ISMAŸL URBAIN JUSQU'AU SENATUS CONSULTE DE 1863
Création le 1er mai 2015
Modification 1 le 22 mai 2015
Deux remarques importantes de Michel Levallois :
- Je ne suis pas le
descendant des ancêtres blancs d’Urbain, mais des mêmes ancêtres blancs
et noirs africains, puisque un de mes arrières grands père Levallois
avait épousé sa sœur, quarteronne comme lui. J’ai donc, bien que plus
lointaine, à quatre générations d’écart, la même ascendance africaine
noire et servile. Je suis fier de cette ascendance.
- L’instruction
publique musulmane a été avec la question foncière, la justice
musulmane et la reconnaissance de l’islam comme religion et comme
culture, une priorité pour Urbain. Voir page 51 du Tome 2. Sa note de 1848 a été à la base de tout ce qui a été fait pour l’enseignement arabe-français pendant vingt ans. De même, voir page 85, du Tome 2 la création en 1851 des trois médersas de Constantine, Médéa et Tlemcen. Très cordialement.
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Deux tomes d'au total 11 cm d'épaisseur sur la vie de quelqu'un dont seul un petit nombre de Français et/ou d’Algériens connaît l'existence : Ismaÿl Urbain ! L'auteur : Michel Levallois, descendant des ancêtres blancs et noirs d'Ismaÿl, ancien officier SAS en Algérie, préfet honoraire, docteur en histoire, diplômé de l’INALCO (Institut national des langues et des civilisations), et aussi membre de l'Académie des Sciences d'Outre-mer.
La question qui s’est posée dès la conquête de l’Algérie, au milieu du XIXème siècle était la suivante : en faire un Royaume arabe ou une « province » franco-musulmane. La réponse a été de ne pas choisir. Les résultats sont tombés.
Le parcours d’ Ismaÿl Urbain a été atypique : blanc et noir, chrétien et musulman, Français et Algérien, travaillant pour le roi puis pour l’empereur … Nous traiterons dans le présent article le tome 2 intitulé « Royaume arabe ou Algérie franco-musulmane ».
Les saint-simoniens voulaient être les propagateurs d’un nouveau christianisme qui aurait été l’expression de la modernité et qui aurait favorisé une union entre l’Occident et l’Orient. Ils seront face aux « colonistes » qui n’hésitent pas à parler de guerre d’extermination en se plaignant des critiques exagérées d’une philanthropie inconsidérée. Mieux : au milieu du XIXème siècle, est en train de triompher un second modèle, celui des Gaulois vaincus qui acceptent d’être civilisés par les Romains, les Arabes jouant le rôle des Gaulois et les Français celui des Romains.
"Le débat s'engage entre les arabophiles, défenseurs de la population indigène, et les colonistes qui veulent accaparer toujours plus de terres. Les arabophiles veulent une évolution progressive vers les formes de la civilisation européenne par une démarche volontaire, alors que les colonistes exigent une destruction rapide de la société musulmane. Napoléon III sera prisonnier de ses alliances : il lui faudra donc composer en permanence, ce qui renforce son côté velléitaire. Pour Ismaÿl Urbain, ce sera une immense déception." (Henry Laurens, professeur au Collège de France).
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D’autre part des relations d’amitié le lient aux Bureaux Arabes, dont il analyse méthodiquement les rapports. Il s’intéresse beaucoup à l’enseignement en arabe des jeunes Algériens, la medersa de Constantine constituant la première pierre d’une réforme ambitieuse et en profondeur de l’instruction publique musulmane.
Pour le Prince Président Bonaparte, il rédige en 1851 un rapport sur le gouvernement et l’administration des tribus de l’Algérie, qu’il commente en ces termes : « pour exprimer ma pensée en un seul mot, ce n’est pas une fusion inintelligente et sommaire poursuivie entre les Arabes et la population européenne, mais l’association des intérêts dans des travaux communs. »
Après quelques déplacements à Amboise auprès de ses « chers Arabes » pour régler quelques problèmes d’intendance, un voyage privé à Constantine auprès de sa femme et de sa fille, c’est le ralliement à l’Empire. Urbain souhaite vivement la libération des « chers prisonniers arabes » en ne sous-estimant pas l’opposition de tous les généraux d’Afrique. D’ailleurs la pacification de l’est de l’Algérie n’est pas un fait accompli : une action contre quelques marabouts menée sans ménagement entrainent une tentative d’insurrection à Guelma (cette affaire retardera d’ailleurs la libération d’Abd el-Kader). Pendant de longues années, l’Algérie vivra sous le régime :
fanatisme/exactions/insurrection/répression/insurrection
Urbain ne ménage pas sa peine, lui qui a la réputation notoire de prendre le parti des indigènes contre les colons et les « conquérants ».
