EVIAN - LES DÉLÉGATIONS


Modification 4 : 13 juillet 2013 - délégation algérienne.
Modification 5 : 8 mai 2016 - photo de la table des délégations à Evian et conclusion.

Premier étonnement : Qui parle des "accords d'Évian" ? Alors qu'il ne s'agit seulement officiellement que de "Conclusions des pourparlers", certes établies d'un commun accord, mais non ratifiées par les instances provisoires de la République algérienne. Le premier à avoir parlé d' "accords" a été le Général de Gaulle, alors qu'il devait bien être au courant que c'en étaient pas !


Deuxième étonnement : La partie algérienne représente le Front National de Libération, et non le GPRA, comme certains le croient.




Troisième étonnement : Si les délégués français qui ont signé sont mandatés, ce qui engage leur mandant, à savoir la Présidence de la République française et son gouvernement, à travers certes le vote du peuple français, le seul délégué algérien à avoir signé n'était pas explicitement mandaté. Donc sa signature n'a qu'une valeur personnelle. Si les autres délégués algériens n'ont pas signé, Redha Malek avance une explication : 

"Nous sommes très surpris de voir les trois ministres français apposer successivement leur paraphe. Quand vient le tour de la délégation algérienne, Krim a un moment d'hésitation. Il regarde de part et d'autre Bentobbal et Dahlab d'un air interrogateur. Dahlab le sort d'embarras en déclarant que, pour ce qui est de l'Algérie, seul le chef de sa délégation est habilité à signer. Remarquons qu'en fait de pouvoirs, la résolution à caractère interne du CNRA - non publiée jusqu'à ce jour - mandate le GPRA pour poursuivre les négociations avec la France et l'"autorise à signer les conventions de cessez-le-feu". Voilà qui fait justice des spéculations non fondées mettant en doute la capacité juridique de la délégation du GPRA à engager la révolution."

Redha Malek ajoute de l'eau à notre moulin : une convention de cessez-le feu est de nature militaire. Ce n'est pas un projet de paix, contrairement à ce que pourrait laisser supposer le texte des "Conclusions des pourparlers". De fait, on peut légitiment se demander si l'Algérie et la France ne sont toujours pas en guerre, puisqu' aucun accord de paix n'a été signé 54 ans plus tard entre les deux États.

 Quatrième étonnement : Nous savons de source sûre que le général de Gaulle, soucieux de se dégager au plus vite de cette "affaire", avait dit à Louis Joxe : "Signez n'importe quoi, mais signez !".

Or le texte a été soigneusement rédigé et totalement relu par les deux délégations, à la demande formelle de la délégation algérienne, avant signatures. Il n'y avait donc aucune surprise à voir que ce n'était pas le GPRA mais le FLN qui eut été mandant, s'il y avait eu l'inscription de mandat. Cette inscription, indispensable pour valider une signature, n'existait pas. D'autre part si le CNRA avait mandaté secrètement le GPRA à signer les conventions de cessez-le-feu, il n'avait pas donné d'autorisation à signer tout le reste, qui était le plus important, puisqu'il avait trait à l'exercice de l'autodétermination et au futur de l'Algérie. Belkacem Krim a donc pris sur lui le risque de se faire désavouer par le CNRA, ce qui a eu lieu dans un premier temps, risque que les autres membres de la délégation algérienne n'ont pas voulu prendre comme le montre l'absence de leur nom dactylographié, ce qui entraînait l'absence - ipso facto et sans surprise - de leur signature. 


Donc, s'il y a eu accord, et non pas "accords", c'est seulement sur le retrait de l'armée française, sans combattre (le dégagement - mot resté célèbre dans le monde musulman), et - mieux - en abandonnant les civils européens et les "Français d'origine algérienne" - surnommés d'un terme générique "harkis" - à leur triste sort. Quant aux armées du FLN de Tunisie et du Maroc, ainsi que d'autres éléments incontrôlés, qui n'étaient pas concernées par cet accord, il faut savoir qu'il y a eu plus de morts dans l'année qui a suivi le "cessez-le-feu" que dans l'année qui l'a précédé, surtout dans la population "indigène".

Conclusion : il fallait mettre un terme à cette guerre par la paix - et bien avant 1962 - mais pas comme ça. Les Algériens l'ont déjà payé largement pendant la "décennie noire"...

Evian 1962

Délégation française, de gauche à droite :Robert Buron, Louis Joxe, ( Michel Debré ), Jean de Broglie.


