LE PARJURE FRANCAIS
Création le 6 juin 2015
Si la royauté française moribonde n’avait pas jugé utile de redorer son blason en envahissant la contrée gérée par la Régence d’Alger,
(il suffisait de demander au dey d’appliquer sérieusement le traité conclu entre Mustapha Pacha, Dey d'Alger et Napoléon Bonaparte, Premier Consul de la République française)
Si le Ministre de la Marine et des Colonies de Charles X avait su à quoi il engageait son pays,
(discours du 18 mars 1829 à l’Assemblée nationale : "On a soulevé la question de l’avenir réservé à l’Etat d’Alger après la conquête. Je ne pense pas que ce soit ici le moment de s’en occuper. Avant l’accomplissement d’un fait, ses conséquences ne peuvent être prévues avec assez de précision pour devenir l’objet d’une discussion publique ; et vous reconnaîtrez, Messieurs, l’impossibilité où je suis de fixer vos idées sur ce sujet.")
Si le gouverneur général de l’Algérie avait permis aux tribus « makhsen » de continuer àassurer l’ordre, au lieu de laisser s’instaurer le désordre dans toute l’Algérie,
Abd el-Kader serait resté un inconnu, sauf peut-être du bey d’Oran qui n’appréciait pas son père, et qui l’aurait jugé trop intelligent, donc dangereux.
Si Louis-Napoléon Bonaparte n’avait pas été élu premier Président de la République, sous la deuxième République (qui d’après Karl Marx lui-même se dirigeait droit vers la dictature) et n’avait pas délivré Abd-el-Kader de son assignation à résidence dès que possible,
Donc le Docteur Chamyl Boutaleb, son « petit-fillot » à la cinquième génération, n’aurait pas eu l’occasion d’écrire son livre « L’Émir Abd-El-Kader face au Parjure Français ».
Mais qui est le Docteur Boutaleb ? Docteur en médecine en 1975, médecin de l’ entreprise Sonatrach en 1978, il s’installera dans son propre cabinet privé à Oran dès 1983. En 1987, il fera une spécialité médicale de trois années à Paris. Et dès 1991, dans le cadre de la Fondation Émir Abd-El-Kader, il sera le représentant de la famille de l’Émir auprès des instances nationales de cette association.
Après un chapitre de « repères généalogiques », mais sans préciser que l’ Émir avait confié à son ami Alexandre Bellemarre qu’il descendait du Prophète, on passe à la Moubaya ‘â. C’est un acte d’allégeance de très nombreux chefs de tribu à un jeune homme de 24 ans, qui possède au plus haut point la bravoure, l’intelligence et le sens du jugement très aigu et très apprécié, en plus de ses qualités physiques (il est capable de diriger son cheval sur les pattes arrières sur une trentaine de mètres), sa sobriété et sa foi profonde.
C’était bien l’homme providentiel tant pour les Algériens que pour … les responsables français. Ceux-ci avaient en effet tout avantage à voir se créer un état moderne coopérant avec la France. Telle n’était pas leur opinion, ils voyaient surtout en Abd el-Kader un empêcheur de tourner en rond, un futur dey d’Alger bis. Le général Desmichels l’avait compris : il s’est fait virer par sa hiérarchie. Mais son successeur, le général Trezel , un va-t-en-guerre, s’était également fait virer pour une raison contraire, suite à la défaite de la Macta … ce qui aboutit au bout de quelque temps de réflexion au traité de la Tafna.
Et Chamyl Boutaleb de décrire tous les attributs de l’État nation algérien qu’Abd-el-Kader a su construire en seulement si peu d’années de paix. C’est grandiose.
Coup de chapeau tardif du duc d’Orléans, qui s’était illustré par son enthousiasme pour l’expédition des Portes de Fer » : « Il substitua au Makhzen, aux division des tribus, à l’inégalité de leur condition, cette égalité fraternelle qui, en d’autres temps, avait fait la grandeur de l’islamisme… Par le seul instinct de son génie, cet Homme extraordinaire trouva du premier coup dans une société informe, la solution d’un problème poursuivi sans succès dans les nations modernes à travers bien des révolutions. L’équilibre des influences aristocratiques et des traditions héréditaires avec l’élément électif et les exigences nées de par la faveur populaire. »
Revenons au traité de la Tafna qui en fait n’était qu’une trêve. Trève pour Ab-el-Kader, aux prises avec ses fanatiques et ses opportunistes, trève pour les autorités françaises. Le docteur Chamyl Boutaleb pense que le but de la France était d’écraser. Nous pensons de notre côté que le gouvernement français n’avait pas de but, sauf de gagner du temps avant de savoir quoi faire de l’Algérie. Mais le résultat final a été le même : la guerre.
