LA CONSULAIRE


de la seconde guerre mondiale.
À sa droite, la Consulaire.


Canon français pris par la Régence d'Alger, récupéré en 1830 et exposé au Musée des Invalides à Paris
Création le 18 novembre 2010
Modification 1 : 25 novembre 2010
Modification 2 : 12 avril 2017
Les premiers rapports conflictuels entre le monde arabo-islamique et l'Europe ont commencé dès l'an 700 par le franchissement du détroit de Gilbraltar par l'armée de Tariq ibn Ziyad. En 720, après l'occupation de l'Espagne, c'était celle de Toulouse, semant la mort et l'esclavage, puis en 732 l'arrêt à Poitiers par les armées franques (belgo-allemandes) de Charles Martel. La "reconquista" espagnole est accomplie en 1492. Côté est, l'apogée ottomane est le siège de Vienne en 1529, puis les reculs successifs jusqu'à la bataille navale de Lépante (1571) au large de la Grèce. En sandwich, il y aura eu les Croisades en Terre Sainte et leur échec final en 1291.
Cette fresque hyper-rapide sert de toile de fond pour illustrer les rapports des Républiques de Gènes et de Venise avec la Régence d'Alger. Si les Croisades furent une affaire fructueuse pour toutes les deux, la Superba gérait le port de Beyrouth, et la Sérénissime transportait (à prix d'or) les Croisés et leurs approvisionnement au Moyen Orient, leur stratégie ont divergé ensuite, dans un affrontement inévitable. Gènes défendait "sa" Corse contre les incursion des Barbaresques en la ceinturant de tours de guet, et en menant une guerre navale réciproque et sans pitié contre les pirates, Venise n'hésitait pas à entretenir des liens commerciaux suivis avec l'empire ottoman et ses régences. Cela permit à Venise d'accumuler des splendeurs.
En gros, les Régences d'Alger, de Tunis et de Tripoli menaient une guerre de course contre l'Europe entière (moins le royaume de France, pour des raisons d'alliance avec Barberousse). Alger et Bougie étaient des bases de départ des corsaires, ce qui n'empêchait pas, dès 1450, une petite colonie marseillaise de pêche du corail de prospérer à La Calle. De même une autre petite colonie française vivait en bonne intelligence à Alger, à titre commercial. Il faut dire que François 1er, pour desserrer l'étau formé par la "Maison d'Autriche" (comprenant l'Espagne et les Pays-Bas) et par l'Angleterre, avait fait alliance en 1536 avec Soliman le Magnifique, après la défaite de Pavie et sa capture, à propos de laquelle Soliman l'avait encouragé en ces termes : « François, roi du pays de France, à prendre courage et à ne pas se laisser abattre. Nuit et jour notre cheval est sellé et notre sabre est ceint ».
Et, en 1543, la flotte de Barberousse hiverne à Toulon, pendant que Charles Quint attaque Alger sans succès. Il paraîtrait d'ailleurs que les muphtis, aumoniers turcs de la flotte, ayant trouvé que les clochers des églises de Toulon étaient pratiques pour servir de minarets, cela avait provoqué quelques remous, et la flotte était repartie - rapido presto -, munie de menus cadeaux d'adieu.
C'est en ce temps-là que le gouverneur ottoman Hasan Aga décide de parfaire les nouvelles fortifications du port d'Alger en commandant "l'arme de destruction massive" à un fondeur vénitien - et ami - de canon (de la zone de Cannaregio, spécialisée dans la fonderie des canons). A titre documentaire, les Vénitiens avaient déporté les Juifs dans cette zone dès 1527, ce "getto - alias fonderie -" est devenu ensuite l'origine du mot ghetto ! Lesquels Juifs étaient obligés de porter un chapeau jaune, couleur infamante de la folie et du crime. Hasan meurt assassiné en 1543, mais le canon est bel et bien livré à la Régence d'Alger.
C'est en ce temps-là que le gouverneur ottoman Hasan Aga décide de parfaire les nouvelles fortifications du port d'Alger en commandant "l'arme de destruction massive" à un fondeur vénitien - et ami - de canon (de la zone de Cannaregio, spécialisée dans la fonderie des canons). A titre documentaire, les Vénitiens avaient déporté les Juifs dans cette zone dès 1527, ce "getto - alias fonderie -" est devenu ensuite l'origine du mot ghetto ! Lesquels Juifs étaient obligés de porter un chapeau jaune, couleur infamante de la folie et du crime. Hasan meurt assassiné en 1543, mais le canon est bel et bien livré à la Régence d'Alger.
C'est un engin superbe : 13 tonnes, 6,6 mètres de long, en bronze, avec un diamètre intérieur de 25 cm. Il a été fabriqué en 3 parties (on distingue toujours les deux brasures sur la photo), placé sous une voûte du fort, et capable d'envoyer un boulet à 4800 mètres. Il semble que le hic soit dans la suite, car il fallait écouvillonner sur 7 mètres, placer la gargousse contenant la poudre avec la "lanterne", placer les deux bourres devant et derrière le boulet, et faire le réglage de tir d'un engin aussi lourd après le recul du premier coup.
