne pouvait, compte tenu des circonstances, avoir la priorité de ses préoccupations politiques. Victor Hugo, qui fustige le Prince et qualifie son acte de basse opération politique pour faire oublier à l'opinion son coup d'État que le poète considère comme un crime. Mais Victor Hugo était l'ennemi du Prince qui l'avait banni et ne peut être impartial. 

Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un acte courageux autant que généreux qu'aucun gouvernement avant lui n'a osé accomplir, et l'Émir sut l'apprécier par cette réflexion : "D'autres ont pu me terrasser, d'autres ont pu m'enchaîner, mais Louis-Napoléon est le seul qui m'ait vaincu."


« LES DROITS DE L’HOMME »

Cinq ans après l’arrivée de l’Émir à Damas en 1860, les Occidentaux voulant fomenter des troubles en Syrie en soulevant les Druzes (musulmans) contre les Maronites (chrétiens) trouvèrent en face d’eux l’Émir qui bouleversera tous leurs plans en s’opposant d’une manière énergique et audacieuse, du 9 au 16 juillet 1860, sauvant la vie de 15 000 chrétiens menacés. Par cette action humanitaire unique en son genre, la plupart des grandes puissances de l’époque, reconnaissantes, lui attribueront leurs plus hautes décorations ; aucun homme avant lui n’avait reçu autant de distinctions universelles. Cet acte, hautement considéré par toutes les puissances de l’époque comme « acte humanitaire », devance ainsi les conventions sur les « droits de l’homme »  de plusieurs années. À l’évêque d’Alger qui rendait hommage à l’Émir en 1862 pour son engagement, l’Émir répond : « Ce que j’ai fait pour les chrétiens, je l’ai fait en raison de ma foi musulmane et des droits de l’humanité ». Jamais avant l’Émir, quelqu’un n’avait employé le mot « droits de l’humanité » dans son sens moderne.





Abd-El-Kader au Liban

 France et Angleterre étaient alliées aux Turcs contre la Russie après l’expédition de Crimée et la prise de Sébastopol, et tandis que la France soutient les Druzes, l’Angleterre protège les Maronites. La rivalité entre les deux puissances est violente. Si on arrivait à dresser les Druzes contre les Maronites, il en résulterait inévitablement des troubles sanglants qui justifieraient une intervention armée. Le 8 juillet 1860, un petit incident de gamins surviendra mais qui va s’amplifier le 9 juillet par des cris « Mort aux chrétiens » ! C’est le début des massacres. Au terme de ces tragiques journées, l’Histoire retiendra que l’illustre Algérien a sauvé près de 15 000 vies humaines faisant de son geste la plus importante action humanitaire depuis plusieurs siècles.

L'Émir Abd El Kader à Damas


Après le 16 juillet, il offrira 50 piastres à celui qui lui amènera un chrétien vivant.

La nouvelle notoriété internationale d’Abd-El-Kader fait affluer  de prestigieux visiteurs dans sa résidence de Damas : des princes, des ecclesiastiques et même des rois lui rendent visite. Les Francs-maçons qui partagent cet idéal de fraternité humaine se manifestent aussi auprès de lui. Les puissances occidentales comblèrent Abd-El-Kader des témoignages les plus distingués de leur gratitude et de leur admiration. Des lettres, des présents et des décorations lui vinrent de tous côtés. La France lui enverra le Grand Cordon de la Légion d’Honneur.

Tous ces dons et décorations étaient accompagnés de lettres de remerciements. Nous remarquerons cependant qu’aucune poitrine d’homme depuis des siècles n’a porté autant de décorations contradictoires et opposées les unes aux autres. Oui ! L’Émir a été l’ami des Français puisqu’il porte la Légion d’Honneur. Mais il est également l’ami des Russes et aussi celui des Grecs. En vérité, il est l’ami de l’Humanité toute entière.

