MACHAO TELLEM CHAO
Modification 1 le 28 mars 2013
MACHAO TELLEM CHAO
« C’est la formule, incomprise, mais toujours évocatrice, par laquelle s’ouvrent tous les contes que, depuis des temps très anciens, les vieilles grand-mères berbères de Kabylie redisent à leurs petits-enfants. C’est la marque de l’ancienneté, c’est aussi le Sésame, la formule qui donne accès au monde à la fois étrange et familier, où toutes les merveilles sont à portée de désir et tous les vœux miraculeusement exaucés – comme dans les rêves – ou cruellement déçus – comme dans la réalité.»
( Mouloud MAMMERI – écrivain et ethnologue algérien )
C’est sous couvert de l’anonymat de l’auteur et de « sa » SAS que nous avons publié cette histoire vraie - et pas triste - dans le Bulletin de Liaison des Anciens des Affaires Algériennes en 1996. L’auteur ne nous en voudra certainement pas de la mondialiser. La voici :
Maintenant, Colonel retraité, avec ma femme, nous courrons l’Afrique pour sauver des enfants des rues, enfants abandonnés de tous, et qui vivent un cauchemar dans la plupart des grandes villes du tiers monde. C’est toujours le même combat. Il faudra toujours lutter pour que le plus fort n’écrase pas le plus faible. Si on croit à cet idéal, la vie vaut d’être vécue.
Mais venons-en au fait.
À la SAS de Beni-Beni, un gros effort de persuasion avait été fait pour que les employeurs déclarent leurs ouvriers agricoles et donc que ceux-ci soient pris en compte par les Assurances Agricoles. Les colons avaient joué le jeu, mais il en restait un seul qui, sous prétexte qu’il était le neveu d’un sénateur, s’estimait au-dessus des lois.
La déclaration n’étant obligatoire qu’à partir du 16 ème jour, il avait donc tourné la loi en créant deux équipes qu’il débauchait à tour de rôle tous les quinze jours.
Toutes mes interventions auprès de ce monsieur s’étant avérées vaines, j’obtins du Colonel, commandant du sous-secteur – un chef bon et droit – de faire exiger la présentation de la carte d’immatriculation aux points de passage du barrage électrifié, lequel coupait en deux le territoire de la SAS.
Ce qui devait arriver arriva. Le colon se présenta au contrôle avec ses ouvriers. Mais les consignes étaient les consignes. Notre homme tempêta, menaça le chef du poste militaire ; rien n’y fit.
Quelques heures plus tard, je vis arriver mon énergumène dans une fureur indescriptible. Il entra en coup de vent dans mon bureau, me menaça et m’insulta dans un français truffé des plus belles injures arabes qu’il connaissait.
Après quelques instants de patience, je finis par sauter par dessus mon bureau et prendre le personnage au collet. Je le bousculai, le poussai sans ménagement hors de mon bureau et le propulsai vers l’extérieur en lui flanquant un coup de pied aux fesses. Il vola au-dessus des marches d’entrée de la SAS et alla s’étaler dans la cour … face au demi-cercle de la trentaine de personnes qui attendaient là, qui pour un laisser-passer, qui pour une aide.
Je pensais qu’il avait compris et que l’affaire était réglée. Las !
Peu de temps après, je fus avisé que les gendarmes faisaient une enquête et recherchaient les témoins de l’incident.
Curieusement, personne ne savait rien, personne n’avait rien vu. Ouallou ! Tout le monde s’était donné le mot, sans que je sois au courant.
Je fus convoqué au Tribunal, accusé que j’étais, sur la seule foi d’un certificat médical établi par un médecin apparenté à la victime, d’avoir occasionné « une meurtrissure dans la région sacrée » de mon adversaire.
Mais auparavant, j’avais dû me rendre avec mon colonel et le Procureur chez le Préfet. Je fus sermonné d’importance car j’avais créé un incident inadmissible, incident dans lequel était engagée l’ADMINISTRATION ! Il me fut discrètement conseillé de nier la matérialité des faits. Il faut savoir qu’en dépit de toutes les offres d’argent importantes faites par mon adversaire aux témoins pour raconter ce qu’ils avaient vu, pas le moindre témoignage défavorable à mon égard n’avait pu être recueilli.
Et je m’en fus à l’audience. Grands dieux ! Tous mes notables étaient là, porteurs de leurs plus beaux burnous, et de leur grand guennour.
J’ai quelque peu oublié le déroulement du procès jusqu’au moment où l’avocat de la partie adverse se lança dans une longue diatribe contre moi. Il finit par m’échauffer les oreilles au point que j’éclatai en lui disant :
- Si vous aussi, vous voulez prendre mon pied au cul comme votre client, continuez sur ce ton … »
Ces paroles déclenchèrent un beau tumulte. Tout le monde s’interpellait, l’assistance était debout, le juge réclamait le silence … J’avais avoué ! L’audience s’arrêta là et le juge fit évacuer la salle.
Très peu de temps après, « on » m’envoya avec femme et enfants me « reposer » pendant deux mois en France, puis au retour, je rejoignis une autre SAS, située à l’autre bout de l’Algérie. Longtemps plus tard, j’appris que j’avais été condamné à une amende pour « violences légères ». Je me souviens encore du pauvre huissier qui vint me présenter le papier bleu et qui s’entendit dire :
- Si vous aussi vous voulez recevoir mon pied quelque part …
Et qui s’enfuit, bien sûr, sans demander son reste.
C’est alors qu’on se demanda si je n’étais pas un officier communiste !
On n’eut pas le temps d’élucider cette question que vint le putsch. Je crus que l’heure de la grande fraternité franco-algérienne était arrivée. Je laissai femme et enfants sous la protection des familles de mes moghaznis et allai occuper la sous-préfecture avec mon maghzen au grand complet, qui s’était enrichi au passage de toute la harka du sous-quartier. Celle-ci avait tout bonnement laissé tomber sa hiérarchie ( elle, très prudent … ou tout simplement réaliste ).
C’est alors qu’on se demanda si je n’étais pas un officier fasciste !
Moi qui n’étais ni l’un ni l’autre. Mais voilà : j’aimais totalement les populations qu’on m’avait confiées et je suis toujours allé au bout de mon engagement.
Gageons que l’on en rit encore à la SAS de Beni-Beni.