Raïs HAMIDOU
Statue de Raïs Hamidou au musée militaire d'Alger
Modification 1 le 27 septembre 2013
On peut considérer Raïs Hamidou comme le "Surcouf algérien", interprétation telle que l'entend le musée militaire d'Alger. Certes, mais corsaire ou pirate ? C'est une bonne question, et nous nous remercions de vous l'avoir posée.
Il convient d'abord de faire une digression sur la politique étrangère du deylicat d'Alger, selon les sources de Wikipedia.
La principale est le livre d'Albert Devoulx, Le raïs Hamidou: notice biographique sur le plus célèbre corsaire algérien du XIIIe siècle de l'hégire, Dubos Frères, 1859 .
Albert Devoulx a été Conservateur des Archives arabes du Service de l’Enregistrement et des Domaines, à Alger, Membre de la Société historique Algérienne, et Correspondant de la Société Académique du Var :
• Tout d'abord, la réduction en esclavage des prisonniers crée un fossé infranchissable entre le corso des raïs et la course classique des Jean Bart et des Surcouf. De plus :
• Les écumeurs d'Alger n'ont pas de lettres de marque, leurs prises sont seulement enregistrées en vue du partage entre le raïs concerné et la Régence. L'autorité politique, au niveau local, a connaissance de l'activité "corsaire", mais la reddition de compte se borne exclusivement à apporter les preuves que le raïs partage le butin avec cette autorité ;
• Il n'existe à Alger aucun tribunal des prises ni aucune autorité susceptible d'examiner les prises sans être elle-même partie prenante au partage du butin.
• Les navires attaqués peuvent être neutres, sujets de l'Empire ottoman (bateaux grecs ou tunisiens), voire être musulmans. D’après le registre des prises, le 12 décembre 1768, Hamidou et d’autres capturent un navire grec (la Grèce étant alors partie intégrante de l'Empire Ottoman) ; le 10 octobre 1810, Hamidou capture des marchandises tunisiennes (les Tunisiens étant à la fois de coréligionnaires et des compatriotes, vassaux de la Turquie eux-aussi) ; de même le 22 mai 1811.
Les cibles sont choisies par les raïs algérois eux-mêmes, en fonction de l'occasion et du rapport de forces. La Sublime Porte, dont Alger est censée être vassale, s'en plaint en permanence, dans des lettres que Devoulx a retrouvées et cite parfois in-extenso.
À l’époque de Napoléon, la France est jugée trop forte pour être ciblée par les écumeurs d’Alger, bien que la Sublime Porte soit particulièrement irritée par l’expédition d’Égypte ; Devoulx cite une lettre du 24 février 1801 écrite au nom du souverain turc :
« Il a appris cependant qu’après avoir incarcéré le consul français pendant un mois, vous l’aviez relaxé ; et que, lorsque vos corsaires rencontrent des navires français, ils ne les traitent pas comme les traiteraient des navires de la Sublime-Porte. Vous les épargnez et ils sont à l’abri de vos attaques. Il y a plus, vous réservez vos sévices et vos agressions pour les sujets de la Sublime-Porte, bien que vous soyez vous-mêmes ses vassaux ! »
Aux « premiers jours de ramdan de l’année 1230 » (du 7 au 16 août 1815), le souverain turc adresse un « firman » (décret) au Régent d’Alger pour exiger encore une fois que cessent les attaques contre les navires turcs ou amis de la Turquie :
« Les corsaires de la Régence d’Alger capturent les navires de commerce appartenant soit aux sujets de la Sublime-Porte, soit à des nations qui sont en paix avec elle ; ils réduisent en captivité leurs capitaines et leurs marins et s’emparent de leurs cargaisons. Cependant la Sublime-Porte est responsable de ces navires ; ils sont munis de sauf-conduits et elle est en paix avec eux. »
Faisons une digression encore plus lointaine sur la politique extérieure de la région Ifriqiya (arabe : افريقية) dès la tutelle arabe, puis turque :
A partir du moment où Tarik a débarqué en Espagne, les Sud Méditerranéens ont déclenché une guerre politico-religieuse de mille ans contre l'Europe, avec une première phase, terrestre et impétueuse, jusqu'aux portes de Vienne à l'est et au-delà de Poitiers à l'ouest. Un lent reflux s'est produit avec la Reconquista espagnole et les Croisades. Un état de ni guerre ni paix s'est instauré en Méditerranée, tandis que Alger, Bougie, Tunis et Tripoli se lançaient dans une guerre maritime de course, avec prises de cargaisons et prises d'esclaves, qui pouvaient d'ailleurs être rachetés. Les plus célèbres rachetés : Cervantès et Saint Vincent de Paul. D'autres n'étaient pas rachetables : les janissaires originaires des Balkans. Une liste de souscription pour le rachat, liste dans laquelle figure François-René de Chateaubriant, se trouve d'ailleurs dans le fonds documentaire Zoummeroff à Aix en Provence.
