LES VOLEURS DE REVES
Modification 1 : 28 mars 2013
En faisant l'analyse du livre de Bachir Hadjadj "Les voleurs de rêves" - Albin Michel, c'est un peu de la concurrence à Jean Lacouture qui a préfacé ce livre. Mais nous avons plus de place que lui pour ce faire : nous lui laissons le choix de armes, mais nous gardons le choix des distances !
Cent cinquante ans d'histoire d'une famille algérienne ne se résument pas sans risque de passer à côté des non-dits, surtout quand la tradition est orale. Nous allons essayer de transformer tout cela en une succession de tableaux pour rythmer les temps forts. Honni soit qui mal y pense, il y a encore des quantités de pages à découvrir.
Tableau 1 - Les criquets pélerins
Une grande famille semi-nomade, les Mérachdas, possède des centaines de chameaux, des milliers de moutons. En quelques minutes, une pluie de criquets s'abat sur les pâturages. Les animaux vont mourir de faim ( à qui les vendre ? ) ; le clan, qui n'a pas d'autre corde à son arc, est ruiné et doit, avec beaucoup d'autres, émigrer vers le nord.
Tableau 2 - Les Turcs
Ce nord, où tous les ans les Turcs viennent lever l'impôt. La famille, pas trop riche, doit nourrir l'officier. Au menu : coucous poulet. Le gamin de 5 ans ne cesse de pleurer que jusqu'au moment où sa mère lui donne un morceau de pilon. Réaction du Turc : d'un coup de sabre, il coupe la jambe du petit en disant "C'est ce qui me manquait du poulet, n'est-ce pas ? Je reprends ce qui m'est dû". Tous les Turcs sont tués par le clan dans la nuit. La répression sera terrible.
Le colonialisme turc a duré des siècles, aucune repentance ne leur a été demandée, car il n'y avait pas de chroniqueurs arabes à cette époque.
Tableau 3 - Vie à l'ancienne
Servi par une mémoire prodigieuse, l'ancêtre Saad, à 10 ans, ne met que 2 ans pour apprendre la moitié du Coran. Et son père Séghir peut sans problème répudier Theldja, simplement en disant par 3 fois, sans aucun signe de colère, comme il se doit : " Tu es haram, tu es haram, tu es haram !" ( Répudiée, et toc ! ). Mais il battait souvent sa nouvelle femme. Etait-ce le bon temps ? Les Français arrivent en force, dépossèdent le clan des terres collectives "arch". Saad, devenu taleb décide de chasser l'Infidèle, mais recule devant l'immensité de la tâche.
Tableau 4 - Les "bienfaits" de la colonisation
Le voyage de Saad à la Mecque dure 3 ans. A son retour, l'Algérie est "pacifiée": plus question de tuer un kouloun = colon. L'administration est sollicitée pour dresser la liste des infractions propres à l'indigénat. Vingt sept sont retenues, qui n'étaient pas délictueuses au regard du droit français, mais qui l'étaient pour les Arabes de la colonie. Pour son second voyage à la Mecque, Saad doit demander l'autorisation à l'administration, mais il remarque l'essor économique de l'Algérie, alors que les pays voisins n'ont pas évolué. A son retour, les officiers d'état civil dotent bessif = par force sa famille du patronyme "Hadjadj" !
Tableau 5 - le Bien Heureux
Le fils Saïd, "le bien heureux", se marie avec une fille de son choix et va habiter seul avec sa femme : le clan n'est pas d'accord. Ils vécurent heureux, jusqu'au moment où sa femme meurt en couches. Saïd reste inconsolable... "Mais la rumeur allait jusqu'à prétendre qu'il s'était marié une dizaine de fois, ce qui était certainement exagéré... Avec le temps, dit-on, plus aucune famille ne voulait donner sa fille à un tel personnage."
Un jour il apprend qu'il avait été choisi pour représenter la région de Sétif à l'exposition coloniale de Marseille de 1906. Il y comprend la barrière de la langue et l'avancée de l'économie française : "Il ne put réprimer un sentiment de découragement et de dépit à l'égard des siens. Jamais, pensa-t-il, nous n'arriverons un jour à un tel niveau."
