FRATERNISATION DE MAI 1958
Modification 1 : 28 mars 2013
Au mois de mai fleurit la rose ... et rose elle n’a duré que ce que durent les roses. Avec l’aide de Bourvil et de Ronsard, voici comment qualifier la fraternisation de mai 1958 à Alger. Un moment extraordinaire, totalement imprévu, que ce soit par les autorités française que par les nationalistes algériens.
On croit connaître les circonstances : la foule européenne, massée sur le Forum, devant le Gouvernement Général, ovationne les orateurs qui, au balcon, font applaudir untel et untel. Et de manière incompréhensible, on voit déboucher une déferlante de musulmans du bled par villages constitués, à laquelle fait place la foule déjà présente. Des mauvaises langues ont pu dire que tout cela avait été organisé par les services d’action psychologique de l’armée. Ben voyons !
1 - Voici comment les choses ont commencé :
Le catalyseur a été Gérard Lambert d’Ortho. Le texte ci-dessus a été écrit par lui, à l’âge de 104 ans. Et il savait très bien ce qu’il faisait. Voici :
«Lors des journées du fameux 13 mai, alors que nous allions applaudir Soustelle et ... de Gaulle, le Colonel Argoud marchait en tête du défilé, suivi des chasseurs non armés, seuls les harkis conservaient leurs fusils.
M’apercevant, Argoud est sorti du rang, m’a salué du sabre et m’a embrassé. J’en ai encore la larme à l’œil d’émotion. Argoud avait appris que la veille, j’étais au premier rang du Forum avec mes hommes sans armes, et leurs femmes sans voiles ! Il m’attribuait l’initiative de la manifestation ! Peut-être, mais ça a été contagieux. Pas un incident grave, pas une grenade, et cela a duré plusieurs jours.»
Il est bien évident que le colonel Argoud (celui qui a été kidnappé à Munich en 1963 par les barbouzes du gouvernement français) a sauté sur l’occasion de donner naissance à une Algérie vraiment française. Et pendant plusieurs jours, le monde a assisté à un spectacle inoui (ou inadmissible, c'est selon). Pendant plusieurs jours, il n’y a pas eu d’attentats. Gérard d’Ortho nous a montré la courbe qu’il tenait à jour pour l’Algérois, et qui était tout à fait significative. Seuls subsistaient les actes de banditisme ordinaires. Puis la courbe est remontée. L’état de grâce pour une foule a une durée bien plus faible que pour un gouvernement.
Mais d’abord, qui était Gérard d’Ortho ? D’abord un ami, l’ami de tous ( sauf de quelques galonnés de l’armée coloniale qui voulaient le croire OAS !). Il était régisseur d’un domaine agricole en Tunisie, lorsqu’il y fut victime du premier attentat aveugle, ce qui l’incita à partir pour l’Algérie, où il géra le domaine de Sidi Salem, à quelques kilomètres de Maison Carrée. Ce domaine avait été mis en autodéfense, en antenne de la SAS de Fondouk. Il était adoré par son personnel, avec qui il a longuement correspondu par la suite (plus de 300 lettres). Il est resté sur place 19 mois après l’indépendance, sans que son personnel ne soit inquiété, grâce à l’appui d’anciens supplétifs de la gendarmerie, devenus gendarmes du FLN. Il a enfin été expulsé par les «Pieds Rouges» du président Ben Bella. «Aristidem expulerunt quod praeter modum justus esset» (Ils bannirent Aristide parce que par dessus tout il était juste ) juste = intègre.
Fervent croyant, il a passé sa retraite à venir en aide à «ses Arabes» comme lui disait son fils Christian.
2 - Pourquoi cela n’a été qu’un feu de paille ?
Il conviendrait de rapprocher ces journées de celle du 14 juillet 1790, fête de la Fédération, survenant un an après le bain de sang du 14 juillet 1789 - (C’est une révolte ? Non sire, c’est une révolution).
«Les députés et les délégués de tous les départements, les «Fédérés» forment un immense cortège qui traverse la Seine et gagne la vaste esplanade du Champ-de-Mars.
Dans les tribunes, sur les côtés de l’esplanade, on compte 260.000 Parisiens auxquels s’ajoutent une centaine de milliers de Fédérés, rangés sous les bannières de leur département.
La tribune royale est située à une extrémité du Champ-de-Mars, sous une haute tente. À l’autre extrémité, un arc de triomphe. Au centre de l’esplanade, Talleyrand, évêque d’Autun (qui ne se cache pas d’être athée), célèbre la messe sur l’autel de la patrie, entouré de 300 prêtres en surplis de cérémonie.
Ensuite vient la prestation de serment. La Fayette, commandant de la garde nationale, prononce celui-ci le premier, au nom des gardes nationales fédérées : «Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi et de protéger conformément aux lois la sûreté des personnes et des propriétés, la circulation des grains et des subsistances dans l’intérieur du royaume, la prescription des contributions publiques sous quelque forme qu’elle existe, et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité».
Après La Fayette, c’est au tour du président de l’Assemblée de prêter serment au nom des députés et des électeurs.
Enfin, le roi prête à son tour serment de fidélité aux lois nouvelles : «Moi, roi des Français, je jure d’employer le pouvoir qui m’est délégué par la loi constitutionnelle de l’État, à maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par moi et à faire exécuter les lois». La reine, se levant et montrant le Dauphin : «Voilà mon fils, il s’unit, ainsi que moi, aux mêmes sentiments».
Malgré la pluie qui clôture la journée, le public retourne ravi dans ses foyers.»
http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=17900714
Ce qui n’empêcha pas, quelques temps plus tard, l’Assemblée de voter avec une voix de majorité la mort de Louis XVI.
Talleyrand avait organisé à cette occasion une action de maître pour canaliser l'émotion populaire; il lui manquait un "sabre" : La Fayette traînait par là mais il était trop chevaleresque, pas assez calculateur ; il ne sut pas forcer le destin. Talleyrand, lui, après un effacement de quelques années, trouva enfin ce "sabre" en la personne du jeune général Napoléon Bonaparte : l'alliance éternelle du sabre et du goupillon.
En mai 1958, dans aucune des deux communautés algériennes (Pieds-noirs et "indigènes") il n'y eut de Talleyrand. Côté métropole, il n'y eut pas non plus de "sabre". Voilà pourquoi, mesdames et messieurs, quatre ans plus tard l'Algérie fut "indépendante" au lieu que d'être une démocratie souveraine.
Pour en finir sur un sourire avec l’histoire de la famille de Gérard Lambert d’Ortho, voici une anecdote «cornecul» qu’il nous a racontée :
L’ancêtre de Gérard était à Toulon, lorsque un jeune capitaine d’artillerie, Napoléon Bonaparte, fut appelé en renfort pour achever le siège de la ville, ce qu’il fit en quelques heures n’en déplaise aux officiers ignorants qui l’avaient précédé. Ce jeune officier corse en avait profité pour nouer un début d’idylle avec une de ses filles. Cette "initiative" avait vraiment mécontenté le père, qui voyait d’un très mauvais œil un garçon pauvre, et surtout pas noble, tenter de draguer sa fille. Et finalement, péremptoire : «D’abord, ce jeune capitaine n’a aucun avenir !»
Quelques jours plus tard, le jeune capitaine passait directement au grade de général !
Bonaparte n'avait pas tenu rigueur à son ex-futur beau-père et avait aidé la famille entière à s’enfuir vers Gibraltar pour échapper aux tracasseries des patriotes.