Ferhat ABBAS par Mokhtar SAKHRI




Création le 2 avril 2013

Ce petit livre intelligent de Mokhtar Sakhri sur "Ferhat Abbas - La voix que la France se refusa d'entendre" commence bien :

Les ancêtres de mon pays étaient les Berbères,
Les ancêtres de mon père étaient les  Arabes,
Les ancêtres de ma mère étaient les Turcs,
Mes ancêtres, disait mon maître, étaient les Gaulois …
Qu'elles sont complexes mes origines !


Peut-être même aurait-il pu ajouter quelques Phéniciens et quelques Vandales …

Quoiqu'il en soit, Mokhtar Sakhri pratique le français, l'arabe, le russe, l'anglais et l'italien. Il a écrit des livres, romans et essais, sur l'actualité d'Algérie, d'Irak, de Palestine … mais on peut aussi dire que son coup de crayon vaut celui de sa plume.




Journaliste au moment de l'indépendance de l'Algérie, il suivait de près la carrière d'Ahmed Ben Bella, premier Président de la république Algérienne, qui, lui, disait, "Nous sommes des Arabes, des Arabes, des Arabes" ! en parlant sans doute pour lui-même, mais pas pour les Algériens.

Mais alors pourquoi la France a-t-elle refusé d'entendre, mieux d'écouter Ferhat Abbas ? On ne peut pas reprocher à ce dernier de ne pas avoir constamment tiré la sonnette d'alarme. Mieux, l'Algérie elle-même a refusé d'entendre Ferhat Abbas !

Intelligent donc est ce petit livre parce qu'il fait se poser des questions.

Première question : Les ancêtres des Français étaient-ils des Gaulois ? Non. Les Gaulois étaient l'appellation des habitants "cum Cesar in Galliam venit", ce n'était pas une race. Chaque Français moyen actuel a des ancêtres d'au moins une vingtaine de races différentes. Les hasards de la généalogie, par exemple, nous ont fait découvrir deux ancêtres : un Monsieur Sarrasin qui a épousé une Demoiselle Maure. Allez savoir !

Deuxième question : la "France" est-elle responsable ? Il y a trois "France" : celle des politiciens, celle de l'opinion publique, celle des "Lumières". Manifestement, celle qui a refusé d'entendre est celle des politiciens, manipulés par "le grand colonat". Celle de l'opinion publique était dans l'ignorance et a suivi sans bien comprendre. Quant à celle des Lumières, elle regardait ailleurs, pas très éclairée d'ailleurs.

Troisième question
: l'Algérie est-elle aussi responsable ? Très curieusement, nous pensons que oui. Mokthar Sakhri rappelle opportunément que Ferhat Abbas a failli être assassiné par le FLN et a été emprisonné par le régime algérien après l'indépendance de l'Algérie.

Quatrième question : Comment en est-on arrivé là ? Il faut remonter à Juba I de Numidie qui fut roi de 60 à 46 av. J.-C. Allié de Pompée il fut vaincu par Jules César à la bataille de Thapsus. Son fils, Juba II régna sous tutelle romaine, ce fut donc la fin de l'indépendance numide. Ainsi donc, grâce à Jules César il faut dire : aux Français les Gaulois,  et aux Algériens les Numides ! 



 Juba I


 Juba II

Qui détruisit l'œuvre de César et de l'Empire romain, ciment de l'Union Méditerranéenne ? Les Barbares, ceux que les Grecs appelaient "oi barbaroi", ceux qui n'étaient pas citoyens. Au nord d'est en ouest : les Germains, les Saxons, les Huns, les Alains. Au sud d'est en ouest : les Arabes, les Turcs. D'abord coupé provisoirement en deux, l'Empire romain, christianisé, est définitivement coupé en deux par l'expansion des "mahométans". 

Au nord les tentatives de formation de l'Europe : Charlemagne et le Saint Empire Romain Germanique ( Premier Reich ), les guerres napoléoniennes, et les deux épouvantables guerres non pas "mondiales" mais "civiles européennes". Au sud, la création d'un immense empire théocratique, qui coupa les ponts avec le nord pour cause de religion ( Sauf avec François 1 er pour des raisons stratégiques et avec Venise pour des raisons commerciales ).