Corsaires pour les uns, pirates barbaresques pour les autres, ils n'ont pas laissé que des bons souvenirs. Témoins les tours de guet qui forment toujours un précieux collier autour de la Corse génoise.
http://www.lacorse.info/la-corse/patrimoine-culturel-de-corse/tours-genoises/
Parmi les nations européennes, la France était certainement la mieux traitée. La politique de François 1er de s'allier à la Sublime Porte pour contrer l'hégémonie de l'empire austro-hongrois n'y était pas pour rien. Mais c'est dès 1450, qu'une société marseillaise de recherche de corail avait fondé une petite colonie à La Calle, et les Français résidant à Alger ne souffraient pas trop des errements politiques internationaux, sauf, dès lors qu'une flotte française bombardait Alger en mesure de représailles, le Consul de France ( car il n'y avait pas d'ambassade … ) et quelques autres étaient placés à la bouche du canon "Baba marzoug" surnommé "La Consulaire"…
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2039%20-%20LA%20CONSULAIRE
Il y avait eu aussi une dizaine de traités de paix entre la Régence d'Alger et le Royaume de France - dont l'un pour "cent ans" mais dénoncé par la partie algérienne au bout de cent jours.
Un premier avertissement avait eu lieu en 1802 quand Napoléon Bonaparte, Premier Consul de la République française et Président de la République italienne, avait menacé la Régence d'Alger d'intervenir en personne si Mustapha Pacha, Dey d'Alger, ne restituait pas l'équipage d'un navire italien pris par ses "raïs". L'affaire s'était réglé au mieux, par un nouveau traité de paix.
Mais le fonds de commerce lucratif que constituait la guerre de course s'épuisait à mesure que les nations européenne et les Etats Unis d'Amérique se fatiguaient de payer une rançon annuelle pour ne pas se faire attaquer. Restait un "corsaire", le plus célèbre : Raïs Hamidou, d'une grande intrépidité, mais qui eut la témérité finale d'affronter une flotte américaine. Voici son histoire :
Nous avons pris le "parti littéraire" de puiser de très larges extraits de cet ouvrage pour garder tout le sel du style atypique d'Albert Devoulx. Il ne s'agit pas seulement de la notice biographique, mais d'un pan de l'histoire de la Régence d'Alger, qui éclaire la suite des événements.
Nous nous bornerons qu'à intervenir à l'intérieur des parenthèses.
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CHANT SUR LE RAÏS HAMIDOU
L’éclair brille, la foudre gronde ;
Pourtant l’azur des cieux n’est terni d’aucun nuage ;
L’air est transparent, l’horizon limpide ;
La brise légère caresse la mer bleue, dont les molles ondulations miroitent au soleil en paillettes étincelantes.
Que tes yeux étonnés, voyageur, cessent de chercher le sombre nuage qui laisse échapper le tonnerre.
Ce n’est pas au firmament que tu trouveras ce formidable orage, c’est sur la mer.
Vois-tu là-bas ? C’est la frégate du raïs Hamidou ?
Sa majestueuse voilure, qui se gonfle légèrement sous l’effort de la brise, est dorée par le soleil.
Son pavillon et sa flamme flottent noblement dans les airs. Elle fend les flots avec grâce.
De ses flancs redoutables jaillissent les boulets dévastateurs, les obus terribles, la mitraille meurtrière.