Saïd emménage en 1910 à Sétif, à côté du cimetière franciss = français.
Tableau 6 - La langue des Kouffar ( les infidèles )
Le fils Brahim va à l'école française, son père Saïd ayant adopté le principe : "l'école coranique pour Là-haut, l'école française pour ici-bas". Brahim devient écrivain public. Suite à une bagarre, seul contre trois, il s'enfuit et s'engouffre au plus pressé dans un bâtiment public.
- "Que veux-tu, toi ? lui demande l'officier de service à la caserne, ( car c'était une caserne ).
- Je suis venu m'engager pour la France, répond-il, pris de court."
Et c'est ainsi qu'il part à la guerre avec le troisième régiment de marche de tirailleurs algériens, les "turcos". Retour de permission, à son grand père :
- "Oui, nos petits soldats basanés se battent comme des lions, et ils font honneur à la race des Arabes, à tel point que c'est eux que l'on envoie lorsqu'il y a une position difficile à prendre."
Et le grand père de répondre :
- La France, tôt ou tard, finira un jour par quitter le pays. Promets-moi que ce jour-là tu viendras à la tête de ma tombe, tu m'appelleras distinctement à haute voix : "Saad, fils de Theldja", et tu me diras par trois fois : "La France est partie ! La France est partie ! La France est partie !" Où que je sois, je t'entendrai."
26 000 des 45 000 jeunes Algériens engagés meurent. A la tribune du Parlement français, un député s'écrie : "Ils se sont élevés à la dignité supérieure de sauveurs de la patrie. Nous devons à nous-mêmes de les élever à la dignité de citoyens français." Paroles, paroles, paroles ...
Tableau 7 - Le caïd et les premiers voleurs de rêve
Un métier valorisant, des émoluments confortables, et une certaine considération. C'est une récompense de ses états de service. "C'était donc tout réfléchi, et il décida de postuler". De son poste de caïd, il a une vue imprenable sur les mécanismes du système colonial. Intelligent et travailleur, il prend de l'influence et trois femmes qui lui font 18 enfants ( dont une demi-douzaine morts en bas âge ).
En 1930, il reçoit un gros livre à belle reliure noire et or : "1830-1930 Le Centenaire de l'Algérie française". Les enfants des écoles chantent : "Algérie, ô pays de rêve, de lumière et d'enchantement !" " Les Arabes affichent leur indifférence : qu'avaient-ils à fêter ? Avec la France, aucun rêve n'était plus possible ... Leur nouveau rêve : l'indépendance."
Et pourtant disent les anciens, les Français ont transformé ce pays en paradis par rapport à ce qu'il était auparavant. Ils l'ont couvert de routes, d'écoles, d'hôpitaux... Ils ont apporté le pain et la paix, ils respectent l'islam. Que voulez-vous de plus ? Et avec quoi voulez-vous vous battre, vous n'êtes pas capables de fabriquer des allumettes ... ?
Et les jeunes de répondre :
- "Je m'en fiche qu'ils aient transformé ce pays en paradis pour eux, ils ne l'ont pas fait pour moi ! Mes enfants ne savent ni lire, ni écrire, tu as vu dans quel taudis habite ta fille ? Oui, il faut que cela change ! Mieux vaut arrêter ici cette discussion."
Cela se passait à la fin des années 30.
Tableau 8 - Fin d'une guerre et début d'une autre
Les troupes américaines débarquent. "Dans cette période de pénurie, tout le monde se livrait plus ou moins au marché noir, et les soldats payaient les petits services qu'on leur rendait en paquets de cigarettes, en boîtes de conserve, en biscuits. C'était un événement extraordinaire que de voir ces hommes venus d'un pays mythique ( les "tchounis" = les Johnnies ) se mélanger sans préjugés à la population : la cité en était toute retournée."
