SÉTIF 5 JUILLET 1962 - POURQUOI ?

Création le 26 janvier 2015

Si on se réfère à la réputation des événements de 1945, on aurait pu penser que Sétif aurait, le jour de l’indépendance de 1962, manifesté des sentiments violents, voire hostile aux Français. Or, contrairement à Oran, il n’en a rien été. On peut l’expliquer par plusieurs raisons :

- Il y avait relativement peu d’Européens le jour de l’indépendance. Beaucoup étaient partis ou avaient manifesté l’intention de partir dès 1962, en particulier certains propriétaires terriens de la région de Sétif, qui souhaitaient quitter l’Algérie avant la récolte de 1963.

- Proportionnellement, il y avait peu de membres actifs de l’OAS pour les mêmes raisons.

- L’arrivée de l’ALN de Tunisie ne s’est faite que quelques jours plus tard, avec pour objectif de réduire certains maquis. Il n’y a donc pas eu possibilité aux « marsiens » appelés aussi « CDM » (combattants de la dernière minute) de se manifester en lieu est place de l’ALN.

- Dès le 1er juillet, l’armée française a été consignée dans ses casernes, limitant les risques de provocations, voire d’affrontements éventuels.

- Enfin, dernière raison, mais non la moindre, les excellentes relations qu’avait Jacques Zermati avec les membres influents du FLN sétifien ont pesé très lourd dans la balance.

Qui était Jacques Zermati ? Issu d’une grande famille juive de Sétif, un de ses aieux avait été l’interprète d’Abd el-Kader auprès de Louis-Philippe, une de ses grand tantes avait été sélectionnée dans sa jeunesse pour saluer le passage de Napoléon III en Algérie, avec deux jeunes chrétienne et musulmane. Son grand père avait été un des rares à choisir la nationalité française grâce au Senatus Consulte de 1865.

Lui-même avait été mobilisé en tant qu’aspirant en 1940. Blessé, fait prisonnier dans un camp pour officiers (offlag), il s’était évadé et avait rejoint Sétif. Etant donné les difficultés pour rejoindre la France Libre en Angleterre, il s’était rendu à Alger pour faire partie du réseau dirigé par José Aboulker et avait très efficacement participé au succès de l’opération « Torch » en faisant prisonnier de manière rocambolesque le Préfet d’Alger, la nuit dans son lit. 


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Il faut dire aussi que de passage à Sétif, il avait été emprisonné par la police vichyssoise, torturé à la « gégène », et libéré grâce à l’intervention du commissaire de police André Achiary qui faisait partie du réseau gaulliste et qui s’est illustré ensuite à Guelma.

La guerre n’étant pas terminée, il s’est engagé dans les SAS (Spécial Air Service), et a participé à des opérations commando à très haut risque à l’arrière des lignes allemandes. À titre anecdotique, au moment où son « stick »montait dans l’avion pour faire des destructions sur la ligne de chemin de fer Paris-Brest, la Royal Air Force a décommandé l’opération et a bombardé sans succès le viaduc de Morlaix, mais en faisant des dizaines de victimes parmi la population.

8 mai 1945 - Son oncle se trouve au « marché aux bestiaux » de Sétif. Aux premiers coups de feu, ses amis musulmans lui font revêtir des habits « indigènes » et l’escortent à 5 ou 6, serrés contre lui, jusqu’à son domicile.

Jacques Zermati monte à Sétif un cabinet juridique dans l’immeuble de la pharmacie de Ferhat Abbas. A l’école, il a fréquenté nombre de musulmans qui sont devenus des membres influents du FLN. Pendant la guerre d’Algérie, il est élu vice-président de l’Association des anciens combattants. Grâce à son passé militaire prestigieux, il intervient souvent auprès du commandement pour adoucir les épreuves de la population musulmane. Le Président de la Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics d’Algérie, fait appel à lui pour faire connaissance de la bourgeoisie d’affaire sétifienne. 


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Lorsque le Général de Gaulle passera à Sétif, il sera sélectionné pour être un de ses interlocuteurs. Il est même question de l’envoyer à Tunis faire les bons offices auprès du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). Refus de l’Élysée. 

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Pour éviter qu’il ne subisse un attentat de l’OAS, il sera prévu être kidnappé par le FLN, avec à sa disposition quelques jeux de société pour patienter en attendant la fin du danger. 

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Son cousin sera assassiné. Le FLN fera une sérieuse enquête pour vérifier que l’auteur de l’attentat ne lui était pas connu. Enfin Ferhat Abbas, quelques jours après l’indépendance, le proposera de rester en Algérie, en tant que préfet, ambassadeur ou autre  …

Et nous nous retrouverons, sans le savoir, à quelques mètres de lui le 5 juillet 1962. Et nous ne l’apprendrons que 45 ans plus tard !

À la dissolution des SAS, nous avions une caméra 8 mm perfectionnée, et un stock de films vierges. En vue de tenter notre chance, nous avions rencontré notre dernier sous-préfet, un neveu de Mohamed Boudiaf, puis l’organisateur de la journée du 5 juillet. Au vu de l’accueil de qualité que nous avions reçu, nous nous étions promis d’assister au déroulement des manifestations, mais non sans prudence. Pour cela, nous avions multiplié les promenades dans les quartiers de Sétif, avec toujours un accueil sympathique, et surtout par les jeunes. Restaient les rapports avec les autorités militaires françaises. N’ayant reçu aucune affectation nouvelle, nous étions un « électron libre » dans la caserne de Sétif, où nous étions hébergé. Ce fut un jeu d’enfant que de « faire le mur » par le portail d’entrée de la caserne, au vu de la sentinelle, d’abord en tenue militaire, puis civile.

Le 4 juillet, en suivant une foule nombreuse qui nous conduisait on ne sait où, nous sommes arrivé à un stade bondé de monde. Pour mieux filmer, nous étions perché sur un grillage, soutenu bénévolement par trois ou quatre personnes. Impossible de passer inaperçu, surtout en uniforme. Autant dire que nous étions alors adopté par la foule. Ceci nous a rassuré sur ce qui se passerait le lendemain. C’est pourquoi il y a eu un film (et un seul) qui a témoigné du caractère bon enfant de la population de Sétif et des environs .


Mais voilà : la politique politicienne l'a emporté. Ferhat Abbas a été mis en résidence surveillée par le gouvernement de Ahmed Ben Bella, les "pieds-rouges" ont remplacé les "pieds-noirs", l'islamisation et l'arabisation ont remplacé la "colonisation", etc...