La mousqueterie pétille sur ses bastingages et dans sa mâture, et une épaisse fumée lui forme une auréole de gloire !
Hamidou resplendit d’orgueil, son cœur est plein d’allégresse ! Il ramène une frégate portugaise et son triomphe est éclatant ! Les mécréants sont vaincus et asservis. Il se rend au palais du Sultan, traînant après lui les esclaves chrétiens et nègres.
Hamidou s’avance vers Tunis : il est le chef de la flotte, et ses canons tonnent.
Le ministre du Bey observe avec sa longue-vue. Il leur dit : Voici les Algériens ! Mais bientôt Hamidou a enlevé la frégate tunisienne et il rentre triomphant, tandis que l’ennemi s’empresse d’aller cacher sa honte !
Fuyez, mécréants, fuyez ! Hamidou parcourt les mers en maître.
Les parages qu’il a sillonnés restent vides d’ennemis.
Fuyez, infidèles ! Que vos navires de guerre se réfugient à la hâte dans leurs ports ils deviendraient la proie du champion de la guerre sainte !
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Que de larmes répandues, que de désespoirs dont il ne reste d’autre trace que la mention incomplète dont un secrétaire ignorant a émaillé son registre informe ! Qui donc pourrait reconstruire ces drames lugubres dont, après des siècles, il m’est donné de retrouver de vagues indices !
Ce registre était confié à un agent du gouvernement, ayant le titre de Khodjet el R’enaïm, c’est-à-dire : secrétaire des prises maritimes.
Mon principal but étant de présenter des faits pris à des sources authentiques et offrant de l’intérêt au point de vue de l’étude de la Marine de l’ancienne Régence d’Alger, je ne puiserai que sobrement dans les détails que la tradition peut avoir transmis relativement aux faits et gestes du plus célèbre capitaine de la flotte algérienne.
Hamidou était hardi, courageux, généreux, beau parleur, élégant dans sa mise, et avenant avec tout le monde, les petits comme les grands, ce qui le faisait généralement aimer.
A l’âge de dix ou onze ans, mon héros fut voué à l’état de tailleur par un père tendre et prévoyant.
( Mais Hamidou a d'autres idées en tête et écoute les raïs - capitaines de bateaux )
Bientôt, enivré par ces récits, et brûlant du désir de marcher sur les traces de ceux que sa jeune et déjà vigoureuse imagination lui représentait comme des héros, Hamidou jeta résolument aux orties les patrons du tailleur, et s’embarqua comme mousse à bord de l’un des corsaires de sa guerroyante patrie. Il était réellement brave et hardi et avait de l’intelligence ; aussi fit-il son chemin ; le mousse devint matelot, le matelot officier, l’officier capitaine.
Quelques raïs, et Hamidou fut de ce nombre, ont bien osé, il est vrai, faire une pointe hardie dans l’Océan, mais ils se sont bientôt empressés de regagner le détroit et de rentrer dans des parages plus connus et plus faciles à explorer.
Le bey d’Oran eut l’honneur et la gloire d’apprécier le premier son mérite, de pressentir l’avenir glorieux qui lui était réservé. Il lui confia d’abord un de ses chebecs, et, pour le récompenser de ses succès, il lui conféra ensuite le commandement en chef de ses forces navales, lesquelles se composaient de deux ou trois chebecs et d’autant de balancelles.
( Et c'est bientôt son premier engagement )
La partie était inégale ; mais loin de chercher un salut incertain dans la fuite, Hamidou, par des manœuvres habiles et hardies, sut forcer les navires ennemis à s’éloigner sans remporter une victoire que la disproportion des forces aurait dû rendre facile.
Cette affaire fit grand bruit dans l’Ouest, et l’on en parla même à Alger, où abondaient cependant des raïs hardis et entreprenant.
C’était donc de 1790 à 1797 que le jeune Hamidou fut, sur le bruit de son habileté, mandé à Alger par le Dey.
Après de publiques et flatteuses félicitations, le pacha lui confia le commandement d’un beau chebec armé de douze canons et monté par une soixantaine de gredins ne craignant ni Dieu ni diable, et tout disposés à prendre leur bien là où ils le rencontreraient, c’est- à-dire partout.
