CE QUE LES UNS DOIVENT AUX AUTRES






 Création le 8 janvier 2018

Né en 1955, Mohammed Moulesehoul débute sa carrière professionnelle en tant qu’officier dans l'armée algérienne pendant vingt-cinq ans. Durant la guerre civile algérienne, dans les années 1990, il est l'un des principaux responsables de la lutte contre le GIA, en particulier en Oranie. Il atteint le grade de commandant. 

Il  quitte l'armée algérienne en 2000 pour se consacrer à l'écriture. Il écrit pendant onze ans, d’abord sous son nom propre, puis sous différents pseudonymes - dont le dernier « Yasmina Khadra » - et collabore à plusieurs journaux algériens et étrangers pour défendre les écrivains algériens.



À la demande du Président Bouteflika, il est nommé directeur du Centre culturel algérien de Paris en 2008, fonction à laquelle il est mis fin le 29 mai 2014. Nous l’y avons rencontré il y a exactement neuf ans.



Son roman "Ce que le jour doit à la nuit", publié en 2008,  a été adapté au cinéma par Alexandre Arcady en 2012, et programmé à la télévision française fin 2017.

Yasmina Khadra nous offre un grand roman de l'Algérie coloniale (entre 1936 et 1962) - une Algérie torrentielle, passionnée et douloureuse - et éclaire d'un nouveau jour, même s’il n’en a pas été le témoin, la dislocation atroce de deux communautés amoureuses d'un même pays.

Le symbole « Oran » n’a pas de chance. Après le drame de Mers el-Kebir - le port militaire tout proche - en 1940, ce nom restera dans l’Histoire comme le signal du départ quasi-général des Européens d’Algérie, suite à une perte de contrôle de la situation par le gouvernement français d’un processus qu’il avait pourtant généré. Mais aussi un signal prémonitoire de l’arrivée de l’islamisme et le prologue de la « décennie noire ». Une « pub » qui n’empêche pas les Oranais d’être extrêmement sympathiques.


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Younes, un petit Algérien de dix ans, vit avec ses parents et sa sœur dans le bled. Après l'incendie criminel de sa récolte, son père est ruiné et ils  doivent quitter leur mechta pour trouver du travail en ville à Oran. Le père, incapable de subvenir aux besoins de sa famille entière, est contraint de confier son fils à son frère, pharmacien, marié à une Française. Younes devient Jonas et intègre une communauté  de Français, parfois d’origine espagnole, vivant en Algérie, les « pieds-noirs ».

Au fil des années, Jonas va découvrir son pays et connaître la camaraderie entre quatre copains, ainsi qu’un amour partagé quoiqu’impossible avec une jeune pied-noire qu’il a connue petite, mais qu’il déçoit finalement (peut-être par complexe d’infériorité ?). Elle se mariera avec un autre, alors que l’approche de l’indépendance est le signe du départ.

Yasmina Khadra nous offre un grand roman de l'Algérie coloniale (entre 1936 et 1962) - une Algérie torrentielle, passionnée et douloureuse - et éclaire d'un nouveau jour, même s’il n’en a pas été le témoin, la dislocation atroce de deux communautés amoureuses d'un même pays.

Ce roman "Ce que le jour doit à la nuit", publié en 2008,  a été adapté au cinéma par Alexandre Arcady en 2012, et programmé à la télévision française fin 2017.

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Mais Yasmina Khadra aime aussi se défouler, cette fois-ci en compagnie Lassaâd Metoui, issu du sud de la Tunisie, un peintre moderne de grande qualité. Tous deux sont des enfants du sud, et leur livre commun s’appelle « Ce que le mirage doit à l’oasis ».

Lassaâd METOUI
 Contrairement à ce que l’on croit (que dans le désert il n’y a rien), dans le désert du présent il y a tout le passé que le Temps a confisqué, en laissant seulement en place quelques oasis comme des regrets éternels.



Rentrons dans le vif du sujet.


- J'ai seulement besoin d'une clef pour commencer.
- Quelle clef ?
La clé de sol ? ... Pour quelle sonate ? ...
Une clé à molette ? Tous les écrous sont forés ...
La clef des champs ? L'évasion est devenue l'accès aux perditions.

