LA MOBILISATION, PAS LA GUERRE


Cette soirée-là ...


Modification 1 : 4 novembre 2011 - photo


Ceci est le récit (authentique) de la mobilisation de la division chargée de défendre Paris lors du putsch de 1961 - Extrait du livre "Quand le merle sifflera" - Jean Kersco - Édition épuisée.

Avec une dizaine de jeunes officiers appelés, et comme EUX en "chômage technique", François se présente au commandant du camp. Ayant

répondu le premier à une question en apparence anodine, il est récompensé sur le champ, en étant désigné pour servir d’officier de liaison à la division que le gouvernement a donné ordre de faire lever en toute hâte pour défendre Paris contre les parachutistes (qui ne sauraient tarder).


 Bien entendu, François ignore tout du camp de Satory et des besoins de cette division. Sans importance, il a carte blanche : Rompez.
Il n’est que temps. Les rappelés de la division arrivent déjà en files indiennes silencieuses et croissantes vers le camp. François officie à l’entrée de la zone de rassemblement. Première question posée, très terre à terre : « Où sont les toilettes ? ». Toute armée en campagne, c’est connu, mange, boit, dort, fait pipi… 


La première mission est remplie haut la main que déjà bien d’autres questions se précipitent : « J’ai quitté la maison sans pouvoir prévenir ma femme, comment puis-je lui téléphoner ? » François trouve assez facilement un téléphone devant lequel un attroupement à géométrie variable s’allonge désormais. Et les rappelés ne cessent d’arriver, qui par l’autobus, qui en stop, qui avec sa voiture personnelle qu’il est prié de garer hors des limites du camp.

 Des listes de constitution de sections et de compagnies, préalablement tapées à la machine, sont distribuées aux officiers ; ici et là, les chefs commencent à faire l’appel. Un homme en civil se présente à François : « Je suis colonel, mais je n’ai pas de galons… ». François se met en quête du tailleur et finit par trouver son atelier alors que les premières gouttes d’eau se mettent à tomber. La division va être mouillée alors qu’elle est encore en tenue civile.
Quelle est la meilleure place pour s’abriter ? Le cinéma, d’abord, en attendant la fin de l’averse, mais où est la clé ? Voyons… la clé ? Le responsable du cinéma n’est pas là, il est en permission, il ne pouvait pas prévoir, et il n’a pas été rappelé. On trouve un trousseau de secours.


Bravo ! A la septième clé, alors que les gouttes se font menaçantes, les hommes se ruent vers l’intérieur de la salle obscure qui… reste obscure. Lumière, lumière ! lumière ! mais où est le bouton ? Tout finit par arriver, même la lumière. Au bout de quelques minutes, assise sagement face à l’écran qui reste obstinément inerte, la troupe commence à s’animer. Un loustic exige un film sur les paras. Quelques ricanements lui répondent.
Des officiers zélés interpellent François sur la qualité de l’organisation. Le pauvre n’en peut que mais, alors qu’arrivent bien à propos plusieurs camions chargés de vestes et de pantalons de treillis et que la pluie vient de cesser. Les effets sont étalés sur des tréteaux, comme au marché, et on s’aperçoit de suite que quelque chose ne va pas du tout : tous les pantalons sont de la même taille !


 La distribution commence, on verra plus tard. Les camions repartent chercher d’urgence un assortiment de tailles. Pour certains, l’uniforme sied à merveille, pour d’autres trentenaires à la bedaine non réglementaire, c’est l’enfer. On fait la quête de ficelles retrouvées dans les boites à gants ou dans les coffres des voitures, et les premiers équipés se groupent en colonne par trois. 

Manquent les godasses. Mais où sont les godasses ? Dans un fort situé à l’autre bout de Paris, bien sûr, sans doute une ruse pour qu’un ennemi arrivant par surprise ne puisse s’équiper de pied en cape du premier coup. Le manque de camions disponibles (qui sont repartis chercher des treillis) est tel qu’il faut attendre leur retour pour aller récupérer les godasses. Pourvu que les pieds droits n’aient pas été stockés dans un endroit différent de celui des pieds gauches !
L’heure passe. Récapitulons : tout va bien. Une seule crise cardiaque facilement soignée par un médecin rappelé, mais à terme le problème du dîner se pose puis, de suite après, le problème du coucher. Notre colonel, maintenant que ses galons luisent à neuf, n’est toujours pas content : personne ne veut lui donner de jeep. Il lui faut une jeep. Très classe : « Je ne peux tout de même pas fonctionner sans jeep ! »