( Mais une formidable tempête oblige Hamidou de se mettre à l'abri, très relatif, de l'anse de La Calle )
… Lorsque le dernier des câbles eut cassé, le malheureux chebec, emporté par l’ouragan, alla se briser sur les rochers du rivage.
Hamidou avait fait ce qu’il était humainement possible de faire pour sauver le navire qui lui avait été confié. Faute de mieux, il avait réussit à conserver au pacha le vaillant équipage dont il lui avait donné le commandement.
Néanmoins, le raïs n’était pas trop rassuré sur les suites de cette catastrophe, et le tableau qu’il se traçait de la colère probable du pacha, lui inspirait de très noires réflexions.
Préalablement, il prit donc le chemin des écoliers pour retourner à Alger, et alla faire un tour à Tunis d’abord, puis à Constantine.
( Mais le dey d'Alger le fait mander )
… Hamidou comprit qu’il était prisonnier, et les précautions prises à son endroit redoublèrent justement ses terreurs.
Suivant les règles du cérémonial, le délégué du bey passa le premier, baisa la main du pacha et lui offrit ses hommages et ceux de son maître ; le Bach siar remplit ensuite les mêmes devoirs.
Quand son tour fut arrivé, Hamidou s’avança avec aplomb et se baissa pour embrasser la main du pacha.
Mais, le repoussant brusquement, celui-ci lui dit :
— Arrière ! gredin ! Qu’as-tu fait de mon chebec, fils de chien ?
Le courroux royal fit frémir l’assemblée. Hamidou sentait sa tête vaciller sur ses épaules. Pourtant il répondit avec sang-froid :
— Mon Seigneur, c’était le décret de Dieu qu’il pérît, je n’y pouvais rien.
— Mais, misérable, reprit le pacha, qu’allais-tu faire à La Calle ? Ce n’est pas un mouillage. Tu as donc commis une faute, scélérat !
— Mon Seigneur, dit Hamidou, enchanté de faire une diversion à la colère du pacha, en soulevant une discussion maritime, Dieu est le plus savant ! Votre Altesse est dans l’erreur, La Calle est marquée comme mouillage sur toutes les cartes marines. Mon Seigneur, qui est mon maître en navigation, se rappellera facilement l’ancre qui en est l’indication.
Par ses ordres, une carte marine fut apportée. Après examen, il fallut bien se rendre à l’évidence et reconnaître que, La Calle étant marquée d’une ancre, Hamidou avait été parfaitement fondé à aller y mouiller.
— Mon Seigneur, ne regrettez pas votre chebec, je vous apporterai autant de navires qu’il avait de planches et autant de chrétiens qu’il avait de clous !
Cette gasconnade fut récompensée par une gratification rondelette et par le commandement d’un nouveau chebec.
Le pacha, désirant récompenser le raïs Hamidou de ses succès, le nomma au commandement de ce navire qui était alors le plus gros de la flotte algérienne.
C’est en 1797 et avec ce navire, que le raïs Hamidou paraît pour la première fois sur le Livre des prises, et l’article qui le concerne est ainsi conçu :
« La corvette de Notre Seigneur le pacha, commandée par le raïs Hamidou, a capturé un navire génois, ayant un chargement de potasse. 22 moharrem 1212 (lundi, 17 juillet 1797). »
D’après ce registre, le produit brut de la prise fut de 10.000 francs.
( Puis les prises se succèdent à vive allure )
• un navire vénitien chargé de drap, un navire génois et deux napolitains chargés de blé, deux navires napolitains, chargés de sel et de harengs ;
• deux navires napolitains chargés de blé, de haricots, de tabac, de verreries, de planches et un navire génois, chargé de drap, de calottes, de peaux, de cire et autres objets ;
• un navire grec chargé de papier, de blé et de savon ;
• un chebec napolitain chargé de fèves, et monté par neuf mécréants ;
• trois navires napolitains chargés de sel, et montés par 43 mécréants ;
• deux navires napolitains chargés de sel, et portant cinquante mécréants ;
• un navire napolitain, chargé d’huile.
etc
Enhardi d’ailleurs par le bruit des désordres qui avaient bouleversé la France, Mustapha déclara la guerre à cette nation, le 10 décembre 1798 (1er nivôse an VII), fit faire main basse sur tout ce qui existait dans les comptoirs de la Compagnie d’Afrique, et poussa la hardiesse jusqu’à faire jeter en prison notre consul et nos nationaux.