Mais l’hommage le plus sensible au cœur d’Abd-El-Kader est celui d’un autre exilé, d’un ancien combattant de la liberté, le patriote caucasien. L’Imam Chamyl qui lui dit : « Quand j’ai appris que tu avais étendu les ailes de la miséricorde et de la bonté pour en couvrir les chrétiens ; quand j’ai entendu dire que tu avais arrêté ceux qui violaient les lois divines, je n’ai pas été étonné que tu aies remporté  la victoire dans l’arène des louanges ! J’ai été comme toi ! Puisse Dieu l’être aussi au jour suprême où ni argent, ni enfants ne te serviront à rien. Tu as fait revivre les paroles de notre Prophète Mohammed envoyé aux humains par la miséricorde de Dieu et tu as mis le frein à ceux qui  violent ses Décrets."

Abd-El-Kader répondra ceci à l’Imam Chamyl : « J’ai reçu ta lettre et tes aimables louanges. Ce que nous avons fait pour les chrétiens a été un devoir religieux et un devoir d’humanité. Notre foi est la perfection des bonnes qualités. Elle renferme tout ce qui doit être loué et tout ce qui doit être fait. Toutes ces bonnes choses doivent être avec nous comme un collier au cou. L’injustice est blâmée chez toutes les nations et sa demeure est souillée. Le poète a dit : « Quand vient le tour de la tentation, l’homme perd tellement la tête qu’il trouve beau ce qui est laid … Nous vivons dans un temps où peu de fidèles font triompher chez eux la justice. Alors les simples ont cru que la grossièreté, la cruauté, l’injustice, l'intolérance étaient dans l’islamisme. Que le Dieu que nous invoquons nous accorde assez de patience ! »

L’Émir a combattu la France coloniale dans une guerre juste tandis que, par son courage et sa grandeur d’âme, son action à Damas a été dictée par des raisons hautement humanitaires à l’exclusion de toutes considérations politiques et par des impératifs de la charité et de la tolérance prescrits par l’Islam.

LE « COMBAT CONTRE LES PASSIONS »

Il fallait maintenant à l’Émir qu’il puisse accomplir consécutivement deux pèlerinages entre La Mecque et Médine pour devenir, à ses yeux, « compagnon du Prophète ». L’Émir quittera donc Damas en janvier 1863 pour revenir, par Alexandrie, en juillet 1864. Après avoir séjourné quelques semaines au Caire, l’Émir s’embarquera pour Djeddah avant d’atteindre La Mecque avant la date du pèlerinage. Accueilli par les savants de La Mecque, le Chériff Hachémite mettra en outre à sa disposition une Khelwa (retraite) ainsi qu’une pièce de réunion à quelques mètres du Sanctuaire Sacré.

Vivant de pain et d’olives, l’Émir Abd-El-Kader accomplira, à travers toutes les haltes et les stations, un parcours qui le mènera au degré suprême et à l’illumination. C’est ainsi que tous les écrits de l’Émir tourneront autour du thème de l’Unicité de l’Être (Wahdet El)Woudjoud). Épuisé par son ascèse d’une année passée à côté du Sanctuaire Sacré (s’isolant de temps à autre dans la grotte de Hira), Abd-El-Kader ira passer trois mois à Taïf, au climat plus clément.

Sa longue retraite inquiétera sa famille, mais il lui restera encore plusieurs mois à faire et il se rendra alors à Médine où il se retirera plusieurs mois dans la maison du Khalife Abou-Hakr tout près de la  mosquée de notre Prophète. En deux mois de retraite totale, Abd-El-Kader sera « ravi à lui-même et au monde ». Après être sorti de son ravissement, l’Émir visitera les tombeaux des compagnons du Prophète, Djebel Ohod, Mesdjed Qobbah ainsi que les lieux sacrés de l’Islam. Ces visites accomplies, l’Émir reviendra à La Mecque pour y effectuer enfin son deuxième pèlerinage  consécutif et la fin de son « combat contre les passions ».

FERDINAND DE LESSEPS ET LE CANAL DE SUEZ

Abd-El-Kader s’intéresse depuis toujours au progrès et à la technique. Il a rencontré Ferdinand de Lesseps pendant sa captivité en France et ils sont devenus de véritables amis. Lesseps lui fait visiter les débuts d’un chantier qui l’occupe depuis tant d’années : le percement du Canal de Suez.