 
François ne peut accéder à cette demande. Il est convoqué en pleine réunion d’état-major : aucune solution n’étant trouvée aujourd’hui, ni pour le dîner ni pour le coucher, l’Autorité Militaire décide de renvoyer provisoirement les hommes dans leur foyer, la véritable mobilisation et la distribution des armes n’aura lieu, bien évidemment, qu’après celle des godasses.
Signe des temps : les femmes, qui ont été prévenues par leur mari au téléphone, arrivent en voiture et pénètrent dans le camp pour remettre à leur époux qui un petit casse-croûte, qui une brosse à dent, une chemise de rechange ou un chèque à signer. Là, quelques officiers supérieurs se fâchent, et l’offensive féminine est repoussée en dehors du camp, ce sont donc les maris qui tenteront des sorties pour aller récupérer un message, un petit paquet, ou un petit bisou.

Jour J vers les 18 h 30. Affirmatif : les parachutistes n’ont toujours pas sauté, mais la division quitte son boulot diurne sans avoir résolu le problème suivant : les effets militaires distribués ne pouvant être stockés dans le camp pour la nuit, ils sont laissés à la garde de tout un chacun, qui pourra faire sensation dans le métro avec un treillis plus ou moins ajusté, certains ayant renoncé à porter le pantalon militaire, mais gardant bien sûr leur pantalon civil. L’honneur est sauf.


Sa première nuit opérationnelle, François la passera comme un loir sur un lit de camp (lit Picot) en passe de
réforme définitive, mais convenablement dépoussiéré et rafistolé avec le reliquat des ficelles.

Jour J+1 au petit matin. On sent bien que les choses s’organisent. D’abord, les épouses sont venues en force accompagner leur mari et, curieuses, jouir du spectacle : les voitures en stationnement bouchent rapidement la route d’accès au camp. 


Un plein camion de godasses est en cours de déchargement, de la nourriture aussi. Mais toujours pas d’armes, de munitions, ni de véhicules. Les retardataires affluent de manière inespérée. Une atmosphère bon enfant règne dans les groupes, mais sans exaltation aucune. La plupart des hommes ont crapahuté dans les djebels, il en résulte une ambiance professionnelle, mais les hommes ne semblent manifestement pas d’humeur à chanter la Marseillaise pour défendre nos fils et nos compagnes.

 Ceci étant, à défaut d’ennemis, on tue le temps comme on peut. On a trouvé des films du Service Cinématographique des Armées. Ciblés sur l’instruction des recrues, ces films n’attirent pas vraiment les foules, mais donnent le droit à s’asseoir sur un siège plutôt que de rester debout dans la cour. En fin de journée, la situation est tout aussi claire que la veille : les hommes seront à nouveau renvoyés dans leur foyer, en tenue « treillis » complète cette fois-ci, et les épouses sont priées de s’abstenir dorénavant de faire le siège du camp.

Jour J+2. La nuit portant conseil, le putsch s’arrête comme il avait commencé : en queue de poisson. Tout le monde est soulagé par ce retour impromptu et inexpliqué à la normale, mais la division doit maintenant se démobiliser, c’est-à-dire rendre tous ses équipements, se faire tamponner sa feuille de mobilisation devant servir de justificatif pour l’employeur, qui – il faut le dire – a vu disparaître du jour au
lendemain une partie de son personnel, parfois sans que celui-ci ait eu le temps de le prévenir. 


Les derniers retardataires (qui viennent seulement d’être touchés par leur feuille de mobilisation, mais qui ont appris par la radio leur démobilisation) viennent quand même se faire tamponner à toutes fins utiles, et en particulier pour ne pas se faire traiter de séditieux par l’administration militaire, quand elle sera enfin revenue de sa surprise.

 Les nouveaux arrivants prennent donc la queue de droite, celle de la mobilisation. On ne juge pas utile de leur distribuer leurs effets et ils rejoignent immédiatement après la queue de gauche, celle de la démobilisation. Dans un coin, deux gros colonels de la logistique, navrés, font l’autocritique de la situation pour tout ce qui n’a pas marché sur des roulettes. Ils vont faire très attention à leur rapport car ils risquent d’en prendre pour leur grade. Scrogneugneu.

Ouf ! Dieu que la guerre est jolie !