Cinquième question : Qu'est devenue l'Algérie pendant ce temps ? D'abord en majorité chrétienne et romanisée, elle devient "bessif" ( par le couteau ) musulmane et arabisée en moins de soixante dix ans. Les Syriens sont allés jusqu'à Poitiers, les Turcs jusqu'à Vienne, la piraterie est devenue la spécialité d'Alger, de Bougie, de Tunis et de Tripoli. Deux tentative du nord pour exporter le conflit ont duré plus d'un siècle : les Croisades et l'invasion de l'Algérie.

Sixième question : Quelles étaient les caractéristiques de l'invasion de l'Algérie ? Sous forme d'une expédition militaire, la deuxième après l'échec de celle de Charles Quint, et d'une colonie de peuplement,  sous forme de semi-ruée vers le sud à l'instar de la ruée vers l'ouest des immigrants européens, mais en moins prometteur. L'Algérie n'avait pas la richesse de l'Amérique, et les  immigrants méditerranéens n'ont pas fait fortune immédiatement mais à la force du poignet - souvent au détriment des "indigènes". Deux sociétés civiles radicalement différentes ont mal cohabité, voire très mal. Côté européen, c'était le "retour de bâton" de la piraterie et de l'esclavage, côté algérien, c'était la domination des "chrétiens".

Septième question : Pourquoi l'Algérie "réputée française" n'est-elle pas devenue un État de droit ? Après la période de gouvernement militaire et la lutte contre Abd el-Kader, qui fut le premier à vouloir rétablir l'indépendance de l'Algérie après 1 900 ans de dépendance, Napoléon III fut le premier chef politique français à proposer aux Algériens un statut qui les aurait conduit probablement et assez rapidement à l'autonomie. Après un voyage épuisant de près de 40 jours dans toute l'Algérie, il a proposé, par le Senatus Consulte du 14 juillet 1865, aux indigènes et aux juifs de devenir personnellement citoyens français. Cela a provoqué un grand succès d'estime de la part des musulmans, particulièrement dans le Constantinois, mais rien de concret de leur part. Sabotage de l'administration  ? Manque de lucidité de la part des "indigènes" ? On ne peut pas dire que la perche n'a pas été tendue aux ancêtres de Ferhat Abbas… Mais de 1865 à 1871, il n'y aurait eu que 200 demandes ( "Aux sources officielles de la colonisation française" par Eugène-Jean Duval ), c'est infime. Puis Isaac Adolphe Crémieux, farouche opposant à Napoléon III, et devenu ministre de la Justice, attribua la nationalité française aux Juifs algériens, sans pour autant abolir le Senatus Consulte.

Huitième question : Pourquoi Ferhat Abbas n'a-t-il pas été écouté par les politiciens français ? Il a contacté quasiment tous les hommes politiques français, qui lui ont tous fait quasiment la même réponse : "Si tous les Algériens étaient comme vous, il n'y aurait pas de problème !" Quant aux "gros colons", Ferhat Abbas représentait pour eux un danger numérique. Il devait donc être un bouc émissaire. Certains ont été jusqu'à dire "Après moi le déluge !" Ils ont eu le déluge, pas pour eux, qui se sont montrés fort discrets par la suite, mais pour ceux qui avaient voté pour eux.

Neuvième question : Ferhat Abbas pouvait-il réussir ? La société civile musulmane du XX ème siècle ne s'était pas encore formée à la démocratie. Rappelons que pour la France, il a fallu des siècle, quelques décennies étaient donc insuffisantes pour que l'Algérie s'y adonne.

Peu importe la faute à qui, c'était trop tôt pour lancer une révolution pacifique, trop tard pour qu'elle soit pacifique. Stratégiquement, Ferhat Abbas était perdant, faute de "gros bataillons" qu'il ne pouvait pas rallier à sa vision, puisqu'ils n'existaient pas. Ses livres témoignent de sa déception. Cet état de fait a coûté aux Algériens deux guerres : l'une contre ce qui était français, et on peut se demander pourquoi ils sont si nombreux à résider en France, l'autre contre eux-mêmes, et on peut se demander quand elle sera véritablement terminée.

Revenons à nos moutons, c'est à dire au livre de Mokthar Sakhri.

