VICTOIRE DU 8 NOVEMBRE 1942
Création le 2 janvier 2013
Résumé des chapitres précédents :
En 1940, José Aboulker est un jeune homme de vingt ans, étudiant en médecine, Juif algérien, Français par la volonté de son aïeul qui a obtenu la nationalité française via le Senatus Consulte facultatif de 1865 et non par le décret Crémieux aboli par Vichy. Il va être l'organisateur et l'âme d'une action incroyable : paralyser l'armée française à Alger pendant quelques heures, le temps de laisser débarquer les Américains.
Pendant les quinze dernières années de sa vie, il fouillera l'Histoire de France de l'avant-guerre et de la guerre de 1940, à travers les écrits de tous ceux qui ont eu une responsabilité dans la défaite éclair qu'a subie l'armée française. Pourquoi ? Comme on dit à la télévision après un match de foot, "il a refait le match".
Les chefs de l'Armée d'Afrique obéissent aux directives du Maréchal Pétain, ils se sont "pétainisés" selon l'expression d'Aboulker, et dans la même veine, on peut dire que Pétain s'est "hitlérisé", persuadé qu'il est - dur comme fer - que l'Europe de demain se fera sous la férule d'une Allemagne triomphante, et que dans ces conditions, un strapontin est la meilleure politique à prendre, quitte à combattre, de gré ou de force ses "anciens" alliés et entamer une coopération militaire avec le vainqueur ( par exemple, livraison de milliers de camions, de canons de 155, de 20 000 obus et de carburant, etc. à l'Africakorps ).
Cette lecture extrêmement documentée de l'Histoire des années 1939/1942 change de manière certaine la vision que nous pouvons avoir des mémoires de Philippe Pétain, de Maurice Gamelin, de Maxime Weygand, de la fille de Pierre Laval, et renforce ce que nous pouvons apprendre des mémoires de Churchill et de de Gaulle.
Pour en venir à l'Algérie, le premier acte guerrier majeur est l'affaire de Mers el Kebir.
La marine française n'a quasiment pas combattu, et ses meilleurs éléments sont à Toulon et à Mers el Kebir. Devant le retournement des alliances du nouveau gouvernement français, les Britanniques redoutent un 'hold up" de la flotte de Mers el Kebir par les Allemands, et décident de lancer un ultimatum :
- désarmement ;
- regroupement en Martinique ;
- attaque.
Pour la flotte d'Alexandrie, les choses se passent bien : la femme de l'amiral français est anglaise, la femme de l'amiral anglais est française, un règlement amiable de désarmement est conclu.
En ce qui concerne Mers el Kebir, l'amiral Marcel Gensoul rêve de rééditer la "charge de la Brigade légère", et camoufle le deuxième terme de l'ultimatum à Darlan, chef de la flotte ; c'est un vrai drame, qui laissera des traces profondes dans l'esprit des Français, mais réjouira Hitler.
Les chefs en Afrique du nord, et en particulier le général Charles Noguès sont partagés entre envisager un acte de résistance ou rester fidèle au régime de Vichy. "L'obéissance aux chefs immédiats ne doit en aucun cas être contestée ; elle constitue une obligation impérative dont le respect ne peut être considéré ultérieurement comme une faute."
( Maxime Weygand )
Quant à Adolph Hitler, il ne s'intéresse à l' Afrique que pour aider son allié italien Benito Mussolini. Son véritable objectif est d'attaquer la Russie, faute d'avoir débarqué en Angleterre ( même raisonnement que Napoléon 1er ! )
La Résistance est une entreprise solitaire. C'est donc en solitaire que, peu à peu, José Aboulker groupe dans la plus grande discrétion les premiers résistants algériens. Beaucoup de Juifs - la Résistance naissante était riche en frères et en cousins -, peu de "pieds-noirs" - l'adhésion des Européens d'Algérie à Vichy était massive - , et quasiment pas "d'indigènes". Les nationalistes algériens n'ont pas levé le petit doigt pour défendre l'Algérie contre le régime de Vichy. Comme l'a expliqué Mahfoud Sidi Moussa, un membre influent du FLN, à un cousin de José Aboulker "Ce n'était pas leur guerre !". C'est dommage, car les affaires de la région sétifienne et de Guelma auraient peut-être pris un autre développement que celui que l'on connaît.
La lucidité de José Aboulker était sans faille : "Weygand transformait l'armée de la France en armée de Vichy. Elle obéirait à Pétain, elle tirerait sur les Anglais… Les Américains viendront un jour à Alger. L'armée de Vichy les combattra. Nous les aiderons… C'était une réponse déraisonnable. Les Américains n'étaient pas en guerre … Roosevelt n'enverrait pas les boys en Europe."
Ce fut une règle : l'organisation en groupes de cinq, pas plus, absolument cloisonnés. "Il faudra donc occuper les États-majors, les centraux téléphoniques militaires et civils, le commissariat central de police, et arrêter les principaux officiers généraux, le Gouverneur général de l'Algérie, le Préfet et la douzaine de chefs vichystes susceptibles de mobiliser leurs partisans."