Pendant ce temps le navire visé avait eu le temps de s'éloigner de quelques centaines de mètres. On devine les plaisanteries des chefs des galères royales de Henri IV venus bombarder Alger - après tant d'autres, en représailles - en voyant les efforts désespérés des artilleurs de la Régence. Donc, les faits d'armes de ce canon seraient passés inaperçus s'il n'y avait pas eu l'intervention de l'amiral Abraham Duquesne, venu en 1682, sur l'ordre de Louis XIV, bombarder une nouvelle fois Alger.
Ah ! Si Hasan Aga avait fait appel à François Ier, allié aux Vénitiens, plutôt qu'à Venise ! Il eut eu les conseils de la plus belle artillerie de l'époque, équipée grâce notamment aux innovations de Jean Bureau ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Bureau ) qui, plus même que Jeanne d'Arc, bouta les Anglois hors du royaume de France. Car Marignan-1515, gagnée par les Français (en réalité des Suisses, en majorité Allemands) dut son éclat à la portée et à la précision de ses canons face aux Milanais (en réalité des Suisses !).
Revenons au grand canon, surnommé Baba Merzoug (Père fortuné) peut-être à cause du prix qu'il avait coûté. ( http://www.alger-roi.net/Alger/amiraute/textes/ouvrages_centre_alger35.htm ) :
La fin tragique du père Levacher, épisode barbare de la lutte séculaire soutenue par les corsaires d'Alger contre la chrétienté, mérite que l'on s'y arrête un peu car, s'il fut une manifestation de la cruauté barbaresque, il fut surtout la conséquence de l'entêtement et de la maladresse de l'amiral Duquesne.
Le père Levacher était un vieux missionnaire, vicaire apostolique, habitant le pays depuis plus de vingt-cinq ans. Il avait été chargé du consulat de France en 1675, bien qu'il eut allégué son grand âge et de nombreuses infirmités pour décliner ces fonctions. Cependant, la vénération qu'il inspirait aux Turcs par ses hautes vertus et sa bonne connaissance du pays le mettaient en mesure de soutenir au mieux les intérêts français. Il fit tous ses efforts pour soutenir la paix entre son pays et la Régence turque. Mais ses conseils ne furent pas écoutés par Louis XIV et une expédition contre Alger fut décidée.
À la fin du mois d'août 1682, Duquesne avait commencé à bombarder la ville où le feu des galiotes avait causé de grands dégâts. Le 4 septembre, le père Levacher fut envoyé en parlementaire pour demander la paix à l'amiral. Duquesne refusa de répondre au consul, déclarant qu'il ne voulait traiter qu'avec les délégués du Diwan. Et il continua le feu jusqu'au 12. Le mauvais état de la mer l'obligea ensuite à rentrer en France, une partie de la flotte étant restée au large d'Alger pour croiser pendant l'hiver.
Il revint en juin 1683, et le 26 le bombardement de la ville reprenait. Le 28, le dey envoya à bord du bâtiment-amiral, le Saint-Esprit, le père Levacher accompagné d'un parlementaire. L'amiral Duquesne se montra cruel pour le consul, qui méritait plus d'égards, tant par son âge que par ses fonctions. Après l'avoir traité durement, il termina par ces mots :
- Vous êtes plus turc que chrétien.
- Je suis prêtre", répondit le vieillard.
Puis l'amiral réclama la mise en liberté de tous les Français. Ce qui fut exécuté rapidement. Duquesne demanda alors aux envoyés du dey un million et demi de livres à titre d'indemnités. Le dey sollicita un délai de quelques jours pour rassembler cette somme. Entre-temps, il envoya des otages, parmi lesquels se trouvait Mezzo-Morto, dit Hadj Hussein, renégat génois, chef des raïs.
Les exigences de Duquesne avaient profondément divisé la ville et deux partis s'étaient formés : l'un qui voulait la paix et l'autre qui réclamait la guerre. Ce dernier était appuyé par les raïs. Mezzo-Morto supplia Duquesne de le débarquer en disant qu'il en ferait plus en une heure que Baba-Hassein, le dey, en quinze jours. L'amiral le crut et le laissa retourner à terre.
Aussitôt, Mezzo-Morto s'entoura des raïs, marcha à leur tête sur la Djenina, fit massacrer le dey, hissa le drapeau rouge et ouvrit le feu de toutes les batteries sur la flotte française. Il fit dire à Duquesne que s'il envoyait encore des bombes sur la ville, des chrétiens seraient mis à la bouche des canons. Cela se passait le 22 juillet. Le bombardement reprit et la menace fut exécutée. C'était le 29 juillet.
