LA GUERRE D'ALGÉRIE VUE PAR LES ALGÉRIENS


Création le 25 avril 2019
Modification 1 le 11 juin 2019

Renaud de Rochebrune, journaliste, écrivain, éditeur, auteur de plusieurs ouvrages d’histoire, a collaboré  à de nombreuses publications.

Né le 2 décembre 1950 à Constantine en Algérie, Benjamin Stora est Professeur des universités. Il enseigne l’histoire du Maghreb contemporain (XIXe et XXe siècles), les guerres de décolonisations, et l’histoire de l’immigration maghrébine en Europe, à l’Université Paris 13 et à l’INALCO (Langues Orientales, Paris). Enfin il est Président du Conseil d’orientation du Musée de l’histoire de l’immigration.  

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Peut-on raconter autrement l’histoire de la guerre d’Algérie ? L’ambition du livre « La guerre d’Algérie vue par les Algériens » (2011) est de se fonder sur "toutes les sources possibles" et en particulier sur des documents inédits ou difficilement accessibles, et de rapporter le récit de cette guerre telle qu’elle a été vue par les Algériens, et en premier lieu par les militants et combattants indépendantistes.

Ce pari a-t-il été tenu ? La recension du livre permettra de s’en faire une idée, sachant qu’il est très difficile de connaître toute la vérité lorsqu’on n’en connaît qu’une partie. Nous y avons ajouté quelques parenthèses en tant que contribution à cette douloureuse histoire, qui n’en finit plus de hanter les imaginations des deux peuples. 


En fait, il eut été préférable que le titre de ce livre ait été "La guerre d'Algérie menée par les indépendantistes algériens". Il n'empêche que la qualité et la quantité des sources en fait un ouvrage indispensable pour mieux connaître les motivations, le courage, l'esprit de sacrifice, qui ont animé un nombre croissant d'Algériens à conduire la société civile "indigène" à la guerre, plus qu'à la paix.

La dernière phrase de la dernière de couverture du livre est prophétique en ce printemps algérien de 2019 : "Ce qui éclaire aussi d'un jour nouveau le destin contemporain de l'Algérie".

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Le premier chapitre commence par une citations de Messali Hadj, frappée du bon sens :
« Nous ne demandions pas que notre indépendance se réalise dans les vingt quatre heures, ni même dans les cinq ans. Nous pensions que, dans l’intérêt même de nos deux peuples, un délai d’une quinzaine d’années suffirait à nous exercer à diriger le pays, pour ensuite jouir de notre indépendance, dans une coopération s’étendant à tous les domaines. »

Puis un fait divers : le cambriolage de la  Grande Poste d’Oran, en 1949, une affaire d’apprentis cambrioleurs pour financer un futur soulèvement nationaliste. Ahmed Ben Bella est prêt à tirer son épingle du jeu si la réussite n’est pas au rendez-vous. Elle n’y sera que partiellement.


D'après les auteurs, tout a commencé dès le débarquement en Algérie de l’armée française en 1830. (En fait, tout a commencé par l'assassinat du Dey d'Alger, Mustapha Pacha, en 1804,
par les Janissaires. Mustapha Pacha était un ami du Premier Consul Napoléon Bonaparte, avec qui il avait signé un traité de paix en 1802. Or, depuis 1804, il n'y a jamais eu de traité de paix entre les deux pays). 

Une première occasion sérieuse de création d’un État moderne algérien par l’Émir Abd el-Kader a été perdue « grâce » à Bugeaud, au sujet dequel la mère du petit Mohamed Harbi disait à son enfant « dors, ou j'appelle Bijou qui va te manger», (… et aussi au Ministre de la Guerre de Louis-Philippe. Dans le livre, cependant, il n’est pas question de l’amitié entre Napoléon III et Abd el-Kader, ni du Senatus-consulte de 1865).

C’est la Troisième république, avec son « Code de l’Indigénat » qui met le feu au poudres, en faisant des « indigènes » des « sujets français », des étrangers dans leur propre pays. La première guerre mondiale fait recruter, parfois de force, des soldats pour défendre la France. (Mais quid de l’héroïsme de nombreux soldats algériens hyper-décorés pendant cette guerre ?).

L’Émir Khaled, petit-fils d’abdication el-Kader, est un pionnier du combat pour l’émancipation des Algériens de souche, voire avec l’appui des États-Unis. Il sera considéré comme un gêneur par les responsables politiques français, et devra s’exiler en Égypte.



Messali Hadj fonde l'Étoile nord-africaine, un mouvement peu apprécié par les gouvernements français. Puis Ferhat Abbas en 1942 prend contact avec le représentant sur place de Roosevelt pour réclamer, en échange d'une participation des Algériens à la guerre contre les nazis la constitution d'un État Fédéral. Il n'est pas non plus apprécié par les parlementaires français.