Délégation algérienne, de gauche à droite, si nous n'avons pas fait d'erreur : 
- Belkacem Krim,
- Abdelhafid Boussouf,
- Saïd Mohameddi,
- Mohamed Boudiaf,
- Ahmed Ben Bella,
- Benyoucef Benkhedda,
- Rabah Bitat,
- Ahmed Francis,
- Lakhdar Bentobbal

Charles de Gaulle
Pour n'être présent à aucune des réunions, il n'en a pas moins été le "Deus ex machina" de la délégation française. Il a composé sa délégation de personnes dévoués, et n'a laissé à Louis Joxe, le chef de la délégation française, qu'une marge de manœuvre si étroite que ce dernier a brillé plutôt par ses qualités de diplomate, que par celles de négociateur, à force de recevoir des consignes n fois, n étant très grand. Arrivé au pouvoir en 1958 par un coup d'état sans victimes et dans l'allégresse populaire, Charles de Gaulle n'a pas osé ( ou n'a pas su ) imposer immédiatement une stratégie extrêmement risquée - quoique gagnante à terme - à savoir : décréter l'indépendance de l'Algérie "dans l'interdépendance" ( en fait, la souveraineté ), en obligeant pieds noirs et nationalistes à vivre et à travailler ensemble dans un État de droit. Il a laissé se consumer une fraternisation éphémère et fait déclencher des combats majeurs pour affaiblir l'ALN de l'intérieur. En ce faisant, il a incité l'ALN de l'extérieur à se renforcer dans ses sanctuaires de Tunisie et du Maroc, sous les yeux de l'opinion internationale de plus en plus sensible, pendant qu'il subissait la passivité apparente du peuple algérien. Puis, en adepte de la realpolitique, il a alors pratiqué l'auto "dégagement", ce qui signifiait - de facto - le transfert de la tutelle française à celle du FLN, sous couvert d'autodétermination. Peut-être pensait-il que la "boite à chagrin", comme il appelait l'Algérie, n'en valait pas la chandelle ?
Mais ayant accepté d'emblée que le FLN soit son seul interlocuteur valable, il aura perdu la partie avant même de l'avoir commencée.

Houari Boumedienne
En laissant à son ennemi intime Belkacem Krim le soin de diriger la délégation du FLN, Houari Boumedienne s'est gardé un droit final de veto, en s'appuyant sur la nébuleuse guerrière anti-française. Son objectif, inavoué ou inconscient, était de bouter les Français hors de l'Algérie, afin de pouvoir récompenser la nébuleuse en lui distribuant les biens des pieds noirs, quitte à le regretter bien plus tard, quand le mal était fait. Il faut dire qu'il n'avait que trente ans en 1962.


Il fallait aussi éliminer les "traitres" qui étaient des témoins gênants. Remarquable tacticien, il a imposé son programme "démocratique et populaire" à tous les Algériens en utilisant l'argent des hydrocarbures aussi bien que la force armée. Sans nier pour autant les qualités de négociateurs des membres de la délégation du FLN, Houari Boumedienne aura donc été le grand gagnant de la partie, en récupérant le tapis et l'argent du tapis.


SIGNATAIRES FRANCAIS ( mandatés )

1 - Louis JOXE ( voir, pour sa carrière l'excellente et épaisse biographie de Chantal Morel : "Louis Joxe, diplomate dans l'âme" Edition André Versaille - même si cette biographie est teintée au sujet du comportement de Louis Joxe pendant sa période algérienne d'une vision particulièrement "gaulliste" de la situation ). Agrégé d'histoire et de géographie, Louis Joxe enseigne à Alger, remarqué par De Gaulle, ministre des Affaires Algériennes, puis
Ambassadeur de France.

2 - Robert BURON - MRP,  Secrétaire d'état grâce à l'abbé Pierre, maire de Laval, ministre MRP démissionne en 1962. D'après nos sources, le jeune et brillant Valéry Giscard d'Estaing, ministre des finances aurait été approché par le premier ministre Michel Debré pour faire partie de la délégation, et qu'il aurait fermement refusé, mettant sa démission dans la balance, pour ne pas avoir à serrer la main des membres de la délégation algérienne. Il a donc été remplacé par Robert Buron. En fait, on avait conseillé aux deux délégation de se saluer par une légère inclination de la tête, ce qui évitait tout problème de "contact manuel".

3 - Jean de BROGLIE
Il est successivement Secrétaire d'État chargé de la Fonction publique ( avril à novembre 1962 ), puis aux Affaires algériennes ( 1962-1966 ). Assassiné en 1976.

"TECHNICIENS" FRANCAIS
1 - Roland Cadet, membre du Conseil d'État ;
2 - Général Simon, Légion étrangère ;
3 - Bernard Tricot, il organise en juin 1960 la venue secrète de Si Salah à l'Élysée pour rencontrer le Général de Gaulle ( Affaire Si Salah ). Il travaille donc une dizaine d’années, de façon quasi-continue, à l’Élysée. Il participe à la préparation et à la négociation des "conclusions des pourparlers" d'Évian en 1962 ; ainsi qu’à la mise en place d’un État et d’une Administration algérienne ( Rocher Noir ) ;
4 - Bruno de Leusse licencié en droit. 1961-1962 : directeur des affaires politiques et de l’information au ministère d’État chargé des Affaires Algériennes ;
5 - Lieutenant colonel Hubert de Seguins Pazzis ??
6 - Vincent Labouret ??
7 - Claude Chayet ??
8 - Thibaud ??
9 - Yves Roland Billecart -
Dans les plans initiaux, Yves Roland-Billecart, inspecteur des finances, ne devait pas participer à ces rendez-vous de l’histoire. C’est pour remplacer l’ancien délégué général du gouvernement en Algérie Paul Delouvrier chargé de la « pacification » qui refusa de négocier avec le FLN que Louis Joxe se tourna vers son jeune conseiller
10 - Jean Salusse ??