Notre établissement de La Calle, défendu seulement par une vingtaine de canons et une garnison de deux cents hommes, fut détruit. Quant aux forts du cap Rose, du bastion de France et du cap Roux, nous les avions laissés tomber en ruines pendant les années agitées qui avaient précédé cette rupture.
Nous fûmes, en un mot, traités comme des puissances de second ordre.
Deux bâtiments français furent capturés par les Algériens, un de nos officiers fut molesté dans la rade de Tunis par un officier algérien.
D’ailleurs, en agissant ainsi, Mustapha Pacha ne cédait pas seulement à ses inspirations personnelles, il exécutait des ordres formels et réitérés que lui adressait la Sublime-Porte.
Exaspérée par l’expédition d’Égypte, la Turquie cherchait à nuire aux Français par tous les moyens possibles, et elle comptait particulièrement sur les Régences d’Alger, de Tunis et de Tripoli pour atteindre ce résultat.
« Par suite vos navires sont appelés à combattre les ennemis de la foi, fourbes impies, voués à la destruction. Accourez donc à la guerre sainte pour l’amour de Dieu qui accordera la victoire à votre ardeur"
« Vous êtes renommés par votre zèle, votre ardeur, votre bravoure et votre dévouement : vous vous empresserez donc de prendre part à la guerre sainte et de vous mesurer avec les navires souillés des Français impies. Courez-leur sus, capturez-les, brûlez-les. Que vos bâtiments prennent immédiatement la mer et s’empressent de combattre. Vos ancêtres se sont illustrés par leurs exploits, imitez-les et efforcez-vous de rendre les éclatants services qui sont attendus de vous. Tel est le désir exprès de notre souverain le padicha (grand sultan). »
Mais, après cette satisfaction donnée à la rapacité si naturelle aux Algériens, Mustapha mollit dans l’exécution des ordres frénétiques de la Sublime-Porte.
Sans doute il pensait qu’en définitive son véritable intérêt était de ménager la France, attendu que la Turquie ne viendrait certainement pas le secourir à l’heure des représailles.
Et, avec une nation comme la France, cette heure devait fatalement sonner tôt ou tard.
Donc il fléchit et entra quelque peu en accommodement tacite avec Satan.
On peut apprécier par un seul fait l’étendue de ce relâchement : une partie des approvisionnements de l’expédition d’Égypte fut tirée de la Régence d’Alger. Impénétrabilité du destin ! Cette fourniture fut l’origine partielle de cette créance du commerce algérien sur la France, qui devait jouer un si grand rôle dans les événements ultérieurs, et amener un jour les Français à Alger.
( La Sublime Porte ne décolère pas )
« Il a appris cependant qu’après avoir incarcéré le consul français pendant un mois, vous l’aviez relaxé ; et que, lorsque vos corsaires rencontrent des navires français, ils ne les traitent pas comme les traiteraient des navires de la Sublime-Porte. Vous les épargnez et ils sont à l’abri de vos attaques. Il y a plus, vous réservez vos sévices et vos agressions pour les sujets de la Sublime-Porte, bien que vous soyez vous-mêmes ses vassaux !
« Vous devriez respecter les navires anglais, puisque la Turquie est depuis longtemps en relation d’amitié avec cette nation : bien au contraire vous leur courrez sus et les capturez. D’un autre côté, loin de tourmenter les Français, vous leur laissez le champ libre.
« Quant à votre assertion, que vous avez été contraint de traiter avec les Français, c’est une excuse sans fondements et inadmissible : l’aveu de votre envoyé Mustapha Khodja nous a tout fait connaître.
