LES MASSACRES DE GUELMA


Création le 17 mars 2010

Modification 1 : 28 mars 2013 - À propos d'André Achiari
 

Guelma est une petite ville tranquille ...

http://www.guelma.comze.com/
http://www.vitaminedz.com/annuaire-69-24-0-guelma-histoire-2.html
http://www.guelma.org/francais/index2.php?rub=ville&srub=histoire&goto=histoire

Le constat est fait à partir du livre de Marcel Reggui "Les massacres de Guelma" - Éditions La Découverte.

 
Ce constat est accablant : pendant plus d'une semaine, le sous-préfet de Guelma, assisté de la police et d'une milice sans foi ni loi, ont terrorisé la population musulmane de Guelma en exécutant de nombreux innocents. C'est une affaire qui relève du droit commun, voire de la psychiatrie : des Européens interrogés un peu plus tard sur ces événement, n'ont su que dire "Nous n'arrivons pas à réaliser ce qui s'est passé. Un vent de folie est passé sur notre ville. Nous avons été entraînés dans une aventure incroyable. Il semble qu'un dieu se soit joué de nous ! Nous avons été ses esclaves. Il nous a désorbités. Nous lui devons des actes que nous ne voulons plus analyser, que nous ne voulons plus évoquer. Ah ! La paix, la paix et la fuite de cette ville maudite."

Né le 23 août 1932 à Aïn Hesseinia, près de Guelma, Houari Boumédiène a connu déjà très jeune les événements sanglants du 8 mai 1945 à Sétif et à Guelma, dont il dira plus tard : « Ce jour-là, j'ai vieilli prématurément. L'adolescent que j'étais est devenu un homme. Ce jour-là, le monde a basculé. Même les ancêtres ont bougé sous terre. Et les enfants ont compris qu'il faudrait se battre les armes à la main pour devenir des hommes libres. Personne ne peut oublier ce jour-là.»

Comment cela a-t-il été possible ?

Marcel Reggui (1905-1996), un citoyen français d'origine musulmane et converti au catholicisme, retrace - avec des précisions restées inédites à ce jour - les massacres de centaines d'Algériens perpétrés en mai 1945, dans la petite ville algérienne de Guelma, principalement par des milices de "colons" français.

 
Ils coûtèrent notamment la vie à la sœur et à deux des frères de Marcel Reggui. C'est ce qui le conduisit à réaliser "à chaud" une enquête approfondie sur ce drame... Il ne rendit jamais public son témoignage, déposé chez son ami l'écrivain Jean Amrouche. L'historien Jean-Pierre Peyroulou, en une quinzaine de pages, résume très bien l'environnement de ce drame, et Pierre Amrouche signe une introduction sur les conditions au sujet desquelles le manuscrit de Marcel Reggui a mis tant de temps avant d'être mis dans le domaine public.

La guerre de 1939-1945 avait exalté dans les deux éléments de la population guelmoise des sentiments contradictoires. Chez les Français, la volonté de s'affirmer et de maintenir coûte que coûte une supériorité matérielle qui n'était plus aussi tangible que par le passé ; chez les musulmans, la surprise de constater concrètement la défaillance de la France, une première fois devant la ruée allemande, une seconde fois avec l'aide massive des Anglo-Saxons, et le désir naturel de réclamer une égalité effective des droits promise après l'autre guerre et chaque fois différée.

Pour un Européen ou une Européenne, se mettre à table à côté d'un musulman ou danser avec lui, fût-il votre ami, ne se concevait même pas (il faut avouer, d'autre part, que danser avec une musulmane n'était pas plus concevable pour des raisons inverses). Devant cet ostracisme racial, les musulmans de Guelma répondirent par un repliement volontaire sur eux-mêmes, à mesure qu'ils prenaient conscience de leur propre valeur. En même temps, par une simplification injuste, ils identifièrent les "Français d'Algérie" à la France. Par leur ignorance politique, leur sympathie pour l'étranger anglo-saxon, et par leur jactance, ils ont prêté le flanc à la répression.

 Cette maladresse tactique et la trahison des démocrates ont permis au sous-préfet André Achiary d'élargir sans crainte le champ de ses décisions qui furent contraires même aux ordres reçus de ses supérieurs.

Marcel Reggui estime enfin que la faute majeure des musulmans est d'avoir surestimé leur puissance en fonction des joutes oratoires contre les méthodes colonialistes où ils excellent (du genre :"La France est perdue, ne payons pas l'impôt à la France, nous le paierons aux Allemands"), ce qui a grisé soudainement et exaspéré les Européens. Pour les Européens de Guelma, c'est encore plus simple : dans leur ensemble ils n'aiment pas les musulmans.