Il y eut en fait deux sortes de Résistance. L'une amassée patiemment, à la petite semaine, auprès de patriotes sûrs et apolitiques, les "Quatre Cents", l'autre conduite par l'industriel Jacques Lemaigre-Dubreuil ( Huiles Lesieur ), peu nombreuse ( le groupe des Cinq ) et persuadée pouvoir influencer favorablement les chefs de l'Armée d'Afrique. Il faut y ajouter le commissaire de police André Achiary dont le rôle dans la libération d'Alger fut important - Rappelons qu'Achiary sera nommé Sous-préfet de Guelma le 22 mars 1945 - , il sauva nombre de résistants de la gégène de la police ( déjà ! ) et devait intervenir dans l'évasion de Fernand Bonnier de la Chapelle, chargé d'exécuter l'amiral François Darlan le 24 décembre 1942 ( pour plus ample information, on peut consulter le site : http://geoffroy.dastier.free.fr/index.htm ).
Les Américains entrent enfin en guerre. Winston Churchill décide le Président américain Franklin Delano Roosevelt de lancer une opération amphibie commune en Afrique du Nord ( Maroc et Algérie ) à la fois pour soulager l'armée d'Egypte et pour servir de test en vue des opérations futures. Bien leur en prend, car les méthodes de débarquement américaines ne sont pas au point, et le risque d'échec est énorme.
Ce dessin des points à contrôler a été dessiné par José Aboulker, qui en a donné une copie à un de ses cousins, avant d'en faire don au Musée du Général Leclerc.
Pour coordonner les actions, le général Mark Wayne Clark décide de se rendre en Algérie, en sous-marin puis kayak ; il rencontre le consul des États Unis Robert Murphy et les Résistants dans une villa isolée de la côte à Cherchell. On dissuade José Aboulker de faire partie du groupe, en cas de capture possible mais aussi peut-être parce qu'un jeune chef de vingt deux ans ne ferait pas "sérieux".
Les Américains comprennent la situation, promettent des armes, qui n'arriveront pas, ce sont les contre-temps de la guerre. Murphy refile même sa voiture et de l'essence à Aboulker, qui en aura certainement besoin.
Mais cet entretien traite aussi du rôle du général Henri Giraud, qu'Abouler apprécie comme suit : " son niveau d'intelligence était très bas. Je n'ai pas été le seul qui s'en soit rendu compte …" Il faut dire que Giraud poussera même la plaisanterie, après son entrée en fonction à Alger, jusqu'à faire emprisonner au Sahara un certain nombre de Résistants, dont Aboulker. Henri Giraud, si tu nous lis !
Giraud ne sera pas capable de "retourner" l'Armée d'Afrique, et d'ailleurs poursuivra la politique anti-juive de Darlan. Mais Roosevelt préférait mettre en place n'importe qui, plutôt que de Gaulle.
Murphy préviendra en son temps Aboulker de l'arrivée de la force naval pour le 7 ou le 8 novembre 1942, puis plus précisément dans la nuit du 7 au 8, exactement comme par hasard le jour des élections aux States. 300 navires partent d'Angleterre et des Etats-Unis et arrivent sans encombres, c'est une grande première grâce au savoir-faire du général Dwight David Eisenhower.
Après le coup d'arrêt de Bir Hakeim fin mai 1942 par les Français Libres, le général anglais Bernard Law Montgomery déclenche une préparation d'artillerie sans précédent à El Alamein le 23 octobre 1942. Dans le même temps, Hitler use ses forces à Stalingrad et les Américains déclenchent la revanche sur les Japonais à Guadalcanal.
Pour éviter les fuites, l'annonce de l'opération "Torch" n'est faite que deux jours à l'avance, et le fil téléphonique "Police" sera utilisé comme moyen de liaison par les Résistants la nuit "N".
Le 6 novembre, les Allemands savent qu'un convoi allié prévoit un débarquement en Méditerranée. Ce pourrait être Malte ou la Tripolitaine. Les Etats majors français ne se doutent de rien.
7 novembre - 21h - Tous les chefs de groupe, en uniforme, sont chez le père de José Aboulker, 26 rue Michelet. alors qu'ils ne se connaissaient pas deux jours plus tôt. Murphy et ses vice-consuls leur souhaitent bonne chance. Jean Daniel est parti accueillir les Américains sur la plage.
22h 45 : Achiary arrête à la porte des Aboulker le chef de la police politique qui était venu voir, intrigué par le remue ménage.
8 novembre 2h 30 : Début de l'attaque - 13h Demande de cessez le feu par le général Juin. Le départ du garage Lavaysse des 27 voitures et des 6 cars se fait la veille de 22h 30 à minuit selon les arrivées. Le général Juin et l'amiral Darlan sont empêchés de quitter leur résidence, mais ne sont pas fait prisonniers, comme prévu en dehors d'Alger. Le nouveau commissaire de police centrale qui fait partie des insurgés livre les locaux du commissariat. A l'annonce du débarquement les policiers du Commissariat Central applaudiront et chanteront la Marseillaise. Les personnalités officielles, alertés par la canonnade, qui vont se renseigner aux commissariats de quartier sont invitées à se renseigner au Commissariat Central, où ils sont "cueillis" !