"Le 8 mai, des manifestations avaient été préparées pour fêter la signature de l'armistice qui mettait fin à la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement nationaliste organisa son propre défilé sous ses propres mots d'ordre : sa démonstration tourna à l'émeute, puis à l'insurrection. Une trentaine d'Européens furent abattus, à Sétif et dans les localités alentour ..." ( Ici, force est de rétablir la vérité : il y a eu très précisément au moins 102 victimes, civiles et militaires, et 110 blessés graves, dans des conditions atroces, dans 12 communes - source : État-major du 19ème corps d'armée - et, a-t-on dit, 800 musulmans pro-français, mais sans preuves. De l'autre côté, la répression a fait - dans des conditions totalement illégales et tout aussi atroces - peut-être 5 000 ou bien 10 000 victimes, ou autre ..., sans preuves ni sans recherches de preuves. De son côté, le FLN a estimé, sans preuves, le nombre à 45 000, qui est passé en 2009 à 60 000, puis à 90 000, et 150 000 même pour certains, toujours évidemment sans preuves. La vérité est déjà assez triste, à quoi bon en rajouter ? ).
Les voisines européennes et musulmanes s'entraident pour échapper aux exactions des fous-furieux des deux bords. Enfin des membres de la famille qui avaient été arrêtés sont relâchés quelques semaines plus tard.
Tableau 9 - Intégration ou pas intégration, là est la question
L'auteur, Bachir, fréquente l'école primaire "européenne" , avec "un délicieux bonheur". "Nous aimions nos maîtres et je suis sûr qu'ils nous aimaient beaucoup. je commençais à prendre conscience de ce que m'apportait l'école et dont mes camarades ou cousins qui n'y allaient pas n'avaient pas idée", mais " On ne me parlait que de la France lointaine et presque mythique, et jamais de l'Algérie où je vivais."
Mais les réactions familiales sont significatives :
Côté musulman : "ma société faisait la guerre à toute velléité de rapprochement entre les deux sexes, qu'elle jugeait coupable quel que soit notre âge - même à dix ans ! "Ya khléya, hbelti ! = Ma ruine, tu es devenue folle " s'écriait la mère à destination de sa fille dès que la distance réglementaire diminuait."
Côté européen : " Allez ! Rentre ! Laisse le petit Arabe tranquille, tu vois bien qu'il ne veut pas jouer avec toi ! ..." La fille partait à contrecœur. Pourtant, j'aurais bien voulu qu'elle reste jouer encore un peu avec moi ..."
Tableau 10 - Le savoir d'un père attentif et la tradition
Un jour, le père arrive avec un manuel de grammaire de 200 pages qu'il décrète "le plus grand monument de la langue française". Il faut l'apprendre "comme de l'eau", à raison de 2 pages par jour. Idem pour la grammaire arabe, l'Al Djaroumia. Ce père attentif explique aussi que dans le jeu d'échec l'annonce "Échec et mat" signifie en fait "Le roi est mort = El Cheikh mat". Ce jeu s'installe dans la vie familiale, mais bientôt 3 Maîtres émergent qui mettent en échec le chef de famille. Les mères font des signes discrets à leurs rejetons pour que le père ne perde pas la face ... Les filles quittent l'école quand elles sont en âge d'aller au lycée, pour des raisons pécuniaires, mais aussi parce qu'elles peuvent " avoir un métier ou gagner leur vie, mais dans un strict encadrement conjugal, c'est-à-dire avec l'accord de leur mari et sous sa tutelle, dans le plus grand respect de la tradition."
"Lorsque j'ai eu 11 ans, ma tante Zouina m'a averti : Tu es un homme maintenant. L'année prochaine, lorsque tu viendras, tu feras comme les hommes ! tu crieras : "Tri ...i...k" (mot annoncé par les hommes à haute voix, pour qu'à leur passage les femmes se soustraient à leur vue).