Quel a été le déroulement des faits ?
- En mars 1945, 40 jeunes conscrits entonnent des chants nationalistes qui flanquent la frousse aux 4 000 Européens.
- Le 1 mai, un cortège de 2 500 manifestants défile dans la ville : le sous-préfet Achiary obtient assez facilement sa dispersion.
- Une manifestation nationaliste est prévue pour le 8 mai, mais sans drapeaux, parallèlement à la commémoration de la fin de la guerre. Les Amis du Manifeste, devant le risque de dérapage, décident de ne pas participer au cortège. Mais pendant la réunion de la veille, un homme - un total inconnu, illuminé ? infiltré ? ou le représentant d'un mouvement subversif ultra-clandestin ? - les rabroue en les traitant de lâches. Loin de sentir le danger de cette provocation, même si ils donnent le contre-ordre, ils se désintéressent de son exécution. Le lendemain, ils resteront assis aux tables d'un café, alors qu'un cortège d'environ 2 000 personnes défile dans Guelma et qu'environ 400 paysans "étrangers" du bled font route vers Guelma. Cette manifestation n'est donc pas encadrée, mais elle est conduite par des jeunes vraisemblablement remontés à fond par le personnage de la veille.

Achiary, prévenu des événements de Sétif, qui sont plus graves, veut arrêter le cortège, accompagné d'un service d'ordre insuffisant. Il est bousculé, tire en l'air pour se dégager, les gendarmes tirent en l'air et provoquent le reflux des manifestants. Cependant de quelques maisons européennes partent des tirs. Pour le moment, rien d'irrémédiable ne s'est produit. Le jour suivant, Achiary "pète les plombs".

Il convient alors de faire une digression sur la grandeur et la servitude d'un responsable du maintien de l'ordre. D'un côté, s'il paraît hésitant, il encourage les manifestations qui tournent à l'émeute. Si, en revanche il fait réprimer, les exécutants risquent de commettre des acte irréparables qui conduisent à la révolte, puis à la révolution. Un grand sang-froid et une bonne évaluation de la situation sont absolument nécessaires. Il faut donc un responsable prêt à toute éventualité afin d'éviter le pire avant qu'il ne se produise. C'est extrêmement difficile et certainement pas à la portée du premier sous-préfet venu.

Mais alors, qui était André Achiary ? (Curieusement, c'est par défaut qu'il aura pris le poste de sous-préfet à Guelma)

D'après Wikipedia : Né le 10 juillet 1909 à Tarbes, mort à Madrid en novembre 1983. Passé par les jeunesses socialistes, il devient commissaire de police à Alger et recourt à la torture en particulier dans la répression des communistes entre 1940 et 1942. Il participe à l'opération d'accueil du débarquement allié en novembre 1942, devient officier du SDECE puis sous-préfet de Guelma (Département de Constantine, Algérie). En mai-juin 1945, il conduit les massacres de Guelma. Il organise les manifestations et les attentats des « ultras » de l'Algérie française (1955-1956) avant son expulsion d'Algérie par le ministre-résidant Robert Lacoste.


Pour ses compagnons dans le secret de la Résistance, il paraît « un petit bonhomme râblé, rageur, au visage intelligent et vif, sympathique et qui accueille les bras ouverts tous ceux qui parlent de faire quelque chose ». Rapidement violent, il est un opiomane avéré, ce qui est facile dans les colonies. En novembre 1943, De Gaulle le décore de la médaille de la Résistance. En 1944, il est détaché à la Direction générale des services spéciaux comme conseiller de Jacques Soustelle, et débarque en France avec le 1er Régiment de Choc. Le 22 mars 1945, il prend les fonctions de sous-préfet de Guelma, nommé par le gouverneur socialiste d'Algérie Yves Chataigneau, qui lui donne ainsi l'occasion d'accéder à la carrière préfectorale. Très vite pris en main par le colonat, qui est inquiet de voir arriver un sous-préfet issu de la Résistance, et parlant couramment l'arabe et le kabyle, il cède rapidement aux pressions qui pèsent sur lui. Sous la hantise d'une insurrection arabe et croyant au complot, il est persuadé que les nationalistes du Parti du Peuple algérien (PPA) sont prêts au soulèvement, s'ils ne sont des agents hitlériens, ce que disent aussi les communistes. Il est décoré en janvier 1946 de la Légion d'honneur, au titre de la Résistance. En avril 1946, le gouverneur Chataigneau le prend à ses côtés comme secrétaire aux Affaires économiques.