« Tout l’Islam se prépare à combattre les mécréants et à reconquérir l’Égypte. En outre, le gouvernement anglais forme une flotte portant plus de trente mille soldats pour délivrer l’Égypte et prêter assistance à la Sublime-Porte. Tous se préparent à combattre, vous seuls faites exception ; vous violez les prescriptions divines et encourrez le mécontentement de no- tre souverain. En résumé, vous prêtez assistance aux ennemis et commettez des actes d’hostilité contre la Sublime-Porte et le peuple de Mahomet.
"Vous m’en donnerez avis par une lettre qui m’apportera l’assurance que le traité de paix conclu avec les Français est annulé et que vous avez commencé les hostilités."
( Mais souvent politique varie )
Indigné, le premier consul écrivit au dey une lettre dans laquelle il lui rappelait qu’il avait détruit l’empire des Mameluks, lui annonçait l’envoi d’une escadre et d’une armée, et le menaçait de la conquête de toute la côte d’Afrique, si les Français et les Italiens détenus, si les bâtiments capturés n’étaient rendus sur-le-champ, et si une promesse formelle n’était faite de respecter à l’avenir le pavillon de France et d’Italie.
Mieux informé sur la véritable situation de la France et sur la puissance qu’elle avait conservée, rendu circonspect par les victoires du général Bonaparte, Mustapha revint à de meilleurs sentiments.
A la date du 7 nivôse, an X (17 décembre 1801), il intervint, entre le citoyen Dubois-Thainville, chargé d’affaires et commissaire-général des relations commerciales de la République Française, revêtu des pleins pouvoirs du premier consul, à l’effet de traiter avec la Régence d’Alger, un traité en dix-neuf articles qui rétablissait les relations amicales de ces deux nations, confirmait les anciens traités de navigation et de commerce, et remettait en vigueur les conventions et stipulations relatives aux concessions d’Afrique, avec restitu- tion des objets confisqués, sauf règlement de comptes pour les redevances arriérées.
( La Gazette est créée en 1631 sous Louis XIII, avec lʼappui de Richelieu. Cʼest une publication privée. En 1762, un brevet royal rattache la Gazette de France au Ministère des Affaires Étrangères.
La Gazette nationale de France, sous-titrée «Moniteur Universel», devient le Moniteur Universel en 1811, puis le Journal Officiel de la République française en 1848, puis le Journal Officiel de lʼEmpire français de 1852 à 1870, puis à nouveau le Journal Officiel de la République française, jusquʼà nos jours. )
Hamidou, l’un de ses grands admirateurs, avait coutume de répéter :
« Dieu conserve Bonaparte ! Tant que les nations auront à faire à lui, elles seront battues et ne songeront pas à nous inquiéter ! »
La Porte Ottomane, justement indignée de ces procédés, confisqua un fondouk que la Régence d’Alger avait fait bâtir à Smyrne pour servir de caserne de dépôt à ses recrues, retira toute créance aux agents de cette Régence, donna l’ordre à sa flotte de courir sus aux bâtiments algériens et prépara une expédition contre Alger.
( Entre temps, Mustapha Pacha, jugé trop pro-français, fut assassiné au pied d'une mosquée, dont la porte, dit-on, se referma devant lui )
Mais, avant la complète exécution de ces ordres et le 11 rebi 2e 1230, El Hadj Ali Pacha fut égorgé dans les bains de ses appartements, remplacé par El Hadj Mohammed, trésorier, qui fut lui-même assassiné dix-sept jours après, et eut pour successeur Omar Pacha.
( Hamidou, qui s'était prudemment expatrié, revient à Alger )
On lui destinait une belle frégate qu’un charpentier espagnol, nommé Maestro Antonio, construisait à Alger.
Le raïs en prit le commandement dès qu’elle fut achevée.
Cette frégate, armée de 44 canons, était belle et bonne, fine voilière, excellente à la mer et seulement un peu rouleuse. Ce fut toujours le navire de prédilection du raïs, il ne voulut jamais l’échanger contre aucun autre. C’est aussi avec ce bâtiment qu’il se rendit célèbre par des exploits qui vont bientôt trouver leur place.