Pourtant Abd-el-Kader, en rompant ce traité de la Tafna, ne pouvait pas ignorer qu’il aurait à faire face à l’armée française toute entière, et que celle-ci n’aurait de cesse que d’écraser. Il ne pouvait donc pas ne pas tenter une ultime chance d’éviter la guerre. D’où l’importance de connaître la teneur du message qu’il a fait passer au Ministre de la Guerre de Louis-Philippe et dont nous avons fait état dans un précédent article. La connaissance de l’existence d’un message n’est pas un fait nouveau, mais remis dans son contexte, il prend toute son importance. Quoiqu’il en soit, c’est la guerre.
LES BATAILLES
Face à une armée régulière, Abd-el-Kader joue son extrême mobilité et sa connaissance du terrain. Il faut ajouter une endurance exceptionnelle et sa faculté d’haranguer et de retourner une situation parfois désespérée. Ce jeune Algérien a eu à affronter 140 généraux habitués aux « guerres classiques », alors qu’il pratique une guerre de mouvement. La bataille la plus connue du public français est celle de « Sidi Brahim », succédant à celle de la Macta. La réaction de l’armée française sera terrible et excessive.
Et même le général Bugeaud va jusqu'à écrire au Ministre de la Guerre : "... Vous les soumettez à des corvées continuelles, soit pour approvisionner vos colonnes et vos places, soit pour labourer la terre de leurs étranges civilisateurs. Vous les faites marcher avec nous à la guerre pour combattre leurs frères. Par tous les points, vous blessez leurs mœurs, leurs intérêts, leur religion."
En 1843, Abd-El-Kader change de tactique : ses établissements fixes étant vulnérables, il crée une immense capitale ambulante, la smala, qui comptera plus de 20 000 âmes. C'est la solution d'un problème de logistique qui a fait l'admiration de Churchill, pourtant un maître en la matière. Un renseignement local conduisit à sa destruction.
Dans le chapitre suivant Chamyl Boutaleb fait l'éloge du comportement d'Abd-El-Kader vis-à-vis de ses prisonniers. Il y a mieux : Alexandre Bellemarre raconte que lorsque Abd-El-Kader est venu à Paris, après sa libération par Napoléon III, un de ses anciens prisonniers l'a supplié de le prendre dans sa suite au Moyen Orient !
Quant au dialogue inter-religieux, là aussi, malgré la guerre, l'Émir applique le dialogue avec les Chrétiens, particulièrement avec Monseigneur Dupuch, premier évêque d'Alger. On peut dire qu'Abd-El-Kader est indiscutablement l'initiateur d'un dialogue franc et sincère entre Chrétiens et Musulmans. En prime, il aborde une sorte d'œcuménisme religieux, et devient un champion des valeurs humaines, lui qui a dit "Si les Musulmans et les Chrétiens avaient voulu me prêter leur attention, j'aurais fait cesser leurs querelles. Ils seraient devenus extérieurement et intérieurement des frères."
Le livre est plus succinct sur les différents séjours de l'Émir en Turquie (Brousse) et en Syrie (Damas). Nous nous sommes appuyé sur le livre d'Alexandre Bellemarre qui nous a paru le mieux renseigné au point de pouvoir être considéré comme biographe ami de l'Émir. À défaut d'autres témoignages, le lecteur pourra consulter :
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2030%20ABDELKADER%20%3A%20p%C3%A9riode%20syrienne
Autre chapitre, "Le retour du héros national".
Moins d'un an après l'indépendance, d'incessantes démarches furent faites par les anciens moudjahidine auprès de Ben Bella pour le retour des cendres de "notre Émir". Il y eut refus des deux côtés : famille et ministre. Après diverses tractations, le 5 juillet 1966, 200 000 personnes partirent à pied du centre d'Alger jusqu'au cimetière des martyrs d'El-'Alia. Le président Boumedienne prononça l'éloge funèbre de l'Émir et portera avec ses ministres le cercueil.
Quant à son ami Napoléon III, il n'a pas eu cette chance, puisque'il repose avec sa famille en Grande Bretagne.
Ce livre, aux détails innombrables, passionné à juste titre, illustre bien le commentaire du maréchal Soult, qui disait en 1843 à l'une des personnes de son intimité :
« Il n’y a présentement, dans le monde, que trois hommes auxquels on puisse accorder légitimement la qualification de grands, et tous trois appartiennent à l’islamisme; ce sont : Abd-el-Kader, Méhémet-Ali et Chamyl."