SÉTIF : MAI 1945


Le matin du 8 mai 1945, une foule d'environ 8 000 personnes commence un défilé. Les organisateurs ont fait savoir très clairement qu'il était hors de question de venir armé pour éviter que de probables provocations ne servent de prétexte à une répression. (Las ! De l'aveu sur une vidéo d'anciens participants, un certain nombre de manifestants s'étaient munis de gourdins et d'armes blanches, qui ont servi dès la mort d'un porte-drapeau et de celle du maire de Sétif. L'insurrection contre les Européens s'est développée ensuite dans toute la ville. Au "Marché aux bestiaux", des musulmans se sont groupés pour sauver leur ami juif en l'encadrant jusqu'à son domicile. L'insurrection contre les Européens dans les Babors a été horrible, et menée par de petits groupes).

Combien de morts ? Les chiffres les plus fantaisistes sont cités : de 3 000 par l'armée française à 45 000 par le futur gouvernement algérien. (La palme revient à un auteur qui nous a été recommandé par Madame Anissa Boumedienne : pas plus de 10 000 dans le texte, pas moins de 10 000 en dernière de couverture !

Comme le dira le futur Houari Boumedienne : "Ce jour-là, le monde a basculé". Il faut dire qu'à Guelma, la situation a été particulièrement dramatique.

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1947 : RAZ DE MARÉE ÉLECTORAL - LES URNES OU LES ARMES ?

 Les meetings de Messali Hadj attirent des foules énormes et ferventes. Les élections municipales de 1947 sont libres et démocratiques !


 Le MTLD, le parti de Messali Hadj est très largement majoritaire. Messali est rompu à la politique qu’il préfère à la lutte armée préconisée par l’OS, qui prépare l’insurrection pour 1949. L’OS s’organise : nominations de chefs régionaux, brochures, ateliers de fabrication d’engins explosifs, tests pour les volontaires. Le plus difficile est de se procurer du matériel militaire. Une partie des acquisitions est conservée dans des caches. Le budget de fonctionnement est extrêmement faible.

JOUR J : 1 NOVEMBRE 1954

À minuit moins vingt des groupes armés s’attaquent à des dépôts d’armes, avec plus ou moins de succès. Un peu partout, des poteaux télégraphiques sont coupés. Dans les Aurès, les villes sont encerclées par des groupes de maquisards. Le car qui fait la liaison entre Biskra et Arris est intercepté. Un couple de jeunes instituteurs européens en fait les frais.

Plusieurs militants sont appréhendés, des stocks d’armes sont  découverts, les chefs se font exfiltrer vers l’Égypte …

L’INSURRECTION DU CONSTANTINOIS

Le 20 août 1955, la cible numéro un est Philippeville, une « véritable marée humaine », hommes femmes et enfants, encadrés par deux centaines de djounouds en tenue militaire clame des slogans, chantent des chants patriotiques, persuadée que l’armée égyptienne a débarqué à Collo. Mais le plus grave se passe à El-Halia, site minier, où trente quatre civils européens, hommes, femmes et enfants, sont assassinés dans des conditions atroces. À Constantine, des Algériens sont déclarés « traitres »,
comme le neveu de Ferhat Abbas, parce qu’ils n’ont pas rejoint les insurgés  … Selon les sources des auteurs du livre, la répression aura été d’une violence de la même intensité que l’insurrection.

Si Nacer (à gauche)
 L'intérêt du livre est de faire de nombreux portraits des dirigeants du FLN. Celui de Mohammedi Saïd, alias Si Nacer, alors âgé de plus de quarante ans, donc nettement plus vieux que la quasi totalité des combattants, n'est pas le moins étonnant : ancien sous-officier de l'armée française, il a rejoint pendant la Seconde Guerre mondiale les services de renseignement allemands en pensant qu' "Hitler détruirait la tyrannie française et libérerait le monde". Parachuté par l'Abwehr dans la montagne à la frontière algéro-tunisienne, fait prisonnier par les Alliés, condamné à perpétuité, il ne sera libéré qu'en 1952.


 Mais c'est Amirouche qui restera le plus célèbre. D'une famille kabyle modeste, proche des Ulémas, il quitte son petit commerce de bijouterie et rejoint le maquis, devient un guerrier impitoyable et un entraîneur d'hommes hors pair. Il créera  de nombreux groupes de moudjahidines.

Sur les 481 pages du livre, les auteurs ne consacrent qu'une demi-page aux SAS, à qui ils attribuent une mission de contrôle des Algériens, au-delà de leur fonction "sociale". C'est bien faible pour des "historiens".