Mais le Président Bonaparte fait une tournée en province pour préparer l’opinion à voter pour l’Empire ; il est accueilli triomphalement à Bordeaux, s’arrête à Amboise et annonce à Abd el-Kader sa mise en liberté. Le projet de transformer l’Algérie en vice-royauté sera abandonné par le Président suite à une démarche hostile du Sénat. Le 2 décembre, jour de la proclamation de l’Empire, Abd el-Kader est aux Tuileries avec les grands dignitaires de l’État, alors que deux jours plus tard, le général Yusuf prend Laghouat dans un bain de sang. Mais les généraux d’Algérie se comportent en « faiseurs de razzias » et Napoléon III songe, non seulement à son mariage, mais à faire une inspection générale et approfondie en Algérie avec deux sujets importants : la Kabyie et le Sahara, sans oublier les confins marocains et tunisiens.
Urbain s’attache à la création des Bureaux Arabes départementaux, prolongements dans les villes et dans les communes relevant de l’autorité civiles. Toutes ces initiatives sont relayées par des articles dans le Moniteur universel ou la Revue de Paris. Urbain rédige un véritable état des lieux de l’action des Bureaux Arabes : irrigation et plantations d’arbres fruitiers, élevage, logements, moulins à blé, à huile, mosquées, caravansérails, écoles …
Mais il est question d’envoyer des troupes en Orient (la fameuse question d’Orient), en prélevant sur celles d’Algérie. Urbain savait bien que « le départ des troupes donne immanquablement aux agitateurs l’occasion d’exciter les mauvaises pensées. » La guerre est déclarée à la Russie le 27 mars 1854, en alliance avec les Turcs. Pendant ce temps, une expédition en Kabylie tourne à la confusion. Les actes de vandalisme couverts par le général Randon sont dénoncés par Urbain à son ministre qui écrit au général une lettre personnelle manuscrite. Cela ne vaudra pas que des amis à Urbain.
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Le général Randon prévoyait de soumettre les tribunaux musulmans aux tribunaux français. Tel n’était pas l’avis d’ Urbain qui réussit à faire soumettre à la signature de l’Empereur un texte reconnaissant l’indépendance absolue de la justice musulmane par rapport à la justice française. Par ailleurs l’activisme répressif du général Randon a été freiné par l’action d’Urbain, même si le comportement guerrier de certaines tribus menaçait la tranquillité générale. Le 29 novembre 1856, Urbain rédige une note sur le projet d’expédition contre la Kabylie du Djurdjura. Cette expédition « doit avoir pour résultat la soumission complète et définitive de toutes les tribus kabyles, leur organisation administrative et l’ouverture du pays au commerce et à l’activité européenne. » Et aussi « il importe de ne pas ruiner entièrement un pays auquel nous devons faire payer aussi largement que possible tous les frais de la guerre … » Faute de crédits, l’opération fait place à une expédition de moindre envergure qui provoque le ralliement de toutes les tribus du Djurdjura.
La « lettre de l’Emir Abd el-Kader aux savants français » fait une vive impression sur Urbain qui y découvre un « philosophe humanitaire et déiste ». Petit aparté familial : la fille d’Urbain, Beïa, a maintenant 13 ans, il rêve pour sa fille qu’elle restât dans la religion musulmane, alors que Beïa et sa mère désiraient très ardemment qu’elle se fit chrétienne. Toute cette histoire d’appartenance religieuse divise les popotins des communautés européenne et indigène.
Il faut ensuite parler du casse-tête que constitue l’administration de l’Algérie qui doit faire face aux colonistes, qui veulent toujours plus de terres et de main d’œuvre, et aux utopiste qui veulent une fusion entre les deux races … L’anarchie devient « complète », la situation « désespérante », le chaos « monstrueux » ! Napoléon III, profitant de son voyage en Savoie et à Nice, vient quelques jours en Algérie pour reprendre les choses en main, mais il faut pour cela une réforme - une refonte - de l’administration et une stratégie « arabophile ».
