LA FEMME DE L'ÉMIR


Tableau d'Ange Tissier - Château d'Amboise

Création le 4 juillet 2019
Modification 1 le 14 juillet 2019
Modification 2 le 28 juillet 2019
Modification 3 le 8 octobre 2019 (en fin d'article)
 
Il était une fois … une femme baisant la main du premier Président de la République française. Cette femme voilée est musulmane ; elle est la seule femme au milieu de 24 hommes dont 4 garçons. C’est une grande première dans l’histoire de France ... et de l'Algérie.

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Les Arabes ont inventé la « chambre noire » au Xème siècle, élément indispensable à l’invention de la photographie. Léonard de Vinci a eu l’idée de fixer l’image projetée dans cette chambre noire. En 1826, le Français Nicéphore Niépce concrétise l’idée grâce à une plaque d’étain recouverte d’une solution de bitume de Judée et d’essence de lavande. Le 7 janvier 1839, Louis Daguerre déclenche l’enthousiasme lors de la présentation par Arago à l'Académie des sciences de son daguerréotype. Mais pas question de s’en servir pour immortaliser les événements officiels. Trop compliqué, demandant l’immobilité absolue pendant un temps fou, c’est encore la peinture qui s’impose pour un demi-siècle.

Jean-Baptiste-Ange TISSIER, né à Paris le 6 mars 1814 et mort à Nice le 4 avril 1876, a compté parmi les peintres officiels du Second Empire. C’est aussi un peintre orientaliste, or l’orientalisme s’est très bien exporté en Orient, mais aussi au Maroc, où il a eu beaucoup de succès.


Algérienne par Tissier

La même par le même

Pour faire ce tableau, Tissier a certainement reçu une commande d’État pour en faire un instrument à la gloire de Napoléon III, mais c’est certainement lui qui a choisi la « mise en scène » en l’honneur de la Femme. Femme qu’il appréciait puisqu’il a fait deux tableaux d’une Algérienne, à la manière de la Grande Odalisque - Le mot odalisque, du turc odalık, désigne une femme de chambre qui servait le harem du sultan -. Ce tableau peut donc être aussi avoir été composé en l’honneur de la Femme orientale.

Voilà pourquoi nous en avons fait un conte.

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C’était en ce temps-là, le 16 octobre 1852.

Une délégation officielle, conduite par Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République française, arrive à la gare d’Amboise - mise en service en 1846 - et se dirige vers le Château. Toute la population d’Amboise, qui connaît bien le sort de l’Émir Abd el-Kader et de sa suite d’environ 80 personnes qui y sont assignés à résidence depuis 1848, devine qu’un événement important va s’y produire. Il est probable que Tissier ait fait aussi partie du voyage.


Deux questions :

- S'agit-il pour elle d'allégeance ou de gratitude ? À cent contre un, c'est de la gratitude.
- L'épouse était-elle vraiment dans la salle ? Il lui fallait une certaine audace, l'accord de l'Émir, l'approbation de sa suite ...

Mais qui était-elle ?  Abd el-Kader a épousé sa cousine germaine, soeur des Ouled Sidi Bou-Taleb dont le père était frère de Sidi Mahhi ed Din, (et contrairement aux usages des Arabes, il n’a qu’une femme, du moins à cette époque).

Compagne d'un chef de guerre,  cela n'a pas été rien d'être l'épouse de l'Émir, de l'avoir accompagné dans tous ses heurs et malheurs, et peut-être lui avoir donné ses conseils.

"Traité Desmichels", bataille de la Macta, "Traité de la Tafna", amitié avec Léon Roches, avec Salomon Zermati, prise de la Smala, proposition de l'aman (et non reddition, car l'aman suppose des devoirs réciproque), incarcération au fort de Lamalgue à Toulon, résidence surveillée au Château de Pau, puis à celui d'Amboise, contact avec la population française ... Tout cela a laissé des traces sur le comportement de son homme, et sur son propre comportement. 

En baisant la main du Président (le Sultan), elle n'a fait que suivre les coutumes de son pays. Mais sa présence peut signifier aussi un message personnel de paix.

Autre hypothèse : Celle de son absence lors de cette réunion officielle, et donc un ajout du peintre orientaliste pour mieux symboliser le tableau et y mettre sa marque personnelle. Napoléon 1er a bien fait figurer sa mère au tableau de son couronnement, alors qu'elle n'était pas présente !

Petite remarque au sujet du tableau : Abd el-Kader et son épouse portent un burnous blanc. Or le burnous brun est plus respecté que le burnous blanc ; cela veut dire que tous les Arabes de l’ouest qui font partie du makhzen de l’Émir et qui portent le burnous brun, traitent en conquérants les Arabes de l’est qui ne revêtent que le burnous blanc ou rayé de gris.

Plus tard, Abd el-Kader a été acclamé par la foule parisienne, il a reçu l'accolade de l'Empereur Napoléon III à l'Opéra de Paris. Du jeune guerrier anti-chrétien mais hyper-doué, il est devenu un humaniste pro-français et pro-napoléonien. Puis il a eu d'autres femmes, et est devenu oecuménique. Le 16 juillet 1860, en secourant les chrétiens de Damas, il est entré dans le Patrimoine de l'Humanité. Et dans le tableau suivant, ce sont des femmes qui le remercient !


Abd el-Kader à Damas

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Mais l'histoire n'est pas terminée ! Yahya Ould Rajel, le responsable de la délégation mauritanienne de l'Association supranationale et confédérale "Pour l'Union des Méditerranéens", et lui-même conteur émérite, était invité à la 16ème édition du Festival des contes du 7 au 13 juillet 2019 à Rabat, organisée par Madame Najima Thay Thay Rhozali.

Des conteuses et des troupes patrimoniales représentant plusieurs pays d'Afrique, d'Europe, des Amériques, du Moyen Orient, d'Asie et  du Maroc ont fait découvrir au public les images de la femme dans les contes. Leur profonde croyance commune en l'importance du rôle que peut jouer la Culture joue en faveur de cette manifestation qui glorifie la paix et resserre les mailles de l'entente entre les peuples.

Yahya Ould Rajel s'est fait un plaisir d'y raconter l'histoire de la femme de l'Émir.