FERHAT ABBAS INCONNU
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Document manuscrit de Ferhat Abbas |
Jacques Zermati, héros de la France Libre, ancien vice-président de l'association des Anciens Combattants de Sétif, raconte son amitié avec Ferhat Abbas
Création : 19 octobre 2012
Modification 1 : 23 octobre 2012
Modification 2 : Vidéo Antenne 2 de l'interview de Ferhat Abbas - archives INA - 19 juillet 2015
En lisant le livre posthume de Ferhat Abbas,"Demain se lèvera le jour", paru en 2010 aux éditions Alger-Livres, on a le sentiment qu'une page se tourne en Algérie, puisque, dans l'avertissement écrit par son fils Abdelhalim Abbas, on lit :
"Il me confía le manuscrit en insistant sur la chose la plus importante à ses yeux, que ce livre soit publié quand un système vraiment démocratique sera installé en Algérie, et que le mot "liberté" ait pris tout son sens. L'heure est donc venue de tenir cette promesse."
La publication étant chose faite en 2010, on fera confiance à Abdelhalim Abbas pour le reste.
Si on peut risquer une comparaison politique, on penserait au Président René Coty, honnête homme, patriote, tenant son rôle de Président, plutôt qu'au style "chef", du genre Jules César ou Alexandre le Grand, ou bien encore Mehemet II.
Pendant des années, il a essayé de persuader quantité de responsables politiques français de l'orage qui menaçait, et la réponse - invariable - était : "Cher ami, si tous les Algériens étaient comme vous, il n'y aurait pas de problème." Emprisonné bêtement suite aux émeutes de Sétif en 1945 pour en avoir été tenu responsable, il sera assigné à résidence bêtement suite à l'indépendance. Il n'a pas été condamné à mort par les autorités françaises, mais il l'a été par un chef de bande FLN, avec exécution à l'appui de son neveu. Dans un de ses livres antérieurs, il raconte son bras de fer avec Houari Boumediene au sujet de la libération d'un aviateur français capturé en Tunisie. De là à penser que cela lui porterait bonheur …
Il était un ami de Jacques Zermati, et comme les amis de nos amis sont nos amis, voilà pourquoi nous nous intéressons au plus sympathique des nationalistes algériens.
Fehrat Abbas est l'homme du paradoxe : En demandant inlassablement l'autonomie pour l'Algérie, il a contribué à exciter les antagonisme qui ont conduit inexorablement à un déchirement fratricide, par manque de préparation de la société civile algérienne, et dont il constate lucidement que l'Algérie en a été victime. S'il avait combattu en faveur d'une francisation, il eut déclenché une synergie - certes non sans peine - qui eut conduit démocratiquement à l'autonomie, puis par voie de conséquence à la souveraineté dans la paix. Mais on ne refait pas l'Histoire.
On sent dans ce livre, écrit en résidence surveillée, durant la période "Boumediene" une amertume certaine de voir les Algériens s'engager dans un chemin chaotique, alors qu'il pense que l'Algérie méritait mieux. Mais son avant-propos, rédigé en mars 1985, "Je suis au soir de ma vie", est précédé d'une citation de Sébastien Chamfort : "Presque tous les hommes sont esclaves, faute de savoir prononcer la syllabe non". Ce n'est que trop juste !
Sa "sévérité politique" n'a pas dû être du goût de beaucoup :
"Aussi bien, depuis 1962, les Algériens démolissent-ils plus qu'ils ne construisent. Et ce qu'ils construisent reste branlant, sans prise sur les masses parce qu'improvisé et sans appui historique." Et il en rajoute : "l'Algérie n'est pas sortie du tunnel. Depuis 1962, elle se débat dans des contradictions insurmontables. Nous vivons dans un provisoire dangereux."
De ce constat - personnel -, il organise son testament politique :
- Accéder aux temps modernes par la culture, la science moderne, la technique ;
- Accéder à la démocratie avec des lois égales pour tous ;
- Que l'État s'en tienne aux secteurs clefs ;
- Arrêter l'exode rural, protéger la terre, développer la forêt, construire des barrages, etc ;
- Promouvoir un enseignement valable pour sortir du Moyen-Âge, avec une référence très juste au Khalife Ali qui disait déjà à ses compagnons : "Instruisez vos enfants, car ils sont nés pour une époque qui n'est pas la vôtre";
- Émanciper la femme ;
- Respecter le peuple et croire en l'Islam.
Curieusement, il semble attribuer à la France la responsabilité du départ d'Algérie des Européens. Conclusion :
"Après le départ massif des Français, de ceux qui dirigeaient le pays, je dois dire en toute objectivité que l'Algérie s'est trouvée dans la position d'un bateau ivre, sans équipage. Le pire était à craindre. En effet le régime colonial n'avait préparé aucun de nous à l'exercice du pouvoir." Certes, mais c'est bien le FLN qui a voulu ce départ, même si le peuple algérien ne le souhaitait pas dans son ensemble. D'ailleurs le témoignage de Jacques Zermati montre qu'il ne laisse aucun doute à Ferhat Abbas sur le désordre qui allait s'étendre en Algérie et motiver son propre départ !
Dans sa conclusion Ferhat Abbas cite un verset du Coran :
"Dieu ne change la condition d'un peuple qu'autant que le peuple change lui-même."
Mais aussi :
"Pour un jeune pays comme le nôtre, la meilleure stratégie consiste à ne pas tricher, à penser aux autres autant qu'à soi-même, à respecter la parole donnée et à ne faire que ce que l'on doit. En un mot à faire la politique de ses moyens. C'est la sagesse même."
Il termine par "Demain se lèvera le jour". Demain, c'est maintenant !