Tableau 11 - L'ouverture des yeux sur la lumière
Le père était obsédé par la réussite dans la maîtrise de la langue française. Pour autant, il n'élevait pas ses enfants dans l'amour de la France, même s'il était décoré de la Légion d'Honneur. L'héritage qu'il voulait communiquer était d'affranchir ses enfants des lourdes contraintes que faisait peser sur l'homme algérien l'esprit tribal qui dominait la société, le clan et la famille. Sa femme Fatima l'embrassa sur l'œil, signe de grande considération, pour le remercier d'avoir pris une telle décision : "Tu viens de faire ce que peu d'hommes ont fait : accepter de se serrer la ceinture au profit de leur instruction."
Examens : "Nous avons présenté les épreuves. Et, quelques semaines après, nous avons été déclarés reçus !" C'était au mois d'octobre 1949.
Le père redouble d'attentions, il enseigne à ses fils comment manier la fourchette, nouer sa cravate, en prévision de l'internat, est féroce sur l'interprétation du carnet de note. A la mention "à peine passable" il s'écrie alors, furieux : "Et tu crois que ça suffit ! Tu es content de toi ?" Toute discussion devenait inutile.
Mais au fil des années, la discrimination négative devient visible de la part du surveillant général. Cela marque quand on a 14 ans : "notre monde était le monde des dominés ; nous vivions dans notre citadelle ... nous étions musulmans et entre nous nous vivions dans une Oumma régie par les lois de l'islam ...". Et cet aveu à propos de l'histoire de France : "Je n'avais d'autre choix que d'accepter la description négative que l'on me faisait des Arabes et de leur histoire. Même si quelque part, au fond de moi-même, je persistais à penser qu'à Roncevaux, c'était moi le Sarrasin vainqueur de Roland ... À cette époque la civilisation arabe était brillante et d'une dimension planétaire." ( Mais quel drame a-t-il donc provoqué l'éclipse de cette civilisation ? La parole est aux Arabes ... )
Tableau 12 - Alea jacta est : les rêves de liberté, d'égalité et de fraternité s'envolent
La "boulitique" prend le dessus. L'attentat contre un caïd et des enseignants innocents donne lieu à des commentaires contradictoires. Au sujet de l'indépendance, l'immense majorité des Algériens approuve cette idée : "Oui, mais attendons pour voir ! ..." Quant à une voisine, elle se met à lancer des youyous en s'écriant : "Merci la France ! " lorsqu'elle apprend l'instauration du couvre-feu - son mari allait être obligé de rentrer à la maison tôt tous les soirs ...
La première grenade lancée à Sétif l'est à l'intérieur d'un bar qui s'appelle "Chez Yvonne", au centre ville. Les femmes d'officiers font leurs emplettes dans la ville. On sait qu'elles viennent de France, parce qu'elles demandent "pardon" avec un sourire lorsqu'elles se trouvent prises dans une cohue au marché. La routine ...
Il a bien fallu deux ans pour que ce qui était étincelles devienne brasier inextinguible. Toute critique vis à vis du FLN était impossible, du fait, d'abord de la clandestinité qui rendait les contacts et les débats difficiles, et ensuite parce que ces critiques risquaient d'affaiblir le front de lutte. Avec tout l'emprise de la propagande : "Si l'on additionnait chaque jour le nombre de soldats français tués, l'armée française en Algérie était en passe d'être totalement anéantie en trois mois. Mais nous avions notre propre grille d'évaluation des pertes militaires : on divisait par cinq les chiffres donnés par la presse européenne locale pour les rebelles tués au combat et par cinq aussi le nombre de soldats français tués donné par Radio Le Caire."
Tableau 13 - La tourmente
Le ton lyrique et guerrier des étudiants pose problème. Quand l'euphorie tombe, on n'entend plus parler de ceux qui avaient appelé à la grève. Autre problème : le service militaire est obligatoire. D'autre part, pour aller au maquis, il faut tuer quelqu'un pour bien prouver qu'on n'est pas infiltré. Réponse du "frère" : "Il faut savoir ce que tu veux". Bachir opte pour le service militaire, et est bombardé chasseur alpin. Il doit suivre des cours de baskoulougi = psychologie. En raison de ses connaissances en français, il devient caporal. A l'automne 1958, il est envoyé en Algérie et il sert comme infirmier chargé de soigner les blessés, les malades et de délivrer les autorisations de ravitaillement.
