LE MINISTRE DE LA MARINE ET DES COLONIES


Coup de Vent à Sidi Ferruch

 Création le 31 décembre 2009

Modification 2 le 28 mars 2013

Jusqu'alors, tout se passait comme d'habitude : dès qu'elles en avaient ras le bol de la piraterie et de l'esclavage pratiquée en toute bonne conscience par la Régence d'Alger, les puissances européennes et américaine envoyaient une escadre bombarder Alger en guise de protestation. Et ces escadres s'en retournaient. En 1819, on avait même vu une escadre franco-anglaise, du jamais vu !

Côté du seul débarquement, l'affaire avait mal tourné du temps de Charles Quint, dont les troupes avaient du rembarquer piteusement, officiellement parce que la pluie avait mouillé les cordes des arquebuses.

L'affaire avait beaucoup mieux tourné sous le Consulat : l'envoyé de Napoléon Bonaparte avait pris pied à Alger avec une toute petite escorte et avait signé un traité de paix avec Mustapha Pacha, avec en prime un traité de paix avec la Régence de Tunis et un troisième avec la Sublime Porte.


Alors pourquoi faire une expédition en masse ?
C'est que les Deys d'Alger s'étaient succédé et la dette française (livraison de blé aux armées de la République française) n'avait pas été soldée, en attente du règlement du contentieux des dettes du protectorat turco-algérien. Les chefs de l'armée française piaffait d'impatience, confinés dans l'inaction après l'épopée napoléonienne, et la Régence d'Alger, assise sur son trésor de rapines accumulées, se considérait inexpugnable, vu l'expérience du passé.

Plusieurs bonnes raisons, donc, pour en arriver au clash. Rien à voir, dans le fond, avec le "coup d'éventail", un prétexte et une image d'Épinal pour distraire nos petites têtes blondes.
Avant d'agir, il fallait préparer les représentant du peuple français et l'opinion publique à une action inéluctable. Il y avait déjà eu un important discours de Talleyrand, 30 ans auparavant sur le même sujet, mais c'était alors un rapport de victoire diplomatique et non comme cette fois-ci, une déclaration de guerre.


Charles Lemercier de Longpré, baron d'Haussez, Ministre de la Marine et des Colonies, signala son passage au gouvernement par le rôle important qu'il joua dans la préparation et la conduite de l'expédition d'Alger. Avec ses collègues Bourmont, Courvoisier et Guernon-Ranville, il contribua à faire révoquer le traité d'abord conclu avec les envoyés du pacha d'Égypte, Méhémet Ali, en vertu duquel ce dernier était chargé de courir sus aux pirates d'Afrique et de venger le coup d'éventail donné par le dey d'Alger au consul de France.


 Dès qu'il eut été décidé que la France s'armerait elle-même pour sa propre querelle, l'Angleterre demanda vainement des explications, se plaignit et recourut même à la menace. La France lui fit connaître que le roi ne déposerait les armes qu'après avoir atteint le double but qu'il s'était proposé, à savoir le redressement des griefs, cause immédiate des hostilités, et, en second lieu, le triomphe des intérêts communs à toute la chrétienté.

Cette attitude irrita profondément l'Angleterre. À Paris, l'ambassadeur d'Angleterre, sir Charles Stuart, essaya d'intimider le baron d'Haussez dans des entretiens semi-diplomatiques. Mais le ministre de la Marine et des Colonies repoussa ces démarches et l'on dit même que, dans la conversation, irrité du ton tranchant de l'ambassadeur britannique, il lui déclara : « Si vous désirez une réponse diplomatique, M. le président du conseil vous la fera. Pour moi, je vous dirai, sauf le langage officiel, que nous nous f*** de vous ! » (source Wikipedia)


Voici la quasi intégralité de son discours, consigné dans les Annales de la Marine, trop peu connu , voire totalement inconnu des historiens français et algériens :

 
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Mercredi 18 mars 1829 – Assemblée Nationale – Le Ministre de la Marine et des Colonies.

 
« Messieurs,
Controversée suivant les différents points de vue sous lesquels on l’examine, la question de la guerre d’Alger n’a peut-être pas été considérée sous son véritable jour. Cette question est trop importante pour que vous n’accordiez pas votre attention à quelques développements que je crois propres à la ramener à son véritable point.

La France possédait depuis plusieurs siècles, sur la côte d’Afrique, un vaste territoire et un établissement important destiné à protéger la pêche du corail qu’elle exerçait sur une étendue de plus de 60 lieues lorsque, dès l’époque de la Restauration, le gouvernement d’Alger manifesta, par des déclarations et par des actes, l’intention de la troubler dans cette possession.


Ces actes sont :

• Le projet, annoncé fort longtemps d’avance et exécuté plus tard, de nous chasser d’une possession française et la destruction de nos établissements sur la côte d’Afrique ;
• La violation du privilège de la pêche du corail, qui nous était assuré par les traités ;
• le refus de se conformer au droit général des nations et de cesser un système de piraterie qui rend l’existence actuelle de la Régence d’Alger dangereuse pour tous les pavillons qui naviguent dans la Méditerranée ;
• des graves infractions aux règlements arrêtés de commun accord avec la France pour la visite des bâtiments en mer ;
• la fixation arbitraire de différents droits et redevances, malgré les traités ;
• le pillage de plusieurs bâtiments, français et celui de deux bâtiments romains, malgré l’engagement pris de respecter ce pavillon ;
• le renvoi violent du Consul Général du Roi à Alger en 1814 ;
• la violation du domicile de l’agent consulaire à Bône en 1825.

