PACIFICATION IN ALGERIA
Création le 25 juillet 2012
Modification 1 le 12 avril 2017 : aménagements et liens
"Pacification in Algeria" est un livre écrit par un officier français, David Galula, qui y consigne son expérience pendant deux ans de la guerre d'Algérie en tant que commandant de compagnie et de chef de quartier en Kabylie. Expérience réussie, selon lui, encore qu'éphémère puisque ses successeurs ont été tués. Curieusement, "on" ne la lui laisse pas poursuivre, et il termine la guerre dans les bureaux parisiens de " l'Action Psychologique", puis quitte l'armée française et se rend aux États-Unis où il est très apprécié - voilà pourquoi son livre est écrit en anglais. Il décède quelques années plus tard.
Notre impression globale est mitigée : même si Galula précise qu'il n'a pas utilisé la manière forte, pacifier "par force" fait penser au boy scout qui souhaite absolument faire traverser la rue à une vieille dame voilée qui ne le veut pas, mais qui se révèle être un terroriste déguisé !
Pacifier, ne serait-ce pas pour lui compromettre la population aux yeux du FLN ? Mais toute expérience est bonne à prendre, sans pour autant espérer la transformer en une stratégie "contre-insurrectionnelle".
Les groupes humains sont tiraillés entre quatre forces majeures : la guerre, la politique, la religion, l'humanisme. Un difficile équilibre est toujours possible, mais pas forcément certain. C'est ce qu'un bon stratège s'efforce d'obtenir.
Il se trouve que le peuple algérien (version 1954) est versatile, comme un peu tous les autres. Il a tendance à suivre le chef le plus fort du moment et non le meilleur. Il n'y a pas une, mais deux sociétés civiles vivant côte à côte sans s'apprécier ni même se connaître, sauf exception. Peu importe les mille raisons qu'il y aurait pour expliquer cette situation qui dure depuis plus de deux mille ans en ce qui concerne les "Algériens de souche" et plus de cent ans pour les "Immigrés". "Les faits sont têtus" a dit le général de Gaulle, mais lui-même a été désarçonné dès juillet 1958.
Or Galula a fait partie d'une armée orpheline de stratégie. "On" demandait à cette armée de "pacifier" en faisant la guerre. Mission contradictoire, voire impossible, aussi bien à expliquer qu'à exécuter. Seule certitude : "il ne faut pas refaire la guerre d'Indochine", ce qui fut refait par des chefs dont certains n'avaient pas fait la guerre d'Indochine !
Passons au plan local : Galula décrit bien la contre-administration organisée par ces chefs nationalistes locaux, qui, pour "faire les pieds" aux Français, ordonnent la destruction de l'école et tendent une embuscade meurtrière. Alors le général commandant la zone donne l'ordre à l'officier SAS de faire évacuer le village impliqué avant sa destruction. Puis contre-ordre. Bravo humoristique à ce général anonyme ! Voilà comment, en perdant la face, on perd la guerre. D'ailleurs, en ce qui concerne les SAS, Galula a une curieuse façon de les voir : comme des distributeurs d'argent !
Galula est aussi très impressionné par le comportement responsable, puis horrifié, des appelés - pas du tout du genre de ceux qui "chialent" dans les médias - . Il faut aussi comprendre que certaines bandes armées, beaucoup plus "droits communs" que véritables guerriers, se livraient à des actes horribles, fracassant la tête des bébés contre les murs et mettant à nu les femmes avant de les égorger. Il commente également le côté farfelu des instructions de l'Action Psychologique et leur effet contraire sur la population.
Avec les renforts du contingent en 1956, une nouvelle donne commence : le FLN, pour s'en sortir, prend goût au terrorisme urbain, plus spectaculaire. Il n'a pas de vrai problème d'effectifs, mais surtout d'approvisionnement en armes. Coté français, il s'agit de faire "basculer" la population (musulmane), avec récompenses militaires à l'appui. Quant aux tenants de l'Action Psychologique, ils ont la certitude que par la "persuasion" inspirée parfois des méthodes communistes, en endoctrinant des bons élèves pour noyauter le FLN, ils auront la victoire.
Échec en moins de six mois ! Entre les deux extrêmes, l'une des tentations est de "baratiner" la population sur l'évolution des récoltes etc, d'où le surnom de "Li Fig li Zolive" attribué à l'inspirateur de cette méthode, l'autre de construire des organigrammes de responsables pour faire contre-poids à l'OPA (Organisation Politico Administrative) du FLN. Entre les deux, l'Armée française "balance"… et se lance dans un grand n'importe quoi.
Galula met à l'épreuve sa théorie personnelle, d'après ce qu'il a observé en Chine, en Grèce, et étudié au sujet de la Malaisie et des Philippines : trouver suffisamment de "supporters" capables de rallier l'ensemble … avec l'espoir que tout cela est possible.