 Abd-El-Kader s’enthousiasme et il va s’employer à convaincre les populations locales de céder leurs terres pour ce projet grandiose. Il y a vu un « véritable bienfait pour l’humanité en même temps qu’une œuvre d’utilité générale dont les avantages rejailliront sur la plupart des habitants de la terre, d’une extrémité à l’autre ». Le percement du Canal de Suez concrétise parfaitement sa démarche spirituelle de rapprochement entre l’Orient et l’Occident. Après dix ans de travaux, le Canal est inauguré le 17 novembre1869 en présence d’Abd-El-Kader, des Rois et des Ambassadeurs du monde entier. Le Canal n’aurait sans doute jamais vu le jour sans le soutien qu’il y a apporté.


CONCLUSION

Esprit libéral et précurseur, Abd-El-Kader est animé par une foi enthousiaste ans l’avenir et le progrès de l’humanité. Témoignant en permanence d’un intérêt tout particulier pour les innovation techniques, il a adhéré au projet du Canal. Il défend avec conviction cette initiative porteuse d’une modernisation vitale pour cette région et symbole du trait d’union qui relie les deux rives  de la Méditerranée, le Nord et le Sud.

Témoin vivant de cette réalité spirituelle qui transforme l’homme et à travers lui la société, Abd-El-Kader fut profondément attaché à une éthique universelle, loin de ne mener qu’une lutte patriotique, cet homme d’honneur, véritable chevalier des temps modernes, considéré par tous comme un exemple d’ouverture à l’autre, a conduit un combat, passez-moi le mot, humanitariste en faveur des valeurs essentielles qui font la richesse et la noblesse de l’homme.

En ce sens, Abd-El-Kader l’Algérien est plus que jamais un homme modèle d’éducation et de comportement qui concerne les femmes et les hommes du pourtour de la Méditerranée et même bien au-delà, et qui concerne également tous ceux qui sont attachés à un dialogue fécond entre les cultures, dans l’intérêt et le bien de toute l’humanité.

N’a-t-il pas dit : « Si les Musulmans et les Chrétiens avaient voulu me prêter leur attention,  j’aurais fait cesser leurs querelles. Ils seraient devenus extérieurement et intérieurement des frères. » Tout à la fois homme d’action et de méditation, de tradition et de progrès, de raison et de foi, Abd-El-Kader fut un véritable trait d’union entre l’Orient et l’Occident. Au delà des circonstances historiques, son message en faveur d’un dialogue fécond entre les cultures et ses qualités universelles reste aujourd’hui d’une grand actualité.

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Le lendemain le Président Boutaleb a développé au Centre Culturel Algérien les thèmes évoqués dans son livre «L'Émir Abd-El-Kader face au parjure français"  devant une assistance nombreuse et très attentive au vu de la vivacité du débat qui a suivi la conférence. 

La conclusion qui s’impose est que l’œuvre de l’Émir Abd-El-Kader gagnera à être beaucoup mieux connue, en Algérie et en France, mais bien sûr partout ailleurs dans le monde. Nous tâchons d’y contribuer dans notre site DAKERSCOCODE. Par exemple :

La recension de ce livre :
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2096%20-%20L%27EMIR%20ABD-EL-KADER%20FACE%20AU%20PARJURE%20FRANCAIS 

La période algérienne de l'Émir :
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2028%20-%20ABDELKADER%20%3A%20p%C3%A9riode%20alg%C3%A9rienne

La période française de l'Émir :
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2029%20-%20ABDELKADER%20%3A%20p%C3%A9riode%20fran%C3%A7aise


La période moyen-orientale de l'Émir :
 http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2030%20ABDELKADER%20%3A%20p%C3%A9riode%20syrienne

La saga de son secrétaire Roches :
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2047%20-%20ROCHES%20CONSEILLER%20d%27ABD%20EL-KADER

Sidi Brahim
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2061%20-%20SIDI%20BRAHIM

Louange à Napoléon III
http://napoleonkersco.blogspot.fr/search/label/a%2011%20-%20LOUANGE%20D%27ABDELKADER 




Voici la vidéo de la conférence du Docteur Chamyl Boutaleb, co-présidée par Jean Kersco, et dont un extrait a été diffusé le lundi 21 septembre 2015 sur la chaîne France 24 (en langue arabe)  :



https://youtu.be/yOlVgcm_eRo

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