Il est nommé en 1947 secrétaire général du préfet de la Manche, poste peu éloigné de Paris qui annonce pour lui une belle carrière préfectorale. Toutefois, au bout de deux mois, il rentre à Alger où il devient entrepreneur de travaux publics (il obtient notamment le contrat de construction de l'immeuble de la Sécurité sociale à Alger, une affaire juteuse).

Lié dès 1955 aux partisans de l'Algérie française, dont Mario Faivre et Jean-Baptiste Biaggi, il compte parmi les organisateurs de la manifestation contre la conférence d'Albert Camus sur la trêve civile, et plus encore de la mise en scène des adieux de Jacques Soustelle et de la « journée des tomates » qui fait reculer le président du Conseil français, le socialiste Guy Mollet, à Alger le 6 février 1956.

Avec des membres de l'Union française nord-africaine, créée par Robert Martel, il monte l'attentat à la bombe de la rue de Thèbes dans la Casbah d'Alger, le 10 août 1956, qui fait 73 victimes et marque un tournant tragique dans la guerre d'Algérie, levant les derniers scrupules de Larbi Ben M'Hidi, qui décide de porter le terrorisme au cœur de la ville européenne d'Alger, marquant ainsi le prélude de la « bataille d'Alger ».

Expulsé par le ministre-résidant Robert Lacoste, il s'ennuie en France, et se retire chez sa fille, mariée à un footballeur du Real Madrid. Il vivote et meurt à Madrid en novembre 1983 d'un cancer de la gorge.

Ferhat Abbas dans son livre "Autopsie d'une guerre" raconte : "Achiary connaissait le Gouverneur général Soustelle, ayant appartenu, en 1942, au service du contre-espionnage. Depuis, il était devenu surtout un agent électoral au service des ultras. A ce titre, il connaissait le "milieu" de la Casbah. Il avait fait des repris de justice ses hommes de main.

 
C'est ce monde qu'il utilisera pour tenter de noyauter le FLN et empêcher Albert Camus de tenir sa conférence. Les défenseurs du régime colonial, comme des rats, prenaient le chemin des égouts pour empoisonner l'atmosphère et intoxiquer l'opinion publique."

Le dernier intoxiqué par Achiary - à titre posthume - sera l'auteur de la pétition contre la caravane Albert Camus en 2010.


Maintenant, d'après nos propres sources :

André Achiary était commissaire de police en 1942. Non seulement il était au courant du mouvement de résistance des Algérois qui voulaient aider le débarquement des forces alliées, mais il n'en avait rien dit à ses supérieurs hiérarchiques qui étaient vichyssois. Il faut reconnaître que son silence a été providentiel. Il faut dire aussi que la police "française" arrêtait, torturait tous les opposants au gouvernement de Vichy. Jacques Zermati, qui avait été arrêté à Sétif sur la foi d'une dénonciation anonyme, et torturé à la gégène, n'avait du la vie sauve qu'à l'intervention d'Achiary, qui était alors à Sétif, et qui avait été mis au courant de l'arrestation.

En outre, lors du complot pour exécuter Darlan, et pour lequel Fernand Bonnier de la Chapelle, un jeune étudiant, avait été tiré au sort par les conjurés pour faire le travail, Achiary était chargé de le faire évader. Or arrêté, Bonnier de la Chapelle fut jugé de manière étrangement expéditive, condamné à mort et exécuté. Surpris, Achiary ne put rien faire. Bonnier de La Chapelle fut réhabilité le 21 décembre 1945 par un arrêt de la Chambre des révisions de la Cour d’appel d’Alger, qui jugea qu'il avait agi « dans l’intérêt de la libération de la France ».

En raison des services exceptionnels rendus pour la libération de l'Algérie, mais peut-être aussi pour éloigner du pouvoir quelqu'un qui en savait trop, Achiari sera muté à Guelma en tant que sous-Préfet.

Voilà peut-être l'explication de la notification faite au général Tubert par le Gouverneur Général de ne pas poursuivre son enquête à Guelma sur les massacres du Constantinois, pour éviter qu'en retour Achiary ne dévoile des secrets d'État ? Mieux, Achiary sera décoré de la Légion d'Honneur en 1946 (!)
 