Urbain estime que sa place est en Algérie. Il obtient la situation hiérarchique et le traitement d’un Conseiller d’État. Quelques jours plus tard paraît, sous le pseudonyme de Georges Voisin, un manifeste politique en faveur de la politique indigénophile « L’Algérie pour les Algériens » : c’est l’œuvre d’Urbain. Mais les massacres de Syrie, malgré le comportement héroïque d’Abd el-Kader et de ses Algériens face à la chienlit, ont renforcé la position des colonistes.
Dans cette brochure Urbain explique qu’ « il faut s’occuper des citoyens et non des croyants, que le musulman, comme tout homme, est perfectible, selon des voies qui lui sont propres, dans le respect de son passé … ». Et aussi : « On ne s’aperçoit pas que derrière ce mot de colonisation se cachent les passions les plus égoïstes, les plus avides, les plus contraires au caractère et à la mission de la France ».
Urbain retrouve l’Algérie avec le sentiment de rentrer vraiment dans son pays, où il a fort à faire. Dans sa correspondance avec son ami Lacroix, il parle des frasques du maréchal Pélissier : celui-ci a convoqué l’évêque pour le sommer de déguerpir de son palais épiscopal dans les deux mois, afin de détruire ce bâtiment qui blesse sa vue. Il lui a interdit de télégraphier à Paris pour se plaindre à l’Empereur qui lui avait pourtant promis le maintien dans les lieux, « L’Empereur, c’est moi » ! Comportement singulier avec les femmes que la maréchale le laissait appeler ses « aides de camp femelles ». Dilapidation de l’argent public au profit d’amis …
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Aimable Pélissier |
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Arrivée de Randon à Alger en 1857 |
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Jacques-Louis Randon |
Le débat suivant porte sur sur les inconvénients de transformer la propriété collective ancestrale des indigènes en propriété individuelle, tant que l’intérêt de la productivité n’aura pas été compris par les paysans. Il se doublait du débat sur le cantonnement. L’État français, nouveau souverain, pouvait-il se prévaloir de l’absence de propriété privée en terre d’islam pour disposer des terres à sa convenance ? Urbain est farouchement contre pour de multiples raisons dont celle-ci : « Je suis persuadé que des écoles pour les enfants, du travail sur les chantiers français pour les hommes forts nous donneront plus de progrès que la constitution des petits champs de propriété individuelle. »
Les jours sombres approchent : la maladie de l’épouse d’Urbain est irrémédiable, il a des problèmes financiers et l’avenir des relations entre européens et musulman est de plus en plus aléatoire. Or le colonel Lapasset avait eu une conversation à Vichy avec l’Empereur. Pendant une heure dix, le colonel avait répondu aux questions du souverain. « Rien ne va plus en Algérie » avait commencé l’Empereur, et Lapasset de répondre : dualisme d’autorité, etc … L’Empereur : « C’est le mot colonisation qui a dérouté tous les esprits. On a eu très grand tort de toujours dire notre « colonie » d’Afrique, la « colonie » algérienne. Il fallait dire l’Algérie tout court avant de savoir si on pouvait réellement coloniser. » À en lire le livre de Michel Levallois, la gouvernance de l’Algérie est devenue franchement un panier de crabes !
Or l’Empereur vient d’inviter aux fêtes de Compiègne six chefs arabes, deux par province. Pour que cette invitation soit plus qu’une « parade de burnous blancs dans la forêt », il fallait que les chefs arabes osent dire à l’Empereur ce qui n’allait pas en Algérie. Napoléon III tient un discours extrêmement sensé, et les chefs arabes sont repartis « éblouis, stupéfaits, émerveillés ».
Mais les arabophobes redoublent de malveillance contre la brochure anonyme « L’Algérie française » qui intéresse l’Empereur au plus haut point. Pélissier déclenche une campagne de signatures contre la brochure. Mais l’Empereur le dira publiquement quelques mois plus tard, lors de son arrivée à Alger : « Monsieur Urbain, j’ai pillé votre brochure pour écrire ma lettre du 6 février ». Cela provoque l’ire de Pélissier. Urbain allait être bien seul. À Philippeville même, un club s’est réuni dans une des salles de la mairie et on a dit publiquement : "L’Empereur était ivre lorsqu’il a écrit cette ignoble lettre … ».
Mais l’Empereur écrit à Pélissier : »Si l’agitation se prolonge, je briserai toutes les résistances ». Pourquoi ne réagit-il pas brutalement alors ? Parce qu’il estime que, les choses étant ce qu’elles sont, cela provoquerait un désordre encore pire.