CENT MILLE
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Modification 3 - 16 mai 2016
Pour fêter les cent mille "pages vues" du site DAKERSCOCODE, nous dressons un premier palmarès des "pages vues" :
1 - Evian : les délégations - 2351
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2040%20-%20EVIAN%203%20-%20LES%20D%C3%89L%C3%89GATIONS
2 - Le 11ème Choc -2107
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2056%20-%20LE%20ONZI%C3%88ME%20CHOC
3 - Les Barrages électrifiés - 1592
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2050%20-%20BARRAGES%20%C3%89LECTRIFI%C3%89S
4 - Comprendre le Japon - 1470
http://empirkersco.blogspot.fr/search/label/a%2015%20-%20COMPRENDRE%20LE%20JAPON
5 - La Consulaire - 1221
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2039%20-%20LA%20CONSULAIRE
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Pour fêter les cent mille "pages vues" du site DAKERCOCODE, nous vous proposons de lire en toute simplicité la manière dont nous avons terminé cette fameuse "guerre d'Algérie" le 14 juin 1961.
Ce chapitre fait partie du livre "Quand le merle sifflera", dont l'édition est épuisée. Le seul media à avoir fait état de cet épisode est le quotidien algérien de langue française El Watan dans son numéro spécial sur le cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie.
Extrait de l'interview d'El Watan
Le livre est consultable aux bibliothèques du Trocadéro et de Beaugrenelle à Paris, à celle de l'Académie des Sciences d'Outre-mer à Paris, ainsi qu'à celle du CDHA à Aix en Provence. El Watan en a un exemplaire, ainsi que le Wali de Sétif, et la Maison de la Culture de Sétif ...
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C’est l’approche de juillet 1961, 14 juin : date anniversaire du débarquement des Français à Sidi Ferruch. Le FLN organise une grève générale dans toute l’Algérie. Prudente, l’administration avait envoyé une circulaire aux chefs de SAS et aux commandants de quartier leur demandant formellement d’éviter de donner du travail à la population ce jour-là pour ne pas souligner l’importance de l’emprise du FLN.
Inacceptable pour François.
Il vient justement d’ouvrir son premier chantier. Il s’agit d’une piste allant à la mechta el Kebir, ouvrage d’intérêt militaire certes, mais aussi moyen fort utile de communication d’une mechta dont, par ailleurs, un grand nombre d’hommes va travailler dans la sidérurgie à Uckange en Moselle.
Il commence par demander carte blanche à sa hiérarchie, qui le fait sans rechigner. Si affrontement il y a, annonce-t-il, il faudra prévoir une sanction sévère sans faiblir.
Donc, la veille du jour de la grève annoncée, au petit matin, avec le groupe de protection du Maghzen et le camion chargé de pelles, de pioches, de brouettes et de dames (celles pour damer la terre), François se dirige vers le lieu de rassemblement du chantier assister à l’appel des ouvriers et à la distribution des outils.
L’atmosphère est tendue de part et d‘autre. Le Maghzen est nerveux et cherche à savoir comment François va se débrouiller et comment les choses vont tourner. Les travailleurs sont plutôt sombres, car ce genre d’affaire se termine le plus souvent par des vexations. Partout les téléphones arabes prévoient le pire. En effet le FLN, engagé dans ses négociations avec le gouvernement français a tout intérêt que la grève soit la plus générale possible pour impressionner au niveau national, et que la répression soit la plus sanglante possible pour impressionner au niveau international. Pour lui, les souffrances endurées seront dérisoires au regard de l’enjeu.
François dit à Saïd, qui vient de poster les sentinelles :
– Rassemble tout le monde et répète-leur en arabe.
Said fait disposer la trentaine d’hommes en demi-cercle.
– Le FLN a décidé une grève générale. Il ne m’a pas demandé mon avis. Moi, je travaille demain, et mes chantiers aussi. Ceux qui veulent aller manifester à Setna ( Sétif ) le pourront, mais ils devront se faire remplacer sur le chantier. Même par des enfants ! Même par des femmes ! Si par malheur il manque un seul, je dis bien un seul, toutes les maisons de la mechta seront murées pendant 3 mois. A vous de vous débrouiller pour aller vous loger ailleurs. Bien entendu vous serez payés pour murer les portes et les fenêtres. Saïd, répète-leur.