Reprenons l'histoire de Marcel Reggui :

 
- 8 mai au soir : le couvre-feu est établi. Les "Amis du Manifeste" sont arrêtés. Pour le moment rien d'irrémédiable ne s'est encore produit.
- 9 mai : des civils européens viennent prendre des fusils à la caserne et les déposent à la gendarmerie, pour un usage ultérieur (?). La rumeur se répand que des milliers de paysans encerclent la ville et que des bandes de criminels "étrangers" se répandent dans le bled.

Achiary menace : (D'après son "expérience", il fallait un exemple terrifiant) "J'irai jusqu'à 2 000 ou 3 000 victimes". Menace ou intox ?

Dans cette atmosphère délétère, à Guelma, de très nombreux gestes de musulmans font qu'aucun Européen n'est molesté. Pourtant le Sous-préfet autorise la création d'une milice pour pallier les faibles effectifs à sa disposition.


Dans le bled, c'est différent. Il faut alors se reporter au livre de Maurice Villard "les massacres du 8 mai 1945" qui contient les témoignages des survivants des massacres commis par des fous furieux, et qui ont fait officiellement dans l'arrondissement de Guelma 13 tués, 4 blessés et 2 femmes violées. Si le discours d'Adrien Tixier, ministre de l'intérieur, qui y est annexé, n'apparait pas très crédible, car essentiellement livresque comme on le verra par la suite, et si les relations générales sont à prendre "avec des pincettes", les témoignages individuels, eux, sont à prendre en considération, car ils s'appliquent à des faits précis, qui auraient pu être mis à la disposition de la Justice. Ce sont d'ailleurs ces faits qui ont été le facteur déterminant de la répression.

Quoiqu'il en soit, à partir du 10 mai et surtout du 14 mai jusque vers le 25 juin, quand tout est fini, la police et surtout la milice se livrent à des massacres de droit commun. Achiary fait fusiller 11 "Amis du Manifeste", pour appliquer la loi du talion, et réclame seul la paternité de cette décision. M.Lestrade-Carbonnel (dont la difficulté de retrouver le prénom sur internet montre que beaucoup d'auteurs ont fait du copier/coller peut-être apocryphe), préfet de Constantine, à moins que ce ne soit le général Duval, serait venu à la rescousse "Quelques que soient les bêtises que vous commettrez, je les couvrirai. Messieurs, vengez-vous". Il y aura de 500 à 700 victimes, au hasard des vengeances personnelles. Il faut noter que le décompte exact du nombre de victimes "indigènes" n'est pas une spécialité propre à l'Algérie (qu'elle soit française ou algérienne).

L'affaire vient aux oreilles du gouvernement, qui envoie enquêter le général de gendarmerie Paul Tubert. Celui-ci espère faire une enquête approfondie. Sa commission (Tubert, membre de l'Assemblée consultative, président de la commission, l'avocat général Labatut chef du service musulman du Parquet général, le cadi Taleb Choaib, commandeur de la Légion d'honneur) se forme le 19 mai, elle est à Alger le 24. Elle part pour Sétif le 25, mais au moment d'aller à Guelma, elle rentre le 26 par ordre supérieur du gouverneur général de l'Algérie. Et voilà ! Dans son rapport, maintenant de pure forme, la commission préconise 15 mesures de bon sens, qui ne seront jamais appliquées (mais la crainte de cette commission fera quand même cesser la répression). Le rapport est adressé à l'attention de Yves Chataigneau, gouverneur général, et remis le 11 juin 45. Le ministre Tixier, interpellé par M. Aboulker le 10 juillet, choisit de confier l'affaire au Tribunal militaire de Constantine, estimé plus "capable" que la justice civile. En vain. Au printemps 1946 ce tribunal est dessaisi au profit de la justice civile qui ne fera rien jusqu'en 1954.

Faisons un rêve : si l'État de droit avait fonctionné en 1945, la guerre d'Algérie n'aurait peut-être pas eu lieu, avec toutes ses conséquences passées et à venir ... Mais la France, au sortir de la deuxième guerre mondiale, avait d'autres chats à fouetter... !

Maintenant, tellement d'auteurs ont juré dur comme fer que leur version de cette affaire était la bonne que nous n'oserons pas les imiter. Mais l'histoire appartient à ceux qui la font et non à ceux qui l'écrivent ou la décrivent.


En tout cas le sinistre individu qui a mis le feu à Guelma en prêchant le djihad contre les Européens ne s'est jamais manifesté à notre connaissance, ni à celle des autres.