« La frégate du raïs Hamidou a capturé une barque napolitaine chargée d’huile, sur laquel- le ont été trouvés mille (écus) vénitiens d’or et 31 Mécréants. 16 ramdan 1216 (mercredi, 20 janvier 1802). »
« La frégate de notre seigneur le raïs Hamidou a pris un navire de guerre portugais, armé de quarante-quatre canons, sur lequel ont été faits prisonniers deux cent quatre-vingt-deux mécréants. Deux de ces infidèles ont été donnés au premier matelot qui était monté à l’abordage et notre seigneur le Pacha a sanctionné ce don."
( Puis Hamidou s'en prend à un navire de guerre portugais )
Pour exécuter son téméraire dessein, il employa la ruse et hissa les couleurs anglaises.
La portugaise accepta sans méfiance cette métamorphose, ce qui, soit dit en passant, dénotait chez elle soit une grande négligence, soit une faible perspicacité, ou faisait le plus grand éloge de la tenue de la frégate algérienne, et laissa tranquillement celle-ci entrer dans ses eaux, croyant sans doute qu’elle avait quelque communication à lui faire.
( Ce qui devait arriver arriva )
La frégate capturée reçut un équipage de croyants et se mit à croiser contre les infidèles; ses anciens maîtres, sous le nom d’El Portekiza, la Portugaise. Elle captura un nombre raisonnable de mécréants et son nom figure avec avantage dans plusieurs documents ; mais l’expédition de lord Exmouth, et les flammes anglaises vengèrent le sang portugais.
« Le 29 de doulkada 1222 (jeudi, 28 janvier 1808), la frégate du raïs Hamidou et le chebec de Hamdan Raïs ont capturé un navire chargé de potasse. Il y a 5 chrétiens. » Le produit est de 28.830 francs.
« En chaban 1223 (octobre 1808) le kop- tan Hamidou a capturé deux navires portugais, chargés de blé et de charbon, sur lesquels se trouvaient 74 mécréants. »
( Mais les désordres assaillent la Régence d'Alger )
Un régime aussi sanguinaire ne pouvait être de longue durée, et la milice, se soulevant contre ce cruel despotisme, assassina Ahmed Pacha et le mit en lambeaux.
Au sujet de cette exécution j’ai recueilli de la bouche d’un honorable indigène de cette ville un récit qui m’a paru renfermer des détails curieux.
« Quoique je fusse bien jeune à cette époque, m’a dit le narrateur, les événements dont j’ai été témoin ont laissé des traces indélébiles dans ma mémoire.
« Je fréquentais alors une école sise vis-à-vis les bains de la Djenina, au quartier de Chemaïn, et dont l’emplacement se trouve aujourd’hui dans la rue Djenina.
« Un jour, nous entendîmes une sourde rumeur, puis de violentes clameurs éclatèrent, et, enfin, de toutes parts, la fusillade retentit.
« Le palais était assiégé, les janissaires l’entouraient, envoyant des balles à toutes les issues. Mais portes et fenêtres étaient barricadées, et la foule, altérée de sang, hurlait de rage de ne pouvoir atteindre sa proie.
« Aux premiers coups de fusil, notre professeur, tremblant d’effroi, nous avait donné « Dès le commencement de l’attaque, j’avais vu ce Turc charger avec soin son fusil sur le seuil de sa porte, puis se mettre en garde comme un homme qui chasse à l’affût. Il avait les yeux braqués sur le mur des dépendances du palais et espérait sans doute que l’une des fenêtres finirait Men par lui donner une belle occasion dé placer son coup de fusil.
« Tout à coup, un homme éperdu et haletant se présente au haut du mur, sur la terrasse, et se ramasse pour prendre son élan et franchir l’étroite ruelle.
« Sans se laisser déconcerter par cette subite apparition, mon Turc ajuste flegmatiquement le promeneur aérien et lâche son coup. « L’homme est atteint, car il dégringole d’abord sur l’un des rondins qui traversaient la ruelle, où il reste un moment plié en deux, puis sur le pavé, où le bruit de sa chute résonne lourdement,
« Le Turc se précipite vers lui et jette un cri de joie. « Le coup de fusil était beau en effet : le pacha gisait dans la ruelle, près de nous qui étions pleins d’épouvante.