Au plus fort du feu, une bande de forcenés se dirige sur le consulat de France, saccage la maison et s'empare du consul. Comme le père Levacher ne pouvait pas marcher on l'emporta assis sur une chaise et-on se dirigea vers le môle. Là, il fut placé à la bouche de " Baba-Merzoug". Vingt résidents français partagèrent le sort du consul. En 1686, lors d'un nouveau bombardement d'Alger, par la flotte du maréchal d'Estrées, cette fois, le successeur du père Levacher, M. Piolle, fut conduit au môle pour y subir le même supplice mais il avait été si cruellement frappé tout au long de la route qu'il expira avant d'arriver à la batterie.
Successivement, cette fois-là, 42 Français furent attachés au canon. Le maréchal d'Estrées riposta en faisant pendre autant de Turcs qu'il y avait eu de Français suppliciés."
A titre indicatif, Mezzo Morto, marin sur un bateau génois, qui avait été capturé "mezzo morto", à moitié mort, converti à la religion musulmane, assassin de Baba Hassan, a fini par signer un traité valable 100 ans avec l'amiral Tourville ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_Hilarion_de_Costentin_de_Tourville ), lequel traité ne dura que quelques années. Puis, pour ne pas connaître le sort qu'il avait fait subir à son prédécesseur, il émigra en Turquie, où il fut nommé grand amiral de la flotte.
Il est évident que lors de la prise d'Alger par l'armée française, la "Consulaire" fut l'objet de soins attentifs de la part de l'amiral Victor-Guy Duperré, originaire de Brest, ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy-Victor_Duperr%C3%A9 ), ce qui l'amena à l'arsenal de Brest pour l'ériger comme symbole de la victoire française, mais aussi comme un monument aux morts, plutôt que d'une volonté colonisatrice, car il était hostile à l'expédition d'Alger. Les Français ramenèrent aussi des canons pris à la France par les corsaires de la Régence, récupérés en 1830, et au moins un conservé dans la cour du Musée des Invalides à Paris ( dernière photo ).
L'artiste qui mit la pièce d'artillerie en valeur, la monta comme la colonne Vendôme ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Colonne_Vend%C3%B4me ). Mais sa composition ne fut pas pour autant du meilleur goût. Le socle en granit sur lequel est fondé le culot du canon est flanqué de 4 bas-reliefs en bronze, dont l'un d'eux décrit la France, couronnée d'un oursin, "protégeant" une Africaine aux seins nus, assise au pied d'un palmier, ayant des fruits exotiques à sa disposition, et se "bronzant" au soleil, dont les rayons métalliques fondent sur elle comme le Saint-Esprit (allusion subtile au Vaisseau amiral de Duquesne ?). C'est trop mignon.
- Le coq a pondu un œuf. Il est absolument content, et bat des ailes.
- Le coq a volé un boulet, mais celui-ci est trop lourd, Le coq le retient pour qu'il ne tombe pas, et bat de l'aile.
- Le coq a été apprivoisé pour "rendre la baballe", mais il n'est pas encore au point, et se tient en équilibre.
- Le coq est l'emblème de la France (gallus = coq = gaulois), qui domine le globe terrestre de sa patte gauche, car il est gaucher.
- Encore plus impertinent : le coq a un boulet au pied, et ce boulet, c'est l'Algérie !
- In fine, on peut aussi se référer à la réminiscence des temples païens gaulois, le coq étant chargé de chasser les mauvais esprits de la nuit ... Nous n'aurons pas le mauvais esprit de nous demander de qui il s'agissait.
D'autant plus que ce canon a été payé par une province de l'Empire Ottoman, vraisemblablement sur le produit des ventes d'esclaves, ce qui compliquerait la moralité de la transaction. Ce n'est pas non plus un "bien culturel" au sens de l'Unesco, mais plutôt un engin de mort, dont l'usage a été non conforme à la Convention de Genève.
Ensuite, la Consulaire est devenue française par le droit du sol, immigrée depuis plusieurs générations. Elle est également française par le droit du sang (versé par les martyrs français innocents).
Enfin, elle est très bien là où elle est, bien mieux à l'abri des actes terroristes. Si l'État algérien voulait en faire une réplique, il en a les moyens industriels et financiers ... Les Algériens éclairés peuvent aussi venir l'admirer en touristes et amis, ( http://www.amb-algerie.fr/serendre/visas.htm ), puis obtenir une autorisation exceptionnelle de la Marine Nationale s'ils veulent prendre des photos dans cette partie de l'Arsenal.
Nous proposons modestement et simplement de remplacer le coq par deux colombes, symbole de l'amitié franco-algérienne, pour que plus jamais ça.
Nous remercions vivement la Marine Nationale française pour nous avoir autorisé, à titre exceptionnel, à prendre des photos dans cette partie de l'Arsenal.
Voici l'amusant dialogue "à fleuret moucheté" du courrier des lecteurs d'un grand quotidien algérien en langue française :
Décidément, ce canon "turc" aura fait beaucoup "couler d'ancres" !