Et au milieu de ces faits particuliers, une volonté constamment manifestée de nous dépouiller des possessions, des avantages de tous genres, des privilèges acquis à titre onéreux, que les traités nous assurent, et de se soustraire aux obligations que ces traités imposent.


Enfin arriva la prétention qui décida la rupture entre les deux Etats.

Une convention passée le 28 octobre 1819 avec les maisons algériennes Bacri et Busnach approuvée par le Dey, avait arrêté à 7 millions de francs le montant des sommes que la France devait à ces maisons. L’article 4 de cette convention donnait aux sujets français qui se trouvaient eux-mêmes créanciers de Bacri et Busnach, le droit de mettre opposition au Trésor Royal sur cette somme pour une valeur équivalente à leurs prétentions, et ces prétentions devaient être jugées par les cours royales de Paris et d’Aix.

Les sujets du Roi ayant déclaré pour deux millions et demi de réclamations, quatre million et demi furent payés

à Bacri et Busnach, et le reste laissé à la Caisse des Dépôts et Consignations, en attendant que nos tribunaux eussent prononcé.

Les années 1824 et 1825 se passèrent dans l’examen de ces réclamations portées devant nos cours royales ; mais le Dey, impatient de voir arriver le reste des 7 millions, écrivit en octobre 1827 au ministre des Affaires Étrangères du Roi, une lettre par laquelle il le sommait de faire passer immédiatement à Alger les deux millions et demi, prétendant que les créanciers français vinssent justifier devant lui leurs
réclamations.

M. le baron de Damas, alors ministre des Affaires Étrangères, n’ayant pas jugé à propos de répondre lui-même à une lettre aussi peu convenable, se borna à faire connaître au Consul Général que la demande du Dey était inadmissible, attendu qu’elle était directement contraire à la convention du 28 octobre 1819. Ce fut dans ces circonstances que le Consul Général s’étant présenté, le 30 avril, à l’audience du Dey pour le complimenter suivant l’usage, la veille des fêtes musulmanes, le Dey lui demanda avec emportement s’il n’avait pas reçu la réponse à sa lettre ; et celui-ci lui ayant annoncé qu’il ne l’avait pas encore, le Dey lui porta plusieurs coups d’un chasse-mouche qu’il tenait à la main, et lui ordonna de se retirer.


Le gouvernement du Roi, informé de cette insulte, envoya au Consul l’ordre de quitter Alger ; celui-ci étant parti le
15 juin, le Dey ordonna aussitôt au gouverneur de Constantine de détruire les établissements français en Afrique, et notamment le fort de la Calle, qui fut dépouillé complètement et ruiné de fond en comble, après que les Français l’eussent évacué le 21 juin.

Ce fut alors que commença le blocus qui, depuis cette époque, nous coûte, sans amener aucun résultat, plus de
7 millions par an.

Au mois de juillet 1829, le gouvernement du Roi, reconnaissant l’inefficacité de ce système de répression, et pensant à prendre des mesures plus décisives pour terminer la guerre, veut cependant devoir, avant d’arrêter sa détermination, faire une dernière démarche vis à vis du Dey. M. de la Bretonnière, fut envoyé à Alger. Il porta au Dey, jusque dans son palais, nos justes réclamations. Le Dey refusa d’y faire droit ; et lorsque M. de la Bretonnière se disposait à s’éloigner du port, les batteries les plus voisines firent toutes à la fois feu sur le bâtiment parlementaire, à un signal parti du château-même occupé par le Dey.

 
Le feu dura une demi-heure, jusqu’à ce que le bâtiment que montait M. de la Bretonnière se trouve hors de la portée du canon.

Telle est la suite des griefs, telle est la peinture fidèle de l’état des choses, qui forcent aujourd’hui le Roi à recourir à l’emploi des moyens que la Providence a mis entre ses mains pour assurer l’honneur de sa couronne, les privilèges, les propriétés, la sûreté même de ses sujets, et pour délivrer enfin la France et l’Europe du triple fléau que le monde civilisé s’indigne d’endurer encore, la piraterie, l’esclavage de prisonniers, et les tributs qu’un Etat barbare impose à toutes les puissances chrétiennes.


On a soulevé la question de l’avenir réservé à l’État d’Alger après la conquête. Je ne pense pas que ce soit ici le moment de s’en occuper. Avant l’accomplissement d’un fait, ses conséquences ne peuvent être prévues avec assez de précision pour devenir l’objet d’une discussion publique ; et vous reconnaîtrez, Messieurs, l’impossibilité où je suis de fixer vos idées sur ce sujet.


Mais qu’on se rassure : ces dépenses ne tombent pas en pure perte : elles auront pour résultat une expédition glorieuse pour nos armes, et utile à la chrétienté, dont l’injure sera vengée avec celle de la France et qui nous sera redevable de la sûreté de son commerce et de l’affranchissement de l’humiliant tribut qu’elle payait à des pirates.


Depuis longtemps la dignité de la France la réclamait : le gouvernement n’a rien négligé pour qu’elle tourne à la fois à la gloire de nos armes et à l’avantage de notre commerce.»


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Ces huit griefs portés à l'encontre de la Régence d'Alger, et qui sont la cause officielle du débarquement français à Sidi Ferruch, ont entraîné une colonisation française non prévue initialement. Imitation inconsciente de la colonisation européenne en majorité anglo-saxonne de l'Amérique du nord, ou de la colonisation hispano-portugaise de l'Amérique du sud ? Ou de la colonisation arabe de l'Afrique du nord, puis de l'Europe du sud du VIII ème siècle ?

Petite cause, grands effets.