Le colonel Tubert vient prêter main forte. Les trois centraux téléphoniques sont neutralisés. L'Etat major de Juin est "encerclé" . Juin prévient Darlan, qui veut envoyer un message à Pétain en lui demandant des instructions. Bien entendu, ce message ne partira pas et aboutira … au 26 rue Michelet.
Le Secrétaire général du gouvernement général de l'Algérie, vichyste féroce, veut se renseigner au Commissariat central. Il est fait prisonnier. Et Aboulker n'est pas tendre pour la majorité des officiers : les officiers supérieurs ont pactisé avec Vichy, les autres leur ont obéi.
L'Amirauté d'Alger est empêchée d'effectuer des destructions du port, ce qui permet aux Anglais de débarquer sans encombres et de foncer vers la Tunisie.
La Préfecture est prise par le groupe de Jacques Zermati alias "B2", qui y pénètre sans encombre avec l'aide de la force publique qui le prend pour un détachement chargé de la défendre contre les gaullistes ! Le Préfet est arrêté dans son lit, suivi de tous les adjoints qui sont consignés dans le salon en attendant. C'est madame la Préfète qui sert le thé à tout le monde. Quand la canonnade retentit, le Préfet est stupéfait. Jacques Zermati le conduit à la fenêtre pour admirer le spectacle.
Palais d'Été. Le gouverneur Yves Chatel, vichyste convaincu, n'y est pas. Il est parti pour Vichy annoncer que tout est calme à Alger. On devine sa fureur en apprenant que le Palais d'Été a été capturé par le lieutenant de réserve Maurice Ayoun. L'opération finie, celui-ci rend ses voitures au garage Lavaysse.
les Anglais débarquent à Sidi Ferruch, quelquefois à 25 kilomètres de leur objectif, … et rembarquent. D'autre arrivent dans la confusion des pilotes de landing crafts qui n'avaient pas appris à piloter … 98 sur les 104 landing crafts seront hors d'usage. Si la plage de Sidi Ferruch avait été défendue, c'eut été la catastrophe.
Résultat : cinq mille soldats sont restés dans leurs casernes. paralysés, mais pour combien d'heures ? Un seul officier réagit, le commandant André Dorange, qui, avec son escorte armée, libère Juin, dont il est le chef de cabinet. et met Murphy aux arrêts. Et se charge de reprendre les centres nerveux occupés, en s'imaginant que les occupants sont des royalistes du "Groupe des Cinq" !!
Alors que les Résistants attendent l'arrivée des Américains ( le premier arrive au 26 rue Michelet ! ) et que l'armée reprend peu à peu le contrôle des édifices publics, la deuxième phase de la bataille du port commence. Vers 11 heures, les batteries du port, désarmées pour cause d'armistice, viennent d'être réarmées pour cause de collaboration, font feu et l'armée contre-attaque avec deux chars légers. Le commando qui vient de débarquer doit se rendre.
Dans la matinée, d'Astier demande à Aboulker "José, arrêtez, arrêtez, je vous en supplie". Il a peur d'accrochages avec l'armée.
Un peu avant 13 heures, les Américains attaquent le fort Duperré où Juin s'est réfugié. Juin charge Dorange de négocier un cessez-le-feu, qui est signé à 17 heures 20, pour Alger, exclusivement.
Jean-Louis Crémieux-Brilhac rédigera le dernier chapitre que José Aboulker n'a pas eu le temps d'écrire, ou n'aurait pas osé écrire. Résumer ce chapitre est simple :
"Ces péripéties font des quatre cents jeunes résistants algérois du 8 novembre les dindons d'une farce dramatique".
ON REFAIT LE MATCH ( en anglais : debriefing)
1 - Jusqu'alors, seule l'Armée de terre française avait perdu la guerre, pas la Marine. Maintenant, c'est fait.
2 - Les finasseries de Darlan, estimant malin d'avoir deux fers au feu, l'ont conduit à sa perte.
3 - Weygand a justifié l'adage suivant lequel, dans l'armée, l'intelligence est proportionnelle au nombre des galons. Giraud a justifié l'adage contraire.
4 - Aboulker a manqué le coche en ne traitant pas Darlan et Juin en otages pour négocier avec les Américains. Mais il aurait fallu pour cela qu'il ait eu le soutien des Européens d'Algérie et des "indigènes". En ne le faisant pas, et en rentrant "dans le rang", il a fait que Giraud a pu poursuivre la politique anti-juive de son prédécesseur ;
CONCLUSION
Il devrait y avoir plusieurs "rue José Aboulker" en France et en Algérie, car si le débarquement des Alliés n'avait pas réussi aussi rapidement à Alger, les Allemands se seraient renforcés via la Tunisie, et il y aurait eu une vraie guerre d'Algérie dont les innocents auraient le plus souffert, comme d'habitude, sans compter les conséquences désastreuses au plan international.
Brouillon de la lettre du père de José Aboulker à l'Amiral Darlan pour protester contre le sort réservé aux Juifs.
Ce brouillon a été retapé par José Aboulker pour une meilleure compréhension