Dans son avant-propos, il fait l'apologie de cette France idéale, "mère des arts, des armes et des loi", dont les représentant en Algérie n'ont pas su tenir leur rang. Il idéalise la Révolution … mais qui s'est aussi personnifiée par la Terreur, la guerre de Vendée, la prise de la Bastille, ( qui a été un bain de sang, "amnésié" dans les livres d'histoire à l'intention de nos chères petites têtes blondes ), les débordements d'un nommé Joseph Fouché. Significative, cette anecdote où Lavoisier suppliait le juge de lui laisser au moins le temps de terminer l'expérience en cours avant d'être exécuté, et se faisait répondre : "La République n'a pas le temps d'attendre ! ".

D'abord un rappel sur le curriculum vitae d'un jeune pharmacien normal, mais doué pour la politique, et révolté de comprendre que le système colonial imposait deux poids et deux mesures. Cela lui faisait exprimer dans un premier temps des désirs politiquement incorrects : " Le jeune étudiant algérien n'a qu'un seul idéal, s'incorporer dans la grande famille française" ou "il y a ici en Algérie des Européens et des indigènes, mais il n'y a que des Français". Ce goût du défi servi par son talent de journaliste le propulse à la tête de l'intelligentsia musulmane. Jusqu'à cette phrase ambigüe sur la nation algérienne : " L'Algérie en tant que patrie est un mythe. J'ai interrogé l'histoire ; j'ai interrogé les morts et les vivants : personne ne m'en a parlé." Alors que le vrai problème était : comment  initier la construction de la nation algérienne idéale à partir de la difficile réalité.

Et Mokthar Sakhri de commenter : " Il faudrait tenir présent à l'esprit qu'à l'époque où ce texte fut rédigé, l'Algérie vivait en plein tribalisme et souffrait d'un régionalisme féroce qui ne disparaîtra - et peut-être pas encore tout à fait - que bien longtemps après son accession à l'indépendance." Cette phrase nous paraît être la clé de son livre. Bien entendu, le grand colonat en avait aussi tiré ses propres conclusions qui allaient conduire au choc frontal.

Ferhat Abbas s'était aussi exclamé "La France, c'est moi", ce qui voulait dire qu'il se sentait beaucoup plus respectueux des valeurs françaises que beaucoup de Français "de souche" ou naturalisés par immigration.

L'année 1936 fut celle des grandes espérances, avec Blum et Violette , mais des grandes déceptions avec  l'ultra Gabriel Abbo " … plus on donne aux Arabes, et plus ils en réclament. Croyez-moi, je sais comment les mater." ( Abbo fut maire, puis conseiller général et enfin membre de l'Assemblée algérienne jusqu'à son décès en 1954, occupant notamment les fonctions de président de la Fédération des maires d'Algérie et de vice-président de la Fédération des maires de France. )

Réponse de Ferhat Abbas qui se radicalise, lui-aussi : "Vous nous refusez d'être français. Nous serons autre chose, parce qu'il faudra bien que nous soyons autre chose."

1939 : année cruciale : l'union entre Abbas et Camus ne fait pas la force qui interpelle le monde politique. Abbas clame devant la commission du suffrage universel du Sénat  " N'attendez pas le  déclenchement d'une guerre que votre recul à Munich rend inévitable pour dire à
vos sujets : Venez mourir pour une République qui vous frappe d'ostracisme pour des libertés dont vous ne bénéficiez pas, pour un bien-être qui vous est refusé, pour une instruction qui n'est dispensée qu'à 10% d'entre vous …"

Après la défaite, il écrit en 1941 au Maréchal Pétain, qui lui fait répondre poliment qu'il "sera tenu compte des suggestions de Monsieur Abbas". Point barre.

Ferhat Abbas prend contact avec les Américains, avec Darlan, avec Marcel Peyrouton, Gouverneur Général de l'Algérie ( celui qui a aboli le décret Crémieux naturalisant les Juifs en 1870, sous le prétexte fallacieux que les Allemands le souhaitaient ). Mais Peyrouton ainsi impliqué dans le régime de Vichy doit démissionner. Son successeur, le général Catroux refuse d'étudier la proposition d'une fédération avec la France par les Amis du Manifeste du Peuple algérien, préconisée par Abbas.

L'alliance avec Messali Hadj se termine à l'occasion des événements tragiques du 8 mai 1945. Ferhat Abbas, qui n'est pour rien dans ces événements en est tenu pour responsable par le gouvernement. Il écrira par la suite :" C'est par miracle que je n'ai pas été fusillé pour des émeutes fomentées à mon insu, par le régime colonial lui-même, avec la complicité de certains PPA "( Parti du Peuple algérien, fondé par Messali Hadj en 1937 ).

