UN SIÈCLE DE PASSIONS ALGÉRIENNES


Extrait de Horace Vernet "Le parlementaire et le medjless" - Musée Condé - Chantilly

 

Création le 22 janvier 2010
Modification 1 : 28 mars 2013

Si vous voulez être effaré(e), il faut lire absolument le livre de Pierre Darmon, né à Oran : "Un siècle de passions algériennes" - Éditions Fayard - Effarement garanti sur un millier de pages.

Il s'agit au début de l'histoire d'un roi de France qui envoie ses meilleurs vandales "pacifier" un panier de crabes, en faveur - tous comptes faits - principalement d'Espagnols, d'Italiens, de Maltais, de Prussiens, etc., des travailleurs acharnés, mais tout ceci à prix d'or et de dizaines et de centaines de milliers de morts, que ce soit de maladie ou d'action violente. Quand on n'aime pas, on ne compte pas.

Ce livre, extrêmement bien documenté, fourmille de détails véridiques, évoqués avec un rare bonheur. Peut-être faudrait-il un petit résumé des chapitres précédents pour mieux comprendre l'acharnement réciproque. Le million d'esclaves blancs capturé par les Régences (la France, toutefois, avait été très épargnée grâce aux traités avec la Régence d'Alger et/ou la Sublime Porte), la Reconquista ... Ne parlons pas de la dizaine de millions d'esclaves "nègres" passés par pertes et surtout profits, même si les chiffres des compteurs s'affolent un peu. Comment fait-on pour compter ce genre de millions ? Enfin l'esclavage a été interdit en Algérie - mais mollement à cause de la protestation des Sahariens dont c'était le fonds de commerce - en 1843, suite à l'action préventive du dey de Tunis !

Donc le roi de France, à défaut de grande guerre, envoie ses généraux faire de la basse besogne pour tenter de mettre à la raison les tribus, les unes contre les autres. D'un côté, on coupe les mains, les oreilles le nez puis la tête, d'un autre on enfume, on fait mourir de froid et on affame, d'un troisième on rend hommage aux ennemis courageux, d'un quatrième, les Arabes, les Juifs et les Français spéculent à qui mieux mieux sur l'immobilier, le foncier et les malheureux. Du cinquième côté, on soigne les malades, voire ceux qui refusent d'être soignés, mais on transmet aussi les maladies sans le vouloir. Quant à l'armée française, elle est décimée tout autant par les maladies que par les yatagans des cavaliers de l'Émir Abd el-Kader.

On est effaré d'apprendre que la conjonction sécheresse + criquets pèlerins + choléra + typhus + famine de 1867/68 a fait infiniment plus de victimes parmi la population "indigène" que la guerre d'Algérie en 7 ans.

À part l'épisode, révélateur, du second Empire - on peut regretter que l'auteur ait traité "en coup de vent" le second voyage de 40 jours de l'Empereur en Algérie - on s'aperçoit que la troisième république a trouvé un truc : l'Algérie est française, mais pas les Algériens.

À partir de 1870, les Algériens (lire les Européens d'Algérie - plus Français que moi, tu meurs) déclenchent - en toute inconscience - le compte à rebours de l'éviction de leurs arrière-petits-enfants. Mai 1945 ressemble furieusement à mars 1871. Et Ferhat Abbas sera aussi bien écouté que Mokrani. A la fin du XIXème siècle, l'État de droit a cessé d'exister en Algérie. Les Européens accaparent les meilleures terres, "les affairistes affluent comme des sauterelles" (Alphonse Daudet). Même son de cloche chez Alexandre Dumas. Or les petits colons sont tout autant les victimes des affairistes.

En corrélation avec l'affaire Dreyfus, l'antisémitisme se déchaîne parmi certains Européens d'Algérie, avec complots, émeutes et ratonnades anti-juives à la clé ... jusqu'au moment où un vrai préfet applique la loi française.

Arrive la guerre de 14, la famine concomitante, les pertes - toutes communautés réunies - de 17% des soldats au front, la guerre sainte déclarée par les Turcs alliés des Allemands, l'assassinat de Charles de Foucault, par des senoussistes motivés par les Allemands et les Turcs, la germanophilie de certains "indigènes", et déjà des appels à l'indépendance. Mais la victoire française ainsi que la récolte abondante de 1918 arrangent bien des choses.

Et de nouveau la famine en 1920, l'inflation, l'insécurité qui grandit, vols de bétail, piraterie ferroviaire. Le jugement de Lyautey sur les réformes en trompe-l'œil est sans équivoque : " Je n'avais jamais constaté cette profondeur d'amertume, de découragement et de rancune... c'est une politique vraiment criminelle." Sans compter le boom de la natalité indigène, la migration vers les villes, la misère en Kabylie et ailleurs. En résumé, le mépris imbécile de ceux-ci des uns déclenchera l'intransigeance fanatique de ceux-là. Le mouvement Jeune Algérien, francophile, regroupe une bonne dizaine de milliers de membres, dont Ferhat Abbas ; il est en butte aux Oulémas, aux communistes, à l'administration et aux Européens d'Algérie. Le cheikh Ben Badis cherche à purifier l'islam, tandis que Messali Hadj s'affirme comme indépendantiste.