SIGNATAIRE FLN ( non mandaté )

Belkacem KRIM ( 1922 - 1970 ) Né à Draâ El Mizan. Caporal chef au 1er RTA. Il prend le maquis dès 1947 après une condamnation à mort par contumace. A la formation du GPRA, il est vice-président et ministre des Forces armées. Il dirige la délégation du FLN aux négociations d'Evian ; ( appréciation de Ferhat Abbas : "Autopsie d'une guerre", p. 308 - "Devant le conseil des ministres Krim nous mit au courant de la situation. Pour lui, de deux choses l'une : ou l'état-major nous remet le prisonnier, ou Boumedienne sera arrêté et jugé pour insubordination. Le colonel Boumedienne qui se voulait déjà le "patron" de notre "révolution", finit par comprendre et par admettre mes raisons. Je ne lui ai jamais révélé que si j'avais échoué, il aurait été arrêté, jugé et probablement fusillé" ). Voire !
 

Accusé d'avoir organisé au mois d'avril 1967 un attentat contre Boumédiène, manipulé et trahi par une partie de son entourage, il est condamné à mort par contumace. Le 18 octobre 1970, on le retrouve étranglé "par" sa cravate dans une chambre d'hôtel à Francfort.
 

"TECHNICIENS" FLN

1 - Ahmed Francis ( 1912-1969 ) :
Né à Relizane. Il participe au lancement, avec Ferhat Abbas, des AML et de l'UDMA, puis rejoint le FLN ;

2 - Sad Dahlab ((1919-2001 ) :
Né à Ksar El -Chellala. Militant du PPA-MTLD, il est gérant d'une société de presse. Arrêté en 1954, puis libéré, il rejoint le FLN et se consacre au lancement des premiers numéros d'El Moudjahid. Ministre des Affaires Étrangères en 1961. Lorsque Jean de Broglie ( négociateur français ) a évoqué la question de la souveraineté française sur le Sahara, Saâd Dahleb a demandé, sur le ton de l'ironie, à rejoindre la délégation des négociateurs français. « Je suis originaire du sud de l'Algérie, je demande à ce titre à vous rejoindre », a répondu Dahlab ;

3 - Ahmed Boumendjel ( 1906-1984 ) :
Né à Béni -Yenni en Grande-Kabylie. Avocat, il est lieutenant de Ferhat Abbas . Membre du GPRA, il a participé aux pourparlers de Melun en 1960 ;

4 - Mohamed Seddik Benyahia ( 1932-1982 ) :
Né à Jijel. Avocat à Alger, il défend, en 1955, Rabah Bitat qui était détenu Serkadji. Participe, avec Boumendjel aux pourparlers de Melun en 1960 ;

5 - Ahmed Kaid dit commandant Slimane ( 1921-1978 ) :
Né à Tiaret. Militant de l'Udma avant 1954. En 1956, il rejoint la wilaya V. Membre du CNRA en 1959. Adjoint du colonel Boumediène dans l'EMG. A ce titre, il participe aux négociations ;

6 - Tayeb Boulahrouf ( 1923-2005 ) :
Né à Oued Zenati. Militant actif, plusieurs fois arrêté, membre du FLN en France. Fin 1960, il met sur pied le relais suisse entre le GPRA et la France. Il participe aux rencontres de Lucerne et de Neuchâtel puis aux négociations d'Evian I, de Lugrin et d'Evian II ;

7 - Ali Mendjeli
Membre de l'état major général. ( appréciation de Ferhat Abbas : "Autopsie d'une guerre", page 316 - Je connaissais peu Mendjeli, celui-ci ne cachait pas ses opinions. "Je suis un fasciste, me disait-il. La démocratie c'est la règle de la médiocrité. Le fascisme, c'est le gouvernement de l'élite". )

8 - Rédha Malek ( 1931-... )
Né à Batna. Licencié en lettres à Alger et à Paris. Membre fondateur de l'UGEMA en 1955. Directeur d' El Moudjahid de 1957 à 1962. Porte-parole de la délégation du FLN, il ne participe pas physiquement aux séances des négociations.




Le "oui" l'a emporté à raison de plus de 99% des suffrages exprimés ...

Qui dit mieux ?