Et, très curieusement, par ordonnance, le Gouvernement français avait aboli en mars 1945 le code  de l'indigénat. Les événements de mai 1945 remirent en cause cette ordonnance qui ne fut jamais appliquée.

La presse française de gauche et de droite ( sur ordre de qui ? ), sauf Albert Camus dans Combat  "dénonce en termes parfois d'une rare violence la "trahison du criminel Abbas".

Et pourtant, le Courrier Algérien, sous la plume de Lucien Angeli admet " J'ai causé longuement avec Ferhat Abbas et ses amis. Il n'est pas anti-français. Il m'apparaît comme le seul remède pour la réconciliation et la conciliation. L'administration a tort de lui barrer la route après s'être engagée avec lui dans la voie du Manifeste."

Au bout d'un an de prison inique, il est libéré grâce à la loi d'amnistie et se marie avec une jeune fille de Blida,  Alsacienne
d'origine qui avait épousé ses idées et également été emprisonnée. Il milite pour une une "Algérie nouvelle, où un Algérien chrétien, israélite doit être le frère d'un Algérien musulman sans que celui-ci cherche à exclure l'autre ou que l'autre se croie obligé soit de l'assimiler, soit de le réduire en esclavage."

Ferhat Abbas, si tu nous lis …

Ferhat Abbas entre au Palais Bourbon comme député de Sétif. Il dépose, au nom de l'UDMA ( Union Démocratique du Manifeste Algérien ) un projet de loi fédérale, mais il n'est pas pris au sérieux. Georges Bidault, Président  du Conseil " fit appeler en consultation le Gouverneur Général Yves Chataigneau et lui ordonna de ne plus nous laisser venir à l'Assemblée". Après une suite de propos aigre-doux, Ferhat Abbas ne juge plus utile de rester et démissionne en 1947.

Cela ne va guère mieux à l'Assemblée Algérienne, siège de fraude et de mépris. Jacques Chevallier, député à l'Assemblée Nationale, et délégué à l'Assemblée Algérienne adresse une lettre ouverte au Gouverneur Général Roger Léonard :
"L'absence de vision de l'administration algérienne aura, en quelques jours, provoqué une union que le parti communiste, des années durant, s'était efforcé en vain de réaliser. Il ne faut pas mésestimer le "Front Algérien". C'est une conjonction redoutable, désormais inspirée par une nation qui, camouflée sous des prête-noms, livre la guerre à l'Occident. Ceux qui ont adhéré à ce front l'ont fait moins par conviction que par désespoir."

Ce désespoir, Ferhat Abbas l'exprime au Maréchal Juin à Constantine : " Il n'y a plus pour l'Algérien d'autre solution que l'exil, le maquis et la mitraillette." Ce fut le cas, pendant longtemps, trop longtemps.

Jusqu'au 20 août 1955, tout peut encore s'arranger : A Vincent Monteil, membre du cabinet du Gouverneur Général Jacques Soustelle, aussi bien Ben Youssef Ben Khedda que Mostefa Ben Boulaïd s'efforcent en vain d'obtenir un geste de bonne volonté.

Abbas rappelle que "l'empereur Napoléon III avait pris un décret, un senatus consulte déclarant que les Arabes algériens étaient de nationalité française". Ce en quoi il se méprend sur la valeur juridique des espressions "nationalité française" et "citoyen français", car ce senatus consulte stipule :
 

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Article premier
    •    "L'indigène musulman est français, néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane."
    •    "Il peut être admis à servir dans les armées de terre et de mer. Il peut être appelé à des fonctions et emplois civils en Algérie."
    •    "Il peut, sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français; dans ce cas, il est régi par les lois civiles et politiques de la France."
Article 4
    •    "La qualité de citoyen français ne peut être obtenue, conformément aux articles 1, 2 et 3 du présent sénatus-consulte, qu'à l'âge de vingt et un ans accomplis, elle est conférée par décret impérial rendu en Conseil d'État".

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Très curieusement d'ailleurs, si la citoyenneté française, donnée aux Juifs par le décret Crémieux de 1870, a été abolie par le régime de Vichy, le senatus consulte de 1865 est resté en vigueur.