Said commence à parler en arabe. Au fur et à mesure, on sent une lueur d’amusement danser dans les yeux des moghaznis, et une certaine surprise se manifester chez les hommes de la mechta.
Saïd a fini. Un long silence appuyé suit, que personne n’ose rompre. François demande enfin :
– Est-ce qu’ils ont bien compris ?
Bien sûr qu’ils ont compris, et dès le premier coup. Ils parlent tous parfaitement le français, et la traduction en arabe, tout le monde l’a compris, n’est rien d’autre qu’une mise en scène.
– Alors, répète-leur une deuxième fois !
Et vlan dans les contrevents ! Maintenant les moghaznis commencent à rigoler franchement et quelques sourires apparaissent en face. Tout le monde a fait ses calculs et a reçu la manœuvre cinq sur cinq. On va en parler ce soir à la veillée. Cela devient maintenant du théâtre, du vrai théâtre arabe.
Comédie ou tragédie ?
La journée se termine dans le calme. Il va falloir bien dormir pour accueillir demain, dans les meilleurs conditions, le bras de fer qui se rapproche inexorablement.
Réveil à l’aube. Belle et chaude journée. Pas un bruit du côté des militaires, et pour cause, ils sont en opération, en renfort à Setna. Tout le monde dans le camion et dans la jeep, et puis en route.
Le trajet est grave. C’est gagné ou c’est perdu. Car la barre n’est pas une présence à 90%, ni même à 99 % , mais bien à 100 %. Encore quelques virages, et nous le saurons bien.
Les deux véhicules grimpent maintenant la dernière côte qui les sépare du lieu de rassemblement ...
O miracle! Un fort groupe attend. Saïd fait l’appel pour le «dépouillement des votes». L’inquiétude de François est qu’il puisse en manquer un, car il se verrait dans l’obligation d’appliquer à fond la sanction injuste mais promise.
Deuxième miracle, il y a deux ouvriers en plus. Ils s’étaient méfiés les uns des autres et avaient fait bonne mesure au cas où ... Un caporal s’approche de François :
– Mon lieutenant, il faut noter ceux qui se sont fait remplacer. Ce sont des fells.
– Pas du tout ! S’ils sont allés faire leurs courses à Setna, c’est tout à fait leur droit. Ce qui est dit est dit.
L’atmosphère est maintenant franchement au soulagement et à la détente. L’espoir change de camp, le combat change d’âme.
Le lendemain le bilan tombe : la grève générale a été largement suivie dans toute l’Algérie. A Setna, des affrontements ont opposé les manifestants aux forces de l’ordre. Plusieurs dizaines de morts (officiellement) y sont à déplorer.
Le chantier continue. François sent des regards de gratitude le remercier de les avoir sortis de ce merdier. Sans cris, sans coups, sans sévices, sans perdre la face. Il est tout à fait vraisemblable que le FLN a dû prélever une taxe spéciale, mais peu importe puisque la possibilité en était ouverte.
François a quand même des sueurs froides rétrospectives : et si il y avait eu un absent ? Ou pire si personne n’était venu ? Outre la perte de face, il aurait fallu songer aux sanctions. Murer les portes des maisons aurait été une action disproportionnée, et génératrice d’une inimitié tenace et justifiée, sans compter les plaintes à la sous-préfecture et la hiérarchie qui n’aurait pas manqué de réagir («on vous avait pourtant prévenu») – ah ! ces jeunes cons du contingent – et de désavouer François. Un vrai désastre !
Mais François avait prévu une solution intermédiaire, un plan "B" : une seule rangée de parpaings au pied de chaque porte concernée pendant une semaine, le tout aux frais de la SAS. Cette discrète punition symbolique n’aurait pas prêté à conséquence mais aurait sérieusement mis à mal la politique de François pour la suite des événements. Sauf un plan "C" : enlever les parpaings - toujours aux frais de la SAS - et faire une grande fête de réconciliation, avec invitation du responsable FLN, s'il le souhaitait ... et s'il osait venir !
Eh bien non, rien de tout cela ne s’est passé, voilà qui laissait bien présager de l’avenir.