Premier travail : faire passer le message à sa compagnie. "Vider l'eau de la piscine pour pêcher assurément le poisson qui s'y trouve." Réaction de l'un de ses hommes : "Les Kabyles sont tous favorables au FLN". Galula, comme on dit, "touche du bois". Premier essai sur une mechta : la bataille des affiches. Résultat mi-figue mi-raisin. Il constate que ses hommes ne sont pas aguerris et les incite à être courtois avec la population, la vouvoyer même si cela paraît à tous quelque peu ridicule (?). Il instaure le travail obligatoire mais payé. Mais on est toujours ramené à la situation résumée par un de ses interlocuteurs locaux :
- Mon Capitaine, vous devez comprendre notre situation. Nous n'avons pas peur de vous. Le maximum que vous nous ferez est de nous mettre en prison … Les fellaghas, eux, nous coupent la gorge. Même si nous voulions vous aider, nous le pouvons pas, c'est trop dangereux !"
C'est bien dans le style : "Vous ordonnez, nous subissons !"
Autre anecdote croustillante. Galula veut organiser une séance de cinéma au village. La population accepte, mais seulement sous protection militaire. Malheureusement les films sont sans intérêt réel. Galula va trouver le chef de l' "Action Psychologique" :
- Ne pouvez-vous pas avoir de meilleurs films que cela ?
- Mon pauvre ami, c'était suffisamment difficile de les obtenir du Service Cinématographique du Gouvernement. Leur catalogue est sans intérêt.
- Ne pouvez-vous pas utiliser des films commerciaux ?
- Je n'a pas d'argent pour louer des films commerciaux !
Ainsi on dépensait des fortunes en munitions et carburant pour des "grandes opérations", mais on n'était pas fichu de dépenser plus de cinq centime de nouveaux francs par Kabyle ! Ces gens-là ont quasiment tous été en ville et vu des films de qualité à leurs frais. Prendre les Kabyles pour des débiles rime peut-être, mais ce n'est vraiment pas la bonne solution.
Et pendant des pages et des pages, Galula poursuit avec la population de son sous-quartier le jeu du chat et de la souris, dont il a appris des rudiments quand il était observateur en Chine. Tant et si bien que ce sous-quartier devient la destination modèle des officiels. Mais le FLN est coriace et les invitations qui leur sont faites à rendre les armes ont peu d'effet. Quant aux interrogatoires des prisonniers, Galula déplore que cette tâche policière ait été confiée à des organismes militaires, les DOP (Détachement Opérationnel de Protection).
Estimant que le rôle de l'armée cesse quand la région est pacifiée, et que c'est aux Politiques de prendre le relai, il obtient le soutien du Préfet de Kabylie, qui lui propose de vendre son idée au Ministre Résident, Robert Lacoste. Rendez-vous est pris, mais Lacoste lui fait le coup classique du rendez-vous-urgent-de-dernière-minute-à-Paris, et les fait recevoir par un jeune collaborateur, qui s'empresse de convier quelques amis à une bonne bouffe au Yatch Club (avec vue sur les nanas en bikini), déjeuner au cours duquel on parle de tout sauf de l'essentiel : créer un parti ou seraient mêlés Européens et Musulmans … C'est alors que le collaborateur regarde sa montre : il est en retard pour la réunion de l'après-midi. Fin de l'intermède !
Qu'aurait pu faire Galula ?
1 - Refuser l'entretien puisque Lacoste le refusait également ;
2 - Démissionner de l'armée et fonder un tel parti. Il eut eu bien du plaisir ! Et en était-il capable ?
Galula ne franchit pas le Rubicon, et c'est peut-être la raison pour laquelle "on" l'enverra quelques temps plus tard, d'ailleurs contre l'avis de ses supérieurs hiérarchiques, dans les bureaux parisiens de l'Action Psychologique, comme étant peut-être trop dangereux pour distiller localement ses bonnes idées.
Arrive mai 58. Galula s'étonne qu'une simple grève de pieds-noirs à Alger déclenche une marée humaine sans précédent, particulièrement de musulmans venant de la Casbah. Ici belle erreur : ce n'est pas la Casbah qui a initié cette fraternisation franco-algérienne, mais bien Gérard Lambert d'Ortho, avec tout son personnel agricole et leurs femmes dévoilées, qui en a été le catalyseur, comme nous l'avons expliqué dans un article précédent.
http://dakerscomerle.blogspot.fr/search/label/a%2023%20-%20FRATERNISATION%20DE%201958
Galula en bénéficie, puisque tous les notables ruraux de "sa" région le pressent de devenir Préfet de Tizi-Ouzou ! Cette affaire de mai 58 laisse quand même des interlocuteurs sceptiques qui ne considèrent que ce n'est qu'un feu de paille.
.
Quant à la "Pacification in Algeria" selon Galula, elle fera long feu. Il ne serait pas inintéressant d'aller dans le djebel Mimoun comprendre, quelque cinquante ans plus tard, ce qu'il en est advenu …
L'autre ouvrage de David Galula "Contre-insurrection - Théorie et pratique" est recensé à la rubrique "Asie et extrême Asie":
http://empirkersco.blogspot.fr/search/label/a%2022%20-%20GALULA%20ET%20LES%20INSURRECTIONS