Les dernières illusions se dissipent  ( Chapitre 8 ) : Ferhat Abbas rencontre  Amar Ouamrane et Abane Ramdane, puis Jacques Soustelle :
- Ceux qui sont courageux ont pris leurs armes, ceux qui sont moins courageux sont dans votre cabinet et vous font face."

Jacques Soustelle eut été prêt, mais … le 20 août 1955, Youssef Zighout et Lakhdar Ben Tobbal, très inquiets de ne pas être suivis par les musulmans, font commettre dans la région de Philippeville d'effroyables massacres contre les civils Européen et Musulmans, de façon à susciter une répression avec les mêmes effets qu'en 1945. Le neveu de Ferhat n'est pas épargné.


 C'est le début de la fin. Soustelle est écœuré. Au massacre répond le massacre, et l'Assemblée nationale vote la loi sur les Pouvoirs spéciaux. Ces massacres sont fermement condamnés par le reste de la direction du FLN, mais pas Zighout lui-même, qui sera nommé membre du conseil national de la révolution algérienne (CNRA), élevé au grade de colonel de l'ALN et confirmé comme commandant de la Wilaya II. Il tombera dans une embuscade l'année suivante.

Ferhat Abbas va à Paris rencontrer le maximum de politiciens pour leur demander de créer une sorte de "gouvernement bis" à Alger, les ministres musulmans étant désignés par le FLN ! Avec le seul objectif : arrêter la guerre. "Les promesses que je reçus restèrent à l'état de promesses". À l'évocation d'une Algérie fédérée à la France, Robert Lacoste, Gouverneur général, répondra qu'il ne voulait pas être passible de la Haute Cour. 

- Prenez garde, Monsieur le Gouverneur général, bientôt nous serons tous des fellaghas".

Pressé par Abane Ramdane  de présider le futur Gouvernement de la République Algérienne, il hésite, car cela signifie aussi cautionner la violence. Abane Ramdane était hostile au Conseil National de la Révolution Algérienne, en ces termes :"Ce sont de futurs potentats orientaux. Ils s'imaginent avoir le droit de vie et de mort sur les populations qu'ils commandent. Ils constituent un danger pour l'avenir de l'Algérie." Ce n'étaient pas des choses à dire : Abane Ramdane finira étranglé. Quant à Abbas, il règlera son compte dans son livre "L'indépendance confisquée" : " La jalousie et l'envie ont été les deux maladies de l'insurrection algérienne. Elles se sont hélas répandues dans tous les maquis. " Tout ceci reste dans la gorge de Ferhat Abbas, alors qu'il se fait éjecter de la Présidence du GPRA au profit de Benyoussef Ben Khedda, un autre pharmacien de profession, lequel cautionnera les conclusions des pourparlers d'Evian. Mokhtar Sakhri ferme le ban : " Le pharmacien de Blida chassait celui de Sétif, en lui laissant une pilule amère à digérer." Pour terminer ainsi :
"Et c'est parce qu'il incarnait l'Algérie que Hassan II l'invita avec sa famille au Maroc, où il passa les derniers mois de la guerre en exil, comme hôte privilégié du roi."

La morale de l'histoire de Ferhat Abbas est de croire, envers et contre tout à l'honnêteté politique. Ferhat Abbas paiera chèrement son erreur puisqu'il sera arrêté à deux reprises : la première en 1964 par Ben Bella pendant un an, libéré grâce au coup d'État de Houari Boumediene, la seconde en 1976 par Boumediene pendant un an, puis il est victime des manigances à propos d'un obscur complot. On ne peut pas dire qu'il ait été soutenu par le peuple algérien qui a tendance soit à être du côté du plus fort, soit à se révolter avec violence.

Et Mokthar Sakhri de terminer ainsi :
" Sans doute s'était-il éteint sur ce doux rêve qui avait poussé sur l'arbre de la raison et du cœur et qu'il avait tant caressé, celui de l'Algérie algérienne qu'il avait souhaité de tous ses vœux à ses habitants, tous ces habitants, sans distinction de race ni de religion tant il était persuadé qu'elle eût pu devenir leur paradis d'ici-bas."

Ce livre sera parfait entre les mains  des jeunes Algériens et Algériennes, instruits et "branchés", qui "n'ont plus qu'à" faire l'Algérie dont rêvait leur Ancien.