Scène A : "Le petit groupe s'arrêta sous un arbre : la séance allait commencer ... Chacun des hommes réunis sur la place allait passer lentement devant l'homme à la cagoule ... et dans une heure, un hélicoptère viendrait survoler le village et prendre livraison de ceux qu'il aurait reconnus et dénoncés."
Scène B : "Alors les moudjahidin, le considérant comme rallié étaient venus égorger toute sa famille, promettant qu'ils reviendraient le tuer à son tour. Il n'avait pas attendu : il était venu se mettre sous la protection de l'armée avec ceux des siens qui lui restaient."
Réaction de l'auteur : "Égorger quelqu'un de sang-froid : je rejetais totalement cette éventualité ; je ne sais pas, je ne peux pas, je ne veux pas ; j'en suis absolument incapable. Au fond, c'est peut-être cela de manquer de détermination, ou simplement être lâche" ( Non, cher Monsieur, c'est de l'humanisme ).
La position de son père est difficile : en tant que caïd, il a certainement dû être approché par le FLN et payer l'impôt ( pour rester en vie ).
Fait divers : Gabrielle, une camarade juive est mortellement brûlée dans une attentat. "Nous avons discuté en classe de l'idée d'envoyer une délégation auprès de ses parents pour leur exprimer la compassion de ses camarades : Gabrielle était une victime innocente, elle n'était pas visée, mais une telle initiative risquait d'apparaître comme une condamnation de cette action du FLN. Aussi Gabrielle, notre camarade juive a été enterrée sans que ses camarades arabes lui rendent un dernier hommage". ( Pour lors, oui, c'était de la lâcheté ).
Bachir termine ses études en France. Au début de 1961, il répond favorablement à un appel pour rejoindre les rangs de l'ALN. De Grenoble, via la Suisse et l'Allemagne, il arrive en Tunisie. Première réaction : "Cette démarche d'immersion totale au sein du creuset de l'ALN avait la forme d'un retour aux sources, certes, mais elle s'apparentait quelque part aussi à un lessivage préalable de cerveau." Ensuite la visite du commandant Slimane pose le problème des cadres de l'après-indépendance, il s'aligne sur les positions "officielles" de l'institution à laquelle son sort est désormais lié : l'ALN. Il assiste à l'assassinat d'un messaliste condamné par un tribunal militaire : "Celui de nos camarades de section qui avait été désigné pour cette terrible besogne resta sans manger et sans dormir plusieurs jours. Une chose était sûre : aucun de nous n'aurait voulu être à sa place."
Il est envoyé en patrouille sur le barrage, sous une pluie battante, dans la nuit, dans l'attente du coup de projecteur qui déclenchera une pluie mortelle de projectiles. Il est indemne. Pendant ce temps, la lutte pour la prise du pouvoir en Algérie s'intensifie. Le séjour de Bachir sur les frontières aura duré 18 mois.
Tableau 14 - L'indépendance
Le désordre s'installe. Les Européens, terrorisés, quittent l'Algérie. "Les Harkis, que l'Armée française empêchait, sur ordre, d'embarquer dans les bateaux en partance pour la France payèrent, eux, au prix fort les services qu'ils avaient rendus, pourtant souvent contraints et forcés, à l'armée française : des milliers d'entre eux, peut-être davantage, pourtant protégés par les accords d'Évian furent exécutés alors qu'ils étaient désarmés." ( Il eut plutôt fallu parler de dizaines de milliers, assassinés dans des conditions horribles. Pas plus que les victimes des massacres de mai 1945 leur nombre ne sera connu. L'estimation française la plus "raisonnable" est de l'ordre de 60 000. Du côté algérien, il n'y a pas d'estimation, on se demande pourquoi ? ).