Seul de tous, le gouverneur Maurice Violette prend à cœur la condition des indigènes et adresse à Paris avertissements sur avertissements. En vain.

Une affaire très curieuse se produit en 1934 : le pogrom des Juifs par certains musulmans fanatisés de la région de Constantine, avec la - presque - complicité de l'administration et des "Européens antisémites" peut être interprété comme la répétition générale psychologique des événements de mai 1945, cette fois-là dirigés contre les Européens. D'ailleurs en 1935, un pogrom est évité de justesse à Sétif. 


Le projet Blum-Violette est torpillé. Et puis la justice se ridiculise en chargeant le cheikh Tayeb el Okbi d'un crime qu'il n'a pas commis... Il est également curieux de constater, par exemple que Sidi-Bel-Abbès devient un "véritable fief hitlérien dans l'Oranais". Des extrêmistes crient "Vive Hitler, à bas les Juifs", on peint volontiers la croix gammée sur des magasins, des autos... Des partisans de Messali Hadj prennent contact avec les Italiens, pour s'entendre dire que "la Tunisie et une partie du Constantinois reviendront à l'Italie, le reste du Constantinois ira à l'Allemagne, le département d'Alger restera sous souveraineté française, mais l'Oranie sera livrée à l'Espagne." Whow !

Pierre Darmon termine en ces termes "L'Algérie française est morte en 1940, mais personne n'en sait rien encore".

La quatrième République, sonnée par la défaite de 1940, reprendra les mêmes discours, sous l'influence des lobbies. Pour la cinquième, les jeux sont faits, rien ne va plus. Et pour la suite (après 1962), l'auteur, in fine, déclare page 859, que "le problème est donc réglé" !

Hélas ! Hélas ! Hélas ! Ferhat Abbas est emprisonné, Les harkis sont massacrés en nombre au mépris des "accords" d'Évian, les islamistes sont mécontents, manquent de détruire la Tour Eiffel et virent au terrorisme, le veau d'or est toujours debout, l'harraga ne fait que commencer, la demande de "repentance" est plus que jamais de rigueur ... Bénédiction du Ciel (ou malédiction ?) : les hydrocarbures coulent à flot, jusque dans les paradis fiscaux.


Enfin, page 860 : "Lors des troubles qui ont secoué les banlieues en 2005, les émeutiers disaient volontiers pour justifier les milliers de voitures qu'ils avaient incendiées "Après ce que la France nous a fait ..."." Mais alors, que diable venaient-ils faire dans cette galère ??? Pour aller jusqu'au bout du raisonnement, ceux des Français, hommes et femmes d'origine algérienne, seraient-ils si incapables que cela d'être Français à part entière ???

Si vous voulez être effaré(e) ...

Annexe - Quelques perles du bêtisier colonial :

• Saint-Arnaud : "Faire la guerre en Europe était un de mes rêves ... Tu ne sais pas quel élan sublime s'emparerait de la France et de l'armée si nous avions une guerre sérieuse et digne."
 

• Bugeaud : "Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, fumez-les à outrance." Ce que fit Pélissier, mais avec le renseignement du chef des Frachichs, (dont 700 étaient dans les dites cavernes) ; or celui-ci était mécontent que ses administrés l'aient renié, incendiant ses habitations, ses récoltes et enlevant ses troupeaux.
 

• Formule très prisée par certains vendeurs arabes dans un contrat de vente :" Un tel (le Maure) a vendu à l'infidèle ou au chien de chrétien, untel, que Dieu confonde avec toute sa race..." Il n'est pas rare que de telles propriétés n'existent que sur le papier et soient vendues à plusieurs acheteurs en même temps. Des Arabes ont même réussi à vendre un cimetière.
 

• Les Touaregs qui font office de grossistes se procurent des esclaves au cours de razzias ou en pratiquant le troc : un esclave contre une paire de babouches jaunes, une chéchia ou quinze coquillages blancs. Ils les livrent aux Touats en échange de burnous, de haïks et de tabac, lesquels etc...
 

• Bien des indigènes sont convaincus qu' "aucun musulman ne doit se laisser infiltrer dans le sang une goutte du sang d'un infidèle, surtout d'un Roumi."
 

• Parole de docteur :"C'est un fait acquis que la terre qui n'a pas été labourée et qui est mise en culture développe des émanations qui empoisonnent l'organisme humain et y déterminent un état morbide désignée sous le nom de fièvre paludéenne".
 

• Lutte contre le choléra : Pélissier se tourne vers l'abbé Suchet, vicaire général "Mais qu'est-ce que vous faites, monsieur l'abbé, vous dormez ? Foutez-moi une Vierge là-haut, sur la montagne. Elle se chargera de jeter le choléra à la mer."
 

• Reproche des Sahariens aux officiers français : "Vous avez tué notre commerce en interdisant le trafic des esclaves".
 

• "Les soldats chargés d'aller au marché acheter des légumes du régiment gardaient l'argent pour eux et escaladaient les murs des jardins pour se servir."
 

• Un conseiller général musulman : "Étant encore jeune homme, je perdis un procès devant le cadi, ce qui m'affecta beaucoup. Mon adversaire vint me trouver et me dit : - Pourquoi t'émouvoir ? J'avais donné cent francs de plus que toi! "

Et il y en a bien d'autres ... comme il a dit, lui !