« La foule des janissaires accourut bientôt aux cris d’Ahmed Allayali, puis se ruant avec frénésie sur le corps, ils le mirent en pièces et en emportèrent triomphalement les débris."
Hamidou ne tarda pas à rendre de nouveaux services à l’occasion d’une guerre qui éclata entre la Régence d’Alger et celle de Tunis. Voici ce que je trouve à ce sujet dans le Registre des Prises :
« Le 11 ramdan 1225 (10 octobre 1810), le raïs Hamidou a capturé des marchandises tunisiennes, d’une valeur de 91.385 francs 40 centimes. »
Ces prises étaient les dernières que le raïs Hamidou devait ramener à Alger. Bientôt il allait trouver la mort sur cette mer qu’il parcourait depuis si longtemps, mais cette mort fut glorieuse et digne d’un brave ; il expira sur son banc de commandement, calme et intrépide, sous le feu d’une division américaine, qui l’avait surpris et enveloppé, et à laquelle il tenait honorablement tête, malgré une disproportion de forces qui ne laissait aucun espoir de salut.
( Et Albert Devoulx explique l'intervention américaine )
La première fois que les raïs algériens aperçurent au bout de leurs lunettes d’approche un pavillon à bandes rouges et blanches, au coin bleu parsemé d’étoiles, ils furent certainement bien embarrassés de lui assigner une nationalité.
Mais ils n’étaient pas hommes à se préoccuper de si peu : pour eux ce pavillon annonçait la présence de chrétiens, c’est-à-dire d’ennemis, car tout chrétien est l’ennemi des musulmans.
En butte aux agressions des pirates algériens, dès leur apparition dans la Méditerranée, les Américains reconnurent la nécessité de composer, et ils traitèrent avec le sublime chef de cet État d’honnêtes et éclairés croyants.
En 1795, il intervint donc, entre la Régence d’Alger et les États-Unis, un traité par lequel ceux-ci s’engageaient à payer un tribut annuel de douze mille sulianis d’or, soit 64.800 francs.
Ce tribut fut servi sans interruption jusqu’en 1810, et que le paiement en ayant été suspendu en 1811, la guerre devint officielle entre les deux nations en 1812. Cet événement eut lieu sous le règne d’Omar.
Ce pacha fut malheureux ; sous son règne les calamités fondirent sur Alger : le raïs Hamidou fut tué, les Américains dictèrent une paix humiliante, la peste désola la ville, les Anglais bombardèrent Alger et réduisirent en cendres toute la flotte algérienne sans exception.
« Omar était maudit, me disait un jour un vieux raïs, débris de la marine algérienne, en me rappelant ces événements, que Dieu le maudisse ! »
Ce pacha était d’humeur fantasque et exigeante. Un beau jour il fit mander Hamidou.
— Or ça, lui dit-il, tu as amené une frégate portugaise à Mustapha et une frégate tunisienne à El Hadj Ali. Je veux que tu m’amènes une frégate américaine.
— Mais, effendi, répondit le raïs, le pays des Américains est bien loin d’ici. Je ne puis faire un aussi long voyage.
— N’importe, reprit le despote, va toujours.
Après quelques jours de navigation, les vigies signalèrent une escadre dans l’Ouest, venant à contre-bord. Lorsque la distance fut un peu diminuée, Hamidou annonça que la flotte en vue était espagnole et qu’il n’y avait rien à craindre puisqu’on était en paix avec cette nation. Son second, croyant reconnaître des navires américains, le pressait vainement de prendre chasse.
Bientôt, la flotte signalée se trouva dans les eaux de la frégate algérienne, et quand il fut trop tard pour fuir, on reconnut le pavillon des États-Unis.
Et, après avoir ordonné le branle-bas de combat, il dit en particulier à cet officier :
— Quand je serai mort tu me feras jeter à la mer. Je ne veux pas que les mécréants aient mon cadavre.
Lorsque les navires furent à petite portée de canon, une lutte des plus inégales s’engagea ; mais l’heure de Hamidou avait sonné, et la première bordée de l’ennemi le renversa inanimé, à son poste de combat.
Conformément à ses instructions, son corps eut la mer pour tombeau.
Telle fut la fin héroïque de Hamidou.