Tableau 15 - Les voleurs de rêves et l'avenir radieux
L'indépendance acquise, un immense élan pousse la population à planter des arbres, à s'installer dans les appartements inoccupés des pieds-noirs et à organiser des kolkhoses. Bachir, quant à lui, rencontre une roumia, enseignante d'anglais dans le cadre de la coopération technique. "Mademoiselle, si vous êtes toujours d'accord, j'envisage de venir à Rennes pour informer vos parents que je veux vous épouser." Sans attendre la réponse, il saute dans l'avion. Devinez la suite ! "Le prêtre, une fois contacté exigea un engagement écrit que les enfants nés du mariage soient baptisés et élevés dans la foi chrétienne, il annonça de plus qu'il n'y aurait pas de messe, mais seulement une inscription sur les registres" !
Le "Efélène" et les anciens moudjahidines occupent le haut du pavé. Bachir estime possible de vivre dans une société civile démocratique et populaire. Il retourne dans sa famille présenter son épouse. "J'ai annoncé, en plaisantant, que j'envisageais de prendre une seconde épouse.. Larem, ma plus jeune sœur, s'est adressée à ma femme assise à mes côtés :
- Qu'attends-tu pour lui arracher les yeux !"
1965 - Coup d'état militaire "classique". L'organisation étudiante, dans laquelle Bachir milite, proteste. Les agents de la Sécurité militaire dévastent son appartement. Tout semble rentrer dans l'ordre, apparent. Exemple : le secrétaire général du Efélène :
- Les Russes ont maîtrisé l'espace, les Américains ont marché sur la lune, eh bien, nous, les Algériens, nous avons décidé d'aller sur le soleil".
Et quand les scientifiques élèvent quelques doutes côté température :
- Je reconnais bien là les arguments misérables des intellectuels défaitistes. Mais nous, nous avons prévu d'aller sur le soleil lorsqu'il fait plus frais ... de nuit !
Finalement, madame Hadjadj a le mal du pays. Il est vrai que la pénurie alimentaire progresse, avec le socialisme, à marche forcée. Pénurie de tout. Pour sauver leur fille d'une mort certaine, Bachir est prêt à agresser l'infirmière de l'hôpital qui avait d'abord refusé de lui vendre le médicament salvateur.
Le Efélène se transforme en islamo-Efélène et en arabo-Efélène . "Les professeurs égyptiens se sont mis les mains devant les yeux - tout en écartant les doigts, pour ne rien perdre du spectacle des fillettes en short - en disant à haute voix : Ya Latif ! ... Ya Latif ! "( supplique à Dieu pour lui demander sa protection ). Et l'épouse de Bachir d'ajouter :
- Mes collègues algériennes les ont traités d'obsédés sexuels et d'arriérés mentaux. J'ai appris qu'il y avait même un professeur égyptien de littérature arabe qui exigeait que les filles du premier rang de sa classe mettent un linge ou un vêtement sur leurs genoux pour les cacher à son regard."
Finalement, Bachir apprend qu'il lui est interdit de quitter l'Algérie, qu'il est dangereux et interdit de passeport. Donc, ras le bol du Efélène. Pour les passeports, il apprend que la fiancée d'un ami a une filière, résultat non garanti. Coût : une voiture, la sienne. Huit jours plus tard, leur passeport en main, ils prennent le chemin de l'exil.
Devinez où ? En France. "Une fois l'Algérie libérée et devenue maîtresse de son destin, je n'avais plus aucun contentieux vis-à-vis de la France ou des Français. Bien au contraire, de la France, j'appréciais la langue et la culture et dans la société française, j'avais pris femme et en avais eu des enfants. De tout cela, j'étais heureux. Restait l'amertume de l'échec ... On m'a volé mes rêves."
Tableau d'honneur - Moralité de cette saga
Nous approuvons totalement Jean Lacouture en ceci : "L'extraordinaire intérêt du livre de Bachir Hadjadj réside dans la sincérité du ton, dans l'intrépidité du témoignage ... Le fait est que cette Algérie "à livre ouvert" a quelque chose d'envoûtant."
Mais que dire à tous ces autres Algériens et Algériennes qui rêvent de venir en France ? Faut-il leur voler leur rêve ?
Vous pouvez aussi consulter :
http://www.bachir-hadjadj.org