LE CONGRÈS DE LA SOUMMAM

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 Dans le Constantinois, c’est le calme avant la tempête. D’abord, les chefs se heurtent à des problèmes de logistique : ce n’est pas simple de faire héberger une vingtaine de combattants par une population miséreuse. Parfois ils restent sans manger, quitte à s’essayer de manger des escargots bouillis. Pour maintenir la cohésion, les chefs décident d’orchestrer une série d’attentats pout la plupart à des dates symbolique : les 1er et 8 mai. On organise des embuscades, on harcèle des fermes, on abat des poteaux télégraphiques.

Mais la réaction  des autorités est violente, particulièrement dans les deux foyers d’insurrection : les Aurès et la Kabylie. Les auteurs du livre détaillent les tortures pratiquées dans l’armée française, en particulier le supplice de l’eau, (mais ne parlent pas de celles pratiquées par le FLN, en particulier le supplice dit "de l’hélicoptère").

La tension s’accroit, et le FLN veut maintenant couper le contact entre les Européens et les Musulmans. Zigout veut monter de grandes offensives contre les villes en laissant espérer l’arrivée des Égyptiens, ou la fuite des Européens dont on pourra se partager les biens. Mais le Gouverneur général Jacques Soustelle entame une politique de négociation avec les nationalistes modérés, en particulier avec Ferhat Abbas. Il est déjà bien tard, ce qu’ignore Soustelle au printemps 1955. Abbas se rend à Paris, mais ne réussit pas à convaincre les responsables politiques.

De son côté, Ben Bella se veut être traité en Égypte comme le chef de l’insurrection. Mais le principal succès du jeune FLN viendra de sa présence à la conférence de Bandoeng, où ses représentants obtiennent un statut d’ invités non invités ! De nombreux délégués s’entretiennent avec eux, prélude à l’intervention de l’ONU.

Les contacts entre le FLN et le MNA deviennent conflictuels : le MNA privilégie les solutions politiques, tandis que le FLN veut acquérir l’indépendance par la lutte armée. Il y a environ 350 000 « émigrés » algériens en métropole, qui sont l’objet de la contre-propagande du FLN.

Des tentatives de négociation ont lieu sous l’impulsion de Guy Mollet avec l’avis favorable de Nasser. Mais le besoin se fait sentir par les chefs du FLN, particulièrement d’Abane Ramdane d’organiser un congrès. De vives dissensions ont lieu entre les maquis et la délégation du Caire.





LA BATAILLE D’ALGER

Une explosion retentit dans la Casbah d’Alger, rue de Thèbes. Elle est attribuée à des « ultra » pieds-noirs, et fait des dizaines de victimes. Yacef Saadi, chef des commandos FLN d’Alger, promet une contre-offensive qui sera plus meurtrière que ce « forfait de lâches ». C’est l’origine de la « Bataille d’Alger ». Le transport des bombes sera confié à des femmes, pour ne pas attirer l’attention. On aboutit à l’escalade de la terreur : Le FLN décide une grève générale, qui servira de prétexte au quadrillage d’Alger par la 10 ème division parachutiste du Général Massu. Les indépendantistes y perdront les trois quarts de leurs effectifs, et certains fuient vers les frontières. Yacef Saadi est malade ; sa cache est repérée et il se rend.

RAPT EN PLEIN CIEL

Le 22 décembre 1956, le détournement sur Alger de l’avion transportant du Maroc en Tunisie les « poids lourds » du FLN n’était pas de nature à favoriser une quelconque négociation. Les revers diplomatiques du gouvernement français dans l’expédition de Suez permettent également au FLN de trouver plus facilement des interlocuteurs et des appuis.



MASSACRES

Le massacre d'Algériens par le FLN est évoqué dans l'affaire dite "de la Toussaint rouge".

Une autre affaire, connue sous le nom du massacre de Melouza, exacerbe les tensions entre le FLN et le MNA : plus de 300 cadavres (dont la plupart assassinés avec les pelles et les pioches empruntées au chantier de piste de la SAS de Harraza …).


Belkacem KRIM
L'affaire dite de "L'oiseau bleu" est une remarquable opération menée par le FLN en Kabylie :
L’Opération Oiseau bleu ou la « Force K » ou « Opération K » fut mise en œuvre par le SDECE (services secrets français) en 1956. Le projet, élaboré semble-t-il à la fin 1955 au niveau du Gouvernement Général de l'Algérie, envisage de détacher de la rébellion du FLN plusieurs centaines de Kabyles puis de les transformer en commandos clandestins, opérant avec des tenues et des armes analogues à celles de l'ALN le bras armé du FLN, et chargés de mettre en œuvre un véritable « contre-maquis » en Kabylie baptisé « Oiseau bleu » ou « Force K » comme « Kabyle ». Soldée par un cuisant échec, mieux, par un total retournement puisqu'elle approvisionna le FLN en armes, hommes et fonds, cette opération longtemps tenue au secret est encore largement ignorée des historiens et des opinions. française et algérienne.

La recension du deuxième livre dans le prochain article.