« Mes parents ne se connaissaient pas. Ils ne s’étaient jamais rencontrés avant la nuit de leurs noces. Je le croyais louchon, il me croyait chauve me confiera ma mère en riant. »

« Mon père voulait un garçon costaud, un héritier, un prince »


Il s’agit donc d’une biographie d’un enfant du désert. À commencer par son père, un « dur à cuire », fils d’une noble de Tombouctou. Les gaouris (les Français) l’aimaient bien. Et lui aimait bien une roumia, une fille mignonne "comme le songe des anges". Il a pris sa fiancée par la main et l'a présentée à son père. Sacrilège : c’est ce qu’il ne fallait surtout pas faire !
- Si tu ne te débarrasse pas sur le champ de cette dévergondée, je te retirerai ma baraka ! Dur, dur l’intégration …

Quelques temps plus tard, « on » le marie. Tandis que la fête bat son plein, on amène la mariée emmitouflée dans un voile satiné. Ce sera la mère de ses sept enfants.



 Ensuite c’est la bio de sa chienne Louisa, adorablement affectueuse. Un jour elle est partie à sa recherche. On ne l’a plus jamais revue. Les chiennes des Touaregs sont aussi impénétrables que les voies du Seigneur !

Puis c’est la bio de sa troupe perdue près du fleuve Tin Tarabine, ce fleuve disparu au large du Ténéré, le désert des déserts, où pas une âme n’habite. Tout à coup, ils entendent une clameur festive : Qu’est-ce que c’est ? "Les djinns" répond le guide, qui crache sur sa poitrine pour éloigner les mauvais éléments.

On fait de bien étranges rencontres dans le désert. Il est impossible pour un être humain sans ressources de vivre trois jours d’affilée dans l’erg de Tanezrouft. Mais si ! C’est un Malien qui survit en suçant les galets, et qui veut voir la mer, à 2000 km, et qui conclut :
- Le bout de la terre est à la portée de la main de celui qui avance, pas de celui qui attend que l’on vienne le chercher.

C’est peut-être un djinn : depuis, j’ai appris à croire en l’invraisemblable et en l’absurde puisque dans le désert, ce qui est impensable se réalise pleinement sous nos yeux incrédules.

Mais attention, en Algérie, l’armée est la grande muette : C’est au cœur des pics de l’Atakor que Yasmina Khadra commet son premier roman « clandestin » afin d’échapper à la censure militaire. Son premier polar est pour distraire sa jeune épouse pendant ses tournées d’inspection. Remerciements au Désert. Rompez !



Du coup, c’est la bio de sa tribu, qui a résisté pendant 73 ans à l’armée française. À Tin Zaoutine, à l’ombre d’un acacia, il couche les première phrases  de son projet dans un cahier d’écolier, à quelques encablures d’un camp de réfugiés. Leur désespoir de damnés le renvoie à sa tribu vaincue. Voici en quelques mots la recension de son premier roman « Gomri et le capitaine », sur un fond d’ennui, de silence et de nudité, les trois éléments de la finitude, le capitaine vacillait entre la colère et le désistement devant cette saloperie de désert. 

Il appelle alors son serviteur Gomri pour le débarrasser de cette saleté de mouches. Lequel Gomeri file à la maison chercher un éventail ; et le capitaine tue le temps en fouettant les mouches à coup de badine, tout en observant son horizon : un bordj misérable, un chien loqueteux, tout cela lui ôte l’envie d’écrire et lui donne celle de dormir. Un rêve féminin le remet sur pied.

Revenons à sa bio. Son père ayant rejoint l’ALN, sa famille devient suspecte et quitte Kenadsa  quand il a trois ans, pour aller se fondre dans la masse à Oran. Le soir, à Tirigou (contraction de Victor Hugo), vieux quartier araberbère au sud est d’Oran, les femmes donnent libre cours à leurs récits sur les faits d’armes de leur tribu.

Et, avec son cousin, ils se lancent des défi, comme celui de monter en haut d’une dune surchauffée, pieds nus. Il manque de prendre feu, mais gagne son pari de statut de Bédouin à part entière. Faute de père absent il est adopté par son oncle, lequel mourra d’une crise cardiaque « lorsque le socialisme scientifique des cancres sera venu nationaliser ses vergers » (sic) …




Le chapitre suivant est un très bel hommage à  Charles Eugène de Foucauld de Pontbriand, ermite au Sahara, apôtre des Touaregs (nous y reviendrons dans un prochain article), un enfant adopté du Désert, lequel a su transformer un sybarite en saint. « Ma tribu a accueilli le Père de Foucauld en 1884. Il s’est invité à Kenadsa en ami et les miens l’ont reçu en frère. Il avait la foi et voulait la partager". 

Or l’arrière-grand-père de Yasmina Khadra était l’imam de la zaouïa des Moulessehoul et avait donné son accord pour que le Père de Foucauld puisse prêcher sa foi chrétienne aux croyants réunis dans la mosquée. C’est ce qu’il fit plusieurs fois et se rendit compte qu’ils avaient les mêmes valeurs que lui. Il décida alors d’aller dans le Hoggar proposer la Bible aux tribus touareg.

Avant de le laisser partir, accompagné de valeureux guerriers, l’imam lui dit entre autres : « La paix assainit les âmes des uns et des autres de la même manière et la haine les vicie de la même façon. »

Revenons à nos moutons. Il est muté dans le Hoggar. Motif : avoir accepté de participer à une émission littéraire ! En sa qualité d’officier, il lui fallait l’aval de l’armée. Pas de réponse. Deuxième tentative transformée : mutation à Tamanrasset, là où on ne capte pas la télé. « Il veut faire de la télé, s’est écrié un colonel, qu’il aille faire son cinéma au soleil ! »



Un jour, il va sur une éminence du côté de Tahat, à 3000 mètres d’altitude. Et là, il entend un joueur de guembri, un vieux Tergui en costume d’apparat. Un jeune berger fait claquer ses castagnettes. 


 Ah ! la musique dans le désert bouleverse les dieux et les fauves. Cela a été dans des temps très lointains une alternative à la chasse et à la procréation. Cela le requinque, lui redonne le goût de parcourir le désert et d’ajouter un chapitre à son roman « Gomri et le capitaine ».

C’est le moment crépusculaire ... mais aussi le moment où le désert se met à revivre grâce à une faune riche et variée. Une vipère tue la mule. Une dizaine de hyènes viennent la récupérer. Le capitaine en tue plusieurs sous les ricanements du groupe décimé.

Il quitte le sud pour  huit ans de guerre contre les terroristes. Un jour, il n’y tient plus et envoie son roman à Gallimard, Bernard Pivot l’invite sur le plateau de "Bouillon de Culture", le Monde lui offre ses colonnes en exclusivité … C’est trop beau.


 Une épouvantable campagne médiatique se déchaîne contre l’armée algérienne, accusée de massacrer de pauvres terroristes ! C’en est au point que son épouse le supplie de quitter la France ! Il est à deux doigts de la dépression, mais une nuit, il rêve à son grand-père qui lui dit : « L’honnêteté se paie très cher, mais elle finit toujours par payer. »

Son grand-père ne s’est pas remis d’avoir été vaincu par l’armée coloniale en 1903. Il est resté des semaines absent, subsistant de dattes et d’eau aromatisée à l’huile de cade


 (Dans diverses croyances et traditions antiques on pensait que le cade pouvait aider à écarter les maladies, les émotions déprimantes, les pensées négatives et aussi les esprits maléfiques. Le cade a également été utilisé dans les rituels païens en Sumerie et en Babylonie en sacrifice aux dieux, tandis que Inanna et Ishtar considéraient cette herbe comme sainte. Toutefois, les Européens considéraient le cade comme une plante médicinale et l’utilisaient pour protéger l’espèce vivante.)

Pour subsister, il s’enrôle dans une unité supplétive et se retrouve sous le commandement … de son propre fils ! Toute défaite a ses mérites : elle est la preuve que l’on s’est battu.

La morale de la morale revient au Désert qui lui suggère de méditer ce quatrain d’Omar Khayyâm, cet autre enfant du désert :
Si tu veux t’acheminer
Vers la paix définitive
Souris au destin qui te frappe
Et ne frappe personne.


Si vous voulez connaître la conclusion de ce bon livre, écrit en très bon français, vous ne manquerez pas de vous le procurer. 

Nous lui substituons  une autre citation de Yasmina Khadra :

«Une société qui ne veille pas sur ses valeurs est une société en décomposition. Le peuple algérien ne mérite pas d’être défait. Que la justice, le respect, la compétence et la liberté soient l’ambition et la tâche de tout citoyen qui aspire au progrès et à la paix. »

Et nous vous donnons en prime la définition « Larousse » du mirage :
    •    Illusion d'optique due à la réfraction des rayons lumineux dans l'atmosphère.
    •    Apparence séduisante et trompeuse : Le mirage d'une vie heureuse, sans souci.

Et vous